Heron king blues

Califone est né du projet du seul Tim Rutili, touche-à-tout pétri d’idées, qui décida à la suite de la séparation de son précédent groupe Red Red Meat d’enregistrer des bouts de chansons sur son ordinateur. Mais rapidement ses anciens partenaires le rejoignirent pour donner naissance à Califone. Après deux eps et un album, le groupe est repéré par le label de Chicago Thrill Jockey et enregistre l’année passée le chatoyant Quicksand/Cradlesnakes, collection de chansons chaudes et fragiles traversées de moments troubles et inquiétants, dus à l’intrusion de bruits épars, d’instruments dissonnants. Si bien que Califone semble avoir l’ouïe entre deux oreilles : d’un côté, la musique du groupe penche vers la scène alternative country chère à Howe Gelb (Giant Sand, Blacky Ranchette) ou Will Oldham ; de l’autre, elle semble se laisser porter vers les aspirations instrumentales d’improvisateurs acoustiques tels Town & country.

Sur Heron king blues, ces deux chemins se croisent miraculeusement. Disque ambitieux bien qu’enregistré de manière presque artisanale, il affirme le talent hors pair de Tim Rutili pour organiser sa musique autour d’un projet initial fort : ici, il s’agissait de remonter de manière quasi aléatoire des enregistrements blues, folk et même funk (2 sisters drunk on each other), pour finalement donner un parfum vaudou à un disque littéralement fantastique. A travers des paroles énigmatiques faites de copier-coller, le disque conte, selon Rutili, l’histoire du roi romain Héron, créature mi-oiseau mi-homme, qui terrorisait les soldats anglais. En fait de créature, ce roi n’était rien d’autre qu’un soldat romain sur des échasses, arborant un masque représentant une tête de héron. Certes.

Mais si c’est effectivement cet esprit vaudou qui singularise le disque, les compositions très inspirées du groupe lui donnent également une solide base. Du magnifique banjo de Wingbone à l’époustouflant blues final Heron king blues (véritable bœuf pour musicos du futur) en passant par l’enivrant Trick bird, Califone asseoit avec ce troisième album son ambition logique : faire vivre le blues et le folk à l’ère de l’électronique. Une ambition que le groupe partage avec d’autres esprits libres de la scène américaine, tels Lambchop, Sparklehorse ou (Smog). Souhaitons-lui le même succès.