Trois femmes dans le désert
Le 6 décembre 2010
Cérémonial hypnotique, cette ronde immobile dans le désert de Mojave est une des oeuvres les plus épurées et les plus fascinantes de Schroeter.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Magdalena Montezuma, Christine Kaufmann, Ila von Hasperg, Michael O’Daniels
- Genre : Mélodrame, Expérimental
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h18mn
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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– Grand Prix au Festival d’Hyères en 1973
Cérémonial hypnotique, cette ronde immobile dans le désert Mojave est une des oeuvres les plus épurées et les plus fascinantes de Schroeter.
L’argument : Quelque part dans le désert californien, trois femmes vivent entre elles, dans un monde peuplé des personnages qu’elles inventent, de leurs jeux et de leurs rêves. Jusqu’au jour où un homme s’invite parmi elles et fait voler en éclats leur trinité.
Notre avis : Dans le numéro de septembre 1973 de la revue Filmkritik Werner Schroeter raconte qu’il avait proposé à la ZDF, la deuxième chaîne de télévision allemande, une espèce de travail structuraliste sur les portraits de Warhol, sur la Monroe, avec de la musique de Presley et tout ça mais qu’au bout d’un certain temps l’idée ne l’avait plus du tout intéressé et que, débarqué en Californie avec son assistante Ila von Hasperg et les actrices Magdalena Montezuma et Christine Kaufmann, il avait décidé de filmer avec elles l’histoire la moins chère dans le décor réduit d’un village du désert de Mojave.
C’est ce village qui donne son titre au film où Marilyn Monroe n’apparaît plus qu’en poster accroché sur une porte.
Malgré l’immensité du ciel et de l’espace désertique qui entoure les quelques maisons et la mine abandonnée sorties tout droit d’un western Willow Springs est, plus encore que d’autres films du cinéaste, un film du confinement, du sur place. L’ailleurs n’est qu’une image récurrente de bateau immobile dans le soleil couchant ou, pour le jeune homme sans nom qui apparaît d’abord à la fenêtre d’un appartement donnant sur Los Angeles, le rêve d’un retour à Hawai et à une enfance peut-être fantasmée.
Mais une fois qu’il sera entré dans la ronde immobile et ritualisée des trois femmes qui font semblant de tenir le saloon, ne s’habillent jamais autrement qu’en robes du soir et portent des talons aiguilles aux milieu des broussailles, il est évident qu’il n’y aura pour lui (et pour elles) d’autre issue que la mort.
La mise en scène de Schroeter s’applique à dérouter le spectateur, le privant de repères spatiaux et l’empêchant de se faire une idée précise de la topographie de ces lieux où l’on ne peut que tourner en rond.
Les extraits d’opéra qui alternent avec la Havanaise de Saint-Saens, les Andrew Sisters (Rum and cola) ou un carillon, participent du caractère hypnotique d’une oeuvre qui joue à fond sur le principe de répétition. La scène finale, par exemple, citation décalée d’un film noir, est d’abord rêvée puis rejouée à l’identique mais en un seul plan alors que la version prémonitoire était très découpée et variait les cadrages.
Une restauration digitale très réussie a rendu à Willow Springs la splendeur de sa photo et ses couleurs d’origine, permettant au film de communiquer un sentiment de beauté mystérieuse. Difficile de rester insensible à ces plans très composés mais parcourus de tant de vibrations à peine perceptibles : la grande prêtresse Magdalena officiant lors d’une cérémonie aux bougies inquiétante et dérisoire, son visage observant derrière une vitre la scène qui se déroule au premier plan, ou encore le finale étrangement serein qui la montre, seule survivante, debout sur le perron de la maison en cape argentée, fixant l’horizon d’un air absent avant de s ’éloigner sur la route.
La fascination et l’euphorie mélancolique que dégage cette oeuvre, la plus épurée peut-être de son auteur, doivent beaucoup à cette interprète hors du commun, clown tragique, toujours au bord du ridicule et d’autant plus bouleversant.
Le quatuor qu’elle forme avec Christine Kaufmann, qui promène une espèce d’indifférence ou de tristesse désabusée, Ila von Hasperg, à la vitalité sans cesse réprimée, et le jeune homme rêveur qui vient détraquer le cercle magique est des plus troublants.
Précisément inscrit dans son époque mais se dérobant au discours (féministe ou autre), Willow Springs reste un film insaisissable qui n’a pas pris une ride.
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