Bien sûr, il semblait logique que Jean-Paul Dubois, influencé depuis toujours par la littérature américaine et les Etats-Unis [1], cède à la tentation d’écrire sa "saga" familiale. Dubois a parfaitement apprivoisé l’exercice si prisé de l’autre côté de l’océan et a situé son histoire à Toulouse, ville d’où il est natif et où il réside encore aujourd’hui. "De De Gaulle à Chirac" pourrait être le sous titre de cette Vie française, l’histoire de la famille Blick étant découpée en autant de chapitres que la France a compté de présidents depuis 1958.

C’est d’un ton désabusé, fataliste et amer, que Paul Blick raconte un demi-siècle des siens. Le drame de cette famille, c’est la mort de Vincent, frère du narrateur et fils chéri de ses parents. Toutes ces années, Paul Blick va les voir défiler, hanté par le souvenir douloureux et aimant d’un frère mort à l’âge de dix ans, drame dont ses parents ne se remettront jamais tout à fait. Un fantôme qu’il va considérer comme un juge permanent... Devenu étudiant, Paul se laisse vivre en observant un monde dans lequel il a du mal à trouver sa place. Il traverse mai 68 en balançant des pavés dans la vitrine de la concession Simca de son brave type de père. Devenu adulte, si tant est qu’il le soit devenu vraiment, il tombe raide dingue de la belle Anna. Son beau-père, il le connaît déjà. C’est le patron du journal pour lequel il travaille. Elle est battante, amoureuse du boulot, en parfaite opposition avec ce mari qui préfère prendre le temps de vivre, élever ses enfants, écrire et photographier des arbres. Bien entendu, l’Histoire va lourdement peser sur leurs vies. Rien n’est plus imprévisible que les coups bas portés par le destin...

Tous les thèmes chers à Dubois et les personnages qu’il affectionne habitent ce roman par une présence aussi forte qu’émotive. Ce narrateur cynique, rêveur, usé par la vie et les baffes reçues, Dubois le confronte à une multitudes d’injustices, à la douleur de la mort, du mépris et de l’abandon. A tel point qu’on a l’impression que rien ne peut plus le toucher et que tout lui passe au travers malgré une sensibilité à fleur de peau. Qu’il regarde défiler les années comme un film en super-8 et se console de ce qu’il est devenu en se remémorant un passé envolé.

On tombe comme d’habitude sous le charme du style tout en grâce de Jean-Paul Dubois, qui s’affirme comme l’un des plus grands mélodistes contemporains. Il n’a pas son pareil pour restituer les ambiances et les états d’esprits de cinquante années durant lesquelles la société a évolué à une vitesse vertigineuse. La démission de De Gaulle, la loi sur l’avortement, l’arrivée de Mitterrand au pouvoir ou l’effondrement du mur de Berlin, tous ces événements vont finir par s’imbriquer dans le quotidien de ce narrateur et parvenir à le construire. A le briser aussi, dans sa relation aux autres. Jusqu’au moment où il prendra conscience qu’il a peut-être commis les mêmes erreurs qu’avaient commises ses parents. Un somptueux récit en forme de boucle et de parabole et qui, malicieusement, ne tourne jamais en rond.