Le 14 octobre 2014
- Festival : Festival Lumière
La chronique d’un spectateur illuminé vous fait revivre le premier jour de la 6e édition avec Grangier, Sautet et Capra.
Comme nous n’en avons jamais assez, la 6ème édition du Festival Lumière a commencé un peu en avance cette année, avec des films dès ce lundi matin. Du jamais vu. La chronique d’un spectateur illuminé a sélectionné pour vous trois films, trois réalisateurs, trois visions en forme de comédie sociale et humaine qui donnaient le ton avant la grande soirée d’inauguration consacrée à Faye Dunuway, la célèbre Bonnie du Bonnie & Clyde d’Arthur Penn.
Gilles Grangier : un "noir" pas si noir
Quelle plus belle entrée en matière pouvait-on espérer pour un festival consacré à la réactivation de de notre patrimoine cinématographique et de notre mémoire fragmentée de spectateur qu’un film méconnu voire oublié ? Toute la semaine, Bertrand Tavernier a sélectionné pour vous des films issus de son panthéon personnel qui font la part belle au cinéma français, avec en vedette des « monstres sacrés » devenus icônes populaires. Figure emblématique et éternelle, Jean Gabin a su apporter à de nombreux films son aura, sa présence physique, la fougue de la jeunesse ou au contraire son magnétisme de vieux patriarche bougon et rassurant. Pour nous, Gabin, c’est un peu le papa du cinéma français. Un père bienveillant qui savait mettre en confiance les autres. Tout comme le réalisateur Gilles Grangier, qui a permis à de nombreux acteurs de se révéler. Une belle histoire de cinéma et d’amitié lie d’ailleurs les deux hommes, puisqu’ils travaillèrent ensemble sur de nombreux projets, de La Vierge du Rhin (1953) à Sous le signe du taureau (1969) en passant par Le sang à la tête et Le cave se rebiffe pour les plus notables. Pour la petite histoire, c’est Grangier qui présenta Gabin à Audiard, autre histoire d’amour que nous n’auront pas l’effronterie de vous narrer. Avec Le désordre et la nuit en 1958, Grangier, aussi scénariste, épouse une structure somme toute assez classique de film noir à la française pour en dynamiter les codes habituels. Grâce à la complicité d’Audiard, les dialogues se transforment en pépites et offrent à cette histoire banale (un flic enquêtant sur le meurtre d’un patron de boîte de nuit tombe amoureux de son ancienne maîtresse, une jeune toxicomane d’origine allemande) un ton unique alliant subtilement comique et drame. L’histoire policière sert de façade au réel projet de Grangier : faire un film où la superbe d’un Gabin vieillissant contrarié par un amour imprévu permet l’exploration des sentiments humains tout en divertissant sans cesse le spectateur. Reste en tête l’atmosphère tout à fait remarquable de la boîte de nuit « l’Oeuf » ou la caméra se déplace sans entrave pour croquer les portraits de ces hommes et femmes de la nuit, des petits truands et des entraîneuses, sur un rythme jazzy endiablé. Quand le dialogue se fait musique, le spectateur ne peut que rire (parfois un peu jaune) en espérant un dénouement heureux. L’amour l’emporte, et Gabin parle à sa belle de la beauté des cerises en été dans une séquence finale d’une étonnante poésie à la Audiard, coup de cœur avoué de Bertrand.
- Jean Gabin dans "Le désordre et la nuit"
A table avec Sautet
Autre époque, autre monstre sacré, qui chantait lui aussi le temps des cerises. Décidément, les histoires d’amitiés entre hommes n’ont eu de cesse de paver la route du cinéma. Sautet, l’un des plus généreux des cinéastes français des années 70-80, trop longtemps resté dans l’ombre de François Truffaut à cause de sa relative mauvaise fortune critique, a prouvé son attachement à des valeurs simples et proposé un véritable cinéma de la vie, de l’amitié, de l’amour, des grandes crises et des petites emmerdes. Avec Garçon ! (1983), Sautet retrouve une fois de plus Montand et s’amuse d’une certaine manière à désacraliser le personnage pour en faire un fier garçon de café (chef de rang tout de même !) qui rêve d’autres horizons. Si le film a ses limites et fait figure d’œuvre mineure dans la filmographie du cinéaste (le film sonne par certains côtés comme un remake non avoué de l’excellent Vincent, François, Paul et les autres, beaucoup plus poussé dans son évocation de l’amitié masculine), il n’en reste pas moins foncièrement sympathique, drôle et attachant. Avec des dialogues signés du maître-artisan de Sautet, l’incomparable Jean-Loup Dabadie, qui a su donner vie à un univers de garçon de café finement reproduit. Dommage cependant que le film s’éloigne trop vite des cuisines de Bernard Fresson (hilarant dans son rôle de chef cuisinier « maton ») et d’un Villeret jeune, ami fidèle et souffre-douleur occasionnel, qu’on prend plaisir à voir revivre et s’agiter dans tous les sens. N’oublions pas non plus la touche de féminité « smart » de la belle Nicole Garcia, beuuté simple et racée tout à la fois, qui offre au film un atout charme plutôt irrésistible.
L’Amérique selon Frank Capra
Troisième manière d’envisager la comédie, Frank Capra s’en sert de manière sociale voire politique pour développer ce qu’on appelle communément films à thèse, le plus souvent populistes. L’homme de la rue, La vie est belle ou encore Mister Smith goes to Washington (Monsieur Smith au Sénat). A la différence de Sautet, qui tend souvent au constat sociologique d’une période et d’un milieu donné, Mister Capra se pose en idéaliste passionné défenseur de la veuve et l’orphelin. Il y a dans ses films quelque chose de merveilleux, de miraculeux même, comme s’il voulait faire prendre conscience à l’Amérique toute entière de ses failles tout en offrant la solution d’un éternel optimisme fondé sur la capacité de la nation américaine à puiser dans les fondements de sa démocratie. Paradoxalement, alors qu’il acquiert petit à petit un statut de cinéaste social, Capra reste profondément conservateur dans ses positions politiques. Et pourtant, Mister Smith fait un taulé général à sa sortie en 1939, jugé antiaméricain voire pro-communiste -ce qui ne l’empêche pas d’acquérir très rapidement un statut de film mythique-. Il faut dire que la dernière partie du film -où le tout nouveau sénateur (James Stewart tout jeunot), bleu inexpérimenté floué par un politicard véreux (Claude Rains) à la solde d’un genre de Charles Foster Kane magnat de la finance et de la presse, provoque une procédure inhabituelle et garde la parole 23 heures durant- est un véritable morceau d’anthologie. Un film drolatique où la prestation de Stewart, jeune idéaliste tombé malgré lui au beau milieu d’un banc de requins, tient parfois presque du mime, tant la palette de ses expressions semble large. Attachant et sans complaisance, Monsieur Smith au Sénat nous livre la lutte de David contre Golliath et rétablit un idéal de justice à travers le recours au fameux 5ème amendement, l’un des piliers de la Constitution des Etats-Unis. Pour tous les cœurs enflammés en quête de justice et de liberté, pour tous les Lincoln de ce monde, une œuvre puissante qui vous inspirera longtemps, dans la lignée de Douze hommes en colère.
- James Stewart devient un brillant orateur dans "Mr. Smith au Sénat"
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