A ghost is born

Décidément au four, au moulin et entre les deux, ce Jim O’Rourke-là est devenu incontournable. De sa double personnalité (songwriter torturé et électronicien de génie), il a fait jaillir plusieurs flots providentiels : il mène deux carrières solo parallèles, enregistrant des albums pop-folk pour le compte du label Drag City et des opus électroniques nettement plus barrés pour des labels tel que Mego. Mais il est surtout un producteur et ingénieur du son reconnu, capable de changer n’importe quelle citrouille en carrosse.

C’est ce qu’il fit avec l’aide complaisante de Jeff Tweedy, leader réaliste de Wilco, qui sentait bien que son groupe s’enlisait dans une country rock aussi statique que ces albums-hommages à Woody Guthrie. D’où Yankee Hotel Foxtrot, album aux grandes chansons dynamitées de l’intérieur pour notre plus grand bonheur. Le disque, qui fut refusé par Reprise, le label qui hébergeait alors Wilco, fut tout d’abord diffusé sur Internet pour enfin trouver en Nonesuch un label désireux de soutenir la métamorphose du groupe.

Métamorphose qui continue de plus belle sur A ghost is born, titre qui en dit long sur la nouvelle liberté du groupe : derrière cette "naissance d’un fantôme", on devine que le groupe a décidé de se lâcher, quitte à ne plus maîtriser ses chansons. Ce qui donne donc un disque étonnant qui démarre sur les chapeaux de roue avec notamment deux morceaux dantesques : Hell is chrome et son piano sautillant, et surtout Spiders (kidsmoke), dix minutes d’une rythmique en ligne droite lézardée par les à-coups sauvages de la guitare de Tweedy. Ailleurs, le groupe ose même la boucle hypnotique façon Terry Riley, comme l’avait fait auparavant The Polyphonic Spree. Seul souci pratique : les quinze minutes de ce Less than you think placé en avant-dernière position sur le disque isolent The late greats, agréable vignette pop de deux minutes trente.

Même s’il ne parvient pas à égaler Yankee Hotel Foxtrot dans sa densité et également au niveau du songwriting, A ghost is born bénéficie d’un son plus chaud et plus vivant, caractérisé entre autres par de surprenantes variations de volume et par la voix fragile et inégale de Jeff Tweedy. Lequel n’hésite plus désormais à laisser voguer librement sa musique, quitte à risquer un doux chavirage.