Le 29 mars 2018
- Réalisateur : Christian Le Hémonet
Le réalisateur évoque sa carrière et nous parle de Jusqu’à la lie, son second long métrage.
aVoir-aLire : Quel a été votre parcours cinématographique ?
Christian Le Hémonet : Après mes études (Institut Stanislas de Cannes, école Pigier…), j’ai suivi un stage de montage puis ai été exploitant en Côte d’Ivoire et au Sénégal. J’ai ensuite eu une carrière dans la banque qui m’a permis de côtoyer des personnalités du cinéma, dont des producteurs. J’ai pu alors devenir assistant sur des films de Richard Fleischer, avant de collaborer avec Claude Chabrol, Richard Donner et Richard Lester. J’ai ensuite réalisé des documentaires pour la télévision et des courts métrages de cinéma. En 1985, j’ai écrit un roman, La Femme sans ombre (éditions du Rocher). En 1987, Funny Boy, mon premier long métrage, est sorti en salles. J’ai par la suite eu plusieurs activités de scénariste et réalisateur (films publicitaires et institutionnels, fictions…). L’arrivée du numérique m’a permis de réaliser un projet qui me tenait à cœur.
Comment s’est décidé le casting du film ?
Un extrait de scène (Démons de Lars Norèn filmé par Jérôme Genevray), vu sur Facebook, m’a convaincu que Yann Lerat serait un parfait « Ulysse » pour Jusqu’à la lie, scénario soigneusement rangé dans mon placard depuis quarante ans. À l’époque (1975) j’avais proposé le rôle à Francis Huster qui s’était excusé mais en me proposant de faire usage de son nom sur ma demande d’avance sur recettes, puis à Brialy dont les prétentions ne correspondaient pas à ce que nous pouvions mettre dans la case comédien. Le petit côté Anthony Perkins de Yann a fait travailler mon imagination (Psychose). Il faut avouer que, côté scénario, j’avais aussi été très impressionné par la performance de Terence Stamp dans L’Obsédé/The Collector de William Wyler, huis clos où deux êtres se déchirent.
Pour le rôle de « Charlotte », la comédienne cannoise choisie au départ nous ayant fait faux bond après deux scènes et quelques répétitions, j’ai repéré sur l’annuaire des comédiens de La Réplique Cécile Peyrot qui habitait Marseille et correspondait physiquement à mon héroïne... un petit côté Samantha Eggar. Rencontrée à Cannes, après quelques doutes et hésitations, elle a donné son accord. Un premier rôle, même dans un film sans producteur, n’est pas négligeable quand on a besoin de montrer qu’on peut faire autre chose que servir la soupe à des acteurs de série TV.
Annabelle Veltri, chanteuse de talent, et Franck Vidal ont tout de suite accepté de se joindre à notre équipe. Pour les mêmes raisons d’ailleurs. Pourquoi les avoir choisis ? Parce qu’ils étaient beaux, motivés et correspondaient aux personnages recherchés. La petite Valentina Veltri qui tient le rôle de Tini/Alysson est la fille d’Annabelle.
Quant à Frank Hochuli, Manuel Bonnet et Murray Melvin, ce sont de vieux amis fidèles. Ils étaient déjà tous les trois dans Funny Boy. Murray, je l’avais connu à Budapest en 1977 sur le tournage de Le Prince et le pauvre/Crossed Swords de Richard Fleischer.
Le tournage du film a-t-il été serein ? Le faible budget crée-t-il une marge de liberté ou est-il source de tensions ?
Oui le tournage du film a été serein, à part la défection surprise de notre « Charlotte » après avoir tourné deux scènes (scènes délicates car elles nécessitaient une salle de restaurant et un yacht et cela ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval quand on n’a aucun budget). Nous avons donc dû les recommencer avec Cécile Peyrot (et nous ne l’avons pas regretté car Cécile est une véritable comédienne pleine de talent et, de plus, une jeune femme charmante).
Ah, j’oubliais : durant le tournage j’ai dû être opéré du cœur (« aujourd’hui votre espérance de vie est de trois mois » m’avait dit le chirurgien…). Donc nous avons eu un arrêt de deux mois... Mis à profit sur mon lit d’hôpital pour repenser chaque séquence du film.
Le film est très sombre dans son traitement des thèmes du couple ou de la parentalité. Était-ce voulu dès le départ ou le scénario a-t-il évolué dans ce sens ?
Oui, le film est sombre. Il m’a été inspiré par une rupture sentimentale dans ma vie. Le scénario qui était vraiment un huis-clos a été allégé dans le film par les flash-back.
L’abondance des dialogues et la théâtralité de certaines scènes ont-elles nécessité des répétitions avec les acteurs ?
Très écrit, théâtral, loin de ce que l’on tourne actuellement : j’ai voulu ce côté désuet et précieux. Mes comédiens m’ont souvent fait couper des répliques que j’aimais bien mais qui cassaient leur jeu. Trop écrites.
Oui nous avons répété, surtout les scènes les plus difficiles... mais je laisse toujours l’initiative de proposer au comédien... J’aime être surpris... et je corrige si cela ne va pas dans le bon sens. La direction d’acteurs se fait d’abord au casting.
Les rapports entre Ulysse et Charlotte, les deux personnages principaux, ainsi que le dispositif du film, évoquent La Vénus à la fourrure de Roman Polanski. Cette œuvre vous a-t-elle inspiré ?
J’ai bien aimé La Vénus à la fourrure de Polanski... mais je n’ai jamais lu le livre, bien que le possédant dans ma bibliothèque. Quant à l’antériorité, mon scénario a été écrit, comme je vous l’ai dit, en 1975. Par contre Polanski a démontré qu’on pouvait tourner un film passionnant avec très peu de moyens : un théâtre vide pour tout décor et deux comédiens. Juste un long travelling sur une allée conduisant au théâtre... ce même long travelling que je fais en ouverture (traversée de la Croisette de nuit en Bentley) avant de rejoindre ma salle de théâtre (l’intérieur du château). J’ai aussi emprunté au grand Alfred ce flash-back-mensonge (du Grand alibi) qui avait fait scandale : lorsqu’Ulysse découvre sa petite fille morte dans le salon. Oui mon film est plein de références (hélas de moins en moins lisibles car les vrais cinéphiles se font de plus en rares). Je parlais de la mort de Danielle Darrieux à mon jeune banquier qui m’a répondu qu’il ne la connaissait pas, de même qu’il ignorait le nom de Michèle Morgan. L’anecdote racontée au téléphone à mon ami Charles Nemes, celui-ci m’a dit avoir rencontré une jeune comédienne qui lui avait confié : « Savais-tu que Paul McCartney avait un autre groupe avant les ’’Wings’’ ? ». L’histoire rapportée plus tard à mon jeune banquier, celui-ci m’a lancé : « Qui est-ce, Paul McCartney ? »…
Quels réalisateurs admirez-vous ? Certains ont-ils influencé votre art ?
Qui a influencé mon art ? Au début « Les Cahiers du cinéma », Godard, Chabrol... et puis Chabrol tout seul qui s’inspirait d’Hitchcock... Alors je citerai Hitchcock, et puis Richard Fleischer (brillant dans tous les styles), Dino Risi, Ernst Lubitsch, Billy Wilder, Woody Allen, Marcel Carné et ses merveilleux Enfants du paradis aux dialogues si brillants, et puis des films : Mort à Venise de Visconti, Laura de Preminger, On achève bien les chevaux de Pollack, Et mourir de plaisir de Vadim, Le Mépris pour Bardot, La Prisonnière du désert de Ford, La Horde sauvage de Peckinpah... et puis ce Casablanca culte que je ne me lasse pas de regarder.
Comment s’est déroulée votre collaboration avec Alban Ferrand ?
Alban Ferrand a été le premier à rejoindre notre équipe. C’est un garçon agréable, généreux et un excellent photographe. Il nous a fait une image superbe. À lui seul il fut toute mon équipe : directeur photo, cadreur, preneur de son, assistant réalisateur, électro. Nous avons formé une équipe soudée. Quant aux heurts il y en eut parfois : des différences d’appréciations, mais cela ne dure jamais longtemps quand la raison l’emporte.
Quels sont désormais vos projets ?
Tous les films que je ne pourrais plus réaliser étant donné mon âge et mes problèmes de santé : un western (j’adore les westerns : j’en avais écrit un, Shoot to Kill), un film fantastique (j’avais écrit Aurélia la vampire inspiré de Nerval, E.T.A Hoffman, Sheridan Le Fanu)... dans l’esprit du Bal des vampires... et bien d’autres. Ah, une dernière info : j’aime beaucoup Polanski aussi.
Propos recueillis le 29 mars 2018.
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