Le prix de la liberté
Le 17 juillet 2009
D’une beauté formelle à couper le souffle, Eros + Massacre est à voir et à revoir pour s’imprégner des différents niveaux de lecture qui sous-tendent le film.
- Réalisateur : Kijū Yoshida (Yoshishige Yoshida)
- Acteurs : Mariko Okada, Toshiyuki Hosokawa, Yūko Kusunoki, Kazuko Inano, Etsushi Takahashi
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Carlotta Films
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : version courte 2h38mn, version longue 3h29mn
- Reprise: 2 avril 2008
- Titre original : Erosu purasu gyakusatsu
- Date de sortie : 15 octobre 1969
L'a vu
Veut le voir
Résumé : La vie de l’anarchiste Sakae Osugi, assassiné par la police en 1923, et ses relations avec trois femmes : Yasuko Hori, sa première épouse, Noé Ito, la seconde, qui mourut avec lui, et Itsuko Masaoka, alias "Mlle K", une militante des droits des femmes qui tenta de l’assassiner dans une maison de thé en 1916.
Parallèlement, deux étudiants d’aujourd’hui, Eiko et Wada, cherchent un sens aux théories politiques d’Osugi et à ses idées sur l’amour libre. Les personnages du passé et du présent se rencontrent, s’entrecroisent et dialoguent.
Critique : Dans ce premier volet d’une trilogie consacrée aux grands mouvements politiques du Japon au XXe siècle (l’anarchisme, le communisme et le conservatisme), Kijū Yoshida renouvelle le langage cinématographique par l’abolition de la temporalité et la multiplication des points de vue, tout en lançant de multiples pistes d’interprétation.
Sur le plan esthétique, le cadrage et l’utilisation du noir et blanc révèlent la maîtrise du traitement de l’image du réalisateur. Composé de nombreux plans fixes, Eros + Massacre s’apparente à une succession de tableaux construits autour des personnages. Ainsi, dans les scènes d’intérieur, l’œil du peintre s‘exprime à travers le cadrage des acteurs enfermés dans les formes géométriques créées par les écrans en papier de riz et les tatamis. Le noir et le blanc qui dominent tour à tour quand ils ne divisent pas l’écran en deux parties égales, constituent quant à eux la palette à l’aide de laquelle Kijū Yoshida compose touche par touche ces images tantôt fantomatiques, tantôt tranchantes.
Parallèlement à ce travail sur l’image, l’économie des décors et la scénographie rapprochent la mise en scène du théâtre de l’épure tel qu’on peut le trouver chez Beckett, contemporain de la Nouvelle Vague au cinéma, dont on retrouve ici la rupture de la linéarité du récit. Dans Eros + Massacre, celle-ci est marquée par la déconstruction puis la reconstruction du récit, par un va-et-vient entre les deux époques sous-tendu par la multiplication, puis l’enchevêtrement et enfin l’interpénétration des points de vue et des temporalités. La théâtralité est encore renforcée quand les personnages du début du siècle se rassemblent comme pour le salut final sous les yeux de Eiko et Wada, metteurs en scène, à l’instar de Yoshida, de la vie de Osugi .
Sur le plan politique et philosophique, Eros + Massacre se construit autour de la réflexion de l’anarchiste Max Stirner ("Ne cherchez pas la liberté dans l’abnégation mais cherchez-vous en vous-même : soyez un moi tout puissant !"), existentialiste avant l’heure, cité par Noé et que l’on retrouve dans la quête d’identité d’Eiko. Mais le film met aussi en scène l’échec du concept d’amour libre prôné par Osugi qui, en vivant au grand jour son amour simultané pour trois femmes, provoquera sa propre mort.
Une ultime lecture, sociale celle-ci, pourrait aborder la place de la femme dans la société (thème que l’on retrouve chez Kenji Mizoguchi) : Noé est accusée d’être une mauvaise épouse et une mauvaise mère, Eiko est soupçonnée de se prostituer. Et que dire de cet amour libre qui prend inexorablement la forme de la polygamie, à l’exclusion de la polyandrie ?
La version longue, présentée sur le second DVD, fidèle à l’intention originelle de Kijū Yoshida et ce malgré la perte de 9mn de copie due à une mauvaise préservation, permet d’expliciter les relations entretenues par Osugi avec chacune de ses maîtresses, par rapport à la version courte rendue elliptique du fait des nombreuses coupes effectuées à l’injonction de l’une des maîtresses d’Osugi au nom du respect de la vie privée. Pour la plupart, les scènes coupées ou écourtées ne sont ainsi pas les plus innovantes à l’exception d’une scène totalement loufoque et très suggestive sobrement intitulée dans le menu "Rêves de rugby"...
Incontournable dans la filmographie de Kijū Yoshid , Eros + Massacre reste à ce jour le film le plus audacieux du réalisateur selon ses propres mots. Effectivement, et bien qu’il ne se laisse pas forcément apprivoiser à la première vision, le film reste d’une modernité étonnante et salutaire.
Le DVD
Cette double édition de Eros + Massacre ne démérite ni sur le plan technique grâce à une restauration poussée des masters, ni par ses bonus qui offrent des clés de compréhension du film. L’ensemble est par ailleurs présenté dans un magnifique coffret, ce qui ne gâche rien.
Les suppléments
Le coffret renferme deux bonus intéressants. Le premier, une entrevue de 29 minutes entre le cinéaste Kijū Yoshida et les historiens du cinéma Jean Douchet et Mathieu Capel, offre un éclairage bienvenu sur Eros + Massacre en revenant sur la figure historique de l’anarchiste Sakae Osugi et la radicalité du film. Le second, la bande-annonce originale à tous points de vue, présente un montage de photos et de séquences du film sur une introduction inédite.
Image & son
Les deux versions présentent une image satisfaisante et très bien contrastée, avec une qualité supérieure pour la version longue exempte des fourmillements de la version courte.
La piste japonaise en stéréo, dépourvue de souffle, offre quant à elle un son clair et distinct.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.