La toile me regarde
Le 9 février 2013
Entre journal de voyage et encyclopédie filmée Kijū Yoshida explore les toiles de grands peintres qui nous regardent autant que nous les regardons.
- Réalisateur : Kijū Yoshida (Yoshishige Yoshida)
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 8 heures ( 20 X 24 mn)
- Titre original : Bi no bi
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– Sortie du coffret de 3 DVD : 6 février 2013
Résumé : À partir de 1973, Kijū Yoshida réalise Beauté de la beauté, une entreprise d’une ampleur sans égale dans l’histoire du cinéma sur les formes artistiques, aussi scrupuleusement documentée qu’ouverte à l’imaginaire. Sélectionnés parmi les 94 chapitres qui composent cette œuvre somme, les vingt épisodes proposés ici sont consacrés aux maîtres de la peinture occidentale. Confrontant les œuvres à leur environnement géographique et intellectuel, le cinéaste fait entendre à nouveau, au creux des paysages, dans les blancs du tableau, la rumeur d’époques révolues.
Critique : En 1973, Kijū Yoshida (Eros + massacre), le plus esthète sans doute des cinéastes japonais de sa génération, achevait Kaigen rei / Coup d’État, son seizième film depuis Rokudenashi / Bon à rien (1960) et, épuisé par le labeur, décidait de mettre pour quelque temps entre parenthèse la réalisation de long-métrages dans un contexte de crise du cinéma qui rendait encore plus ardus ce type de projets lourds.
Peu enclin à rester inactif, il allait se lancer, en guise, pour ainsi dire, de récréation, dans une entreprise de longue haleine qui allait s’avérer plus épuisante encore et qu’il allait être obligé d’interrompre au bout de quatre ans de pérégrinations incessantes.
En effet, se proposant d’emmener les téléspectateurs japonais à la rencontre des toiles des grands maîtres de la peinture, il allait parcourir l’Europe (mais aussi le Japon), allant de ville en ville, de musée en musée, et réalisant, au rythme hallucinant d’un épisode par semaine, pas moins de 94 documentaires de 24 minutes dont vingt seulement, tous consacrés à des peintres européens, ont été projetés lors de la rétrospective au Centre Beaubourg en 2008 et sont proposés en DVD par l’éditeur Carlotta à partir de février 2013.
Organisés par série de deux (Caravage, Manet), trois (Bosch, Goya) voire quatre épisodes (Van Gogh) ces petits films tournés avec une équipe légère, offrent un exemple, peut-être unique en son genre, de mixte d’encyclopédie et de journal filmé.
- Beauté de la beauté
S’appuyant sur une connaissances approfondie des thèmes abordés et citant consciencieusement ses sources, Yoshida affiche une volonté didactique de vulgarisation (au meilleur sens du terme), s’efforçant de situer les œuvres dans leur contexte au prix de certains raccourcis historiques parfois contestables qu’on mettra au compte de l’exotisme mais qui, pour un spectateur occidental, contribuent au charme de l’entreprise, l’obligeant à aborder sa propre culture de l’extérieur.
Mais, modeste de ton autant qu’ambitieux dans son projet, Yoshida ne se pose jamais en donneur de leçon et préfère inviter le spectateur à suivre les développements de sa réflexion toute personnelle sans chercher à lui imposer ses conclusions.
Car il s’agit véritablement de films à la première personne, le cinéaste ne se contentant pas du commentaire en voix off mais apparaissant à l’écran (le plus souvent de dos ou de profil) alors qu’il s’approche des œuvres que la caméra cadre ensuite dans leur intégralité avant d’en explorer les détails (généralement de haut en bas).
- Kijû Yoshida : Beauté de la beauté (Bosch Bruegel, le Caravage)
Bien qu’il s’interdise d’utiliser les adjectifs beau ou belle (Car ce qui est beau ne l’est que dans la mesure où le spectateur de Beauté de la beauté le ressent comme tel), on pourra parfois tiquer face à une vision un peu trop romantique et biographique de l’art (par exemple dans les épisodes sur le Caravage peintre et criminel). Mais la réflexion de Yoshida, honnête homme à l’ancienne plutôt que spécialiste, son approche intime, singulière, des œuvres et des artistes, scrupuleusement mise à l’épreuve de la toile qui le (et nous) regarde autant qu’il la regarde, est toujours stimulante. (Aussi n’était-ce pas moi qui les regardait, mais elles qui m’observaient.)
Le DVD
- Kijû Yoshida : Beauté de la beauté
Carlotta propose en coffret DVD une sélection de vingt épisodes de cette monumentale série. Une publication bienvenue. Peut-on espérer qu’un coffret ultérieur permettra d’accompagner aussi Yoshida à la rencontre de l’art japonais ?
– DVD 1 : Du Moyen Âge à l’âge baroque
– Bosch, le peintre du fantastique (3 épisodes)
– Bruegel : Quand le peintre est témoin de la ruine de son pays (2 épisodes)
– Les crimes du peintre Caravage (2 épisodes)
– DVD 2 : L’Europe romantique
– Goya, le magicien de l’Espagne (3 épisodes)
– Delacroix ou le paradoxe du Romantisme (2 épisodes)
– DVD 3 : L’Impressionnisme et au-delà
– Le scandale sacré : le peintre Manet (2 épisodes)
– Cézanne, le regard d’un solitaire (2 épisodes)
– Van Gogh (4 épisodes)
Les suppléments
Une introduction concise et très claire de Mathieu Capel qui expose les circonstances de la réalisation de la série et en analyse les partis pris formels (par exemple le non-respect de l’intégrité du cadre, credo de l’approche des Straub dans leurs films Cézanne ou Une visite au Louvre).
Image
Tournés avec des moyens modestes pour la télévision à une époque où celle-ci était loin de la HD et n’ayant pas bénéficié d’une restauration poussée, les films présentent une qualité d’image assez variable d’un épisode à l’autre mais globalement plutôt médiocre, qui fait paraître un peu ternes les vues touristiques et ne rend sans doute pas toujours entièrement justice aux valeurs colorées des œuvres picturales explorées, mais s’avère néanmoins satisfaisante lorsque la caméra explore le détail des tableaux.
Son
Son mono au spectre étroit mais tout à fait net qui permet d’apprécier dans de bonnes conditions la contribution, très importante, du musicien Toshi Ichiyanagi.
Propos de Kijū Yoshida :
– BOSCH : En s’arrêtant à l’Enfer et en y descendant, Jérôme Bosch a tenté de libérer l’inconscient de l’homme en atteignant une autre Renaissance, hérétique.
– BRUEGEL : La "perspective de Bruegel" a dépassé la perspective de la Renaissance initiée en Italie où l’homme était montré d’un point de vue d’homme. Elle décrit avec intensité une nouvelle prise de conscience de l’homme en tant que masse.
– LE CARAVAGE : Si le Caravage a pu voir cette infinie grandeur que l’homme finit toujours par atteindre, c’est précisément parce que le mal sommeillait depuis toujours dans son cœur.
– GOYA : Goya, en choisissant d’aller plutôt vers le sommeil de la raison, l’irrationnel, tenta de devancer son siècle, et de changer d’époque, pour se retrouver d’un seul coup dans l’époque moderne.
– DELACROIX : Les œuvres de Delacroix annonçaient moins l’avènement d’une ère nouvelle qu’elles ne renvoyaient les derniers feux d’une époque parvenue à son couchant.
– MANET : Il n’y avait pas meilleur peintre que Manet pour représenter Paris. Pourtant, cela n’empêchait pas qu’il fut le peintre scandaleux qui avait provoqué l’indignation de la bourgeoisie parisienne.
– CÉZANNE : Cézanne ne cherchait probablement pas à voir, il ne désirait sans doute rien ressentir non plus, contrairement aux peintres impressionnistes. Son regard se trouvait là, tout simplement, tout comme la nature, rien de plus.
– VAN GOGH : Pour Van Gogh, se familiariser avec la nature ne signifiait pas qu’il avait suffisamment observé les choses de la nature. Ses altérations de formes et de couleurs étaient fonction de l’inquiétude qui le maintenait sans cesse au bord de la folie.
– Tout le temps que j’ai consacré à Beauté de la beauté, j’ai tâché de garder le silence. Devant moi et la caméra, les œuvres d’art déjà se tenaient là. Aussi n’était-ce pas moi qui les regardait, mais elles qui m’observaient. C’est pourquoi, écartant autant que possible toute information les concernant, je me suis efforcé d’enregistrer ce regard qu’elles tournaient ainsi vers moi. Je me suis également interdit d’utiliser les adjectifs "beau" ou "belle". Car ce qui est "beau" ne l’est que dans la mesure où le spectateur de Beauté de la beauté le ressent comme tel : seule son imagination pourrait y trouver quelque "beauté" que ce soit.
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