Aveux en attente
Le 3 août 2020
Naruse et son actrice d’élection Hideko Takamine déjouent les pièges de la rhétorique du sacrifice dans ce surprenant mélodrame à la douceur fébrile et implacable qui s’autorise, audace suprême, une séquence finale au lyrisme éperdu mais sans consolation.
- Réalisateur : Mikio Naruse
- Acteurs : Kumeko Urabe, Yûzô Kayama, Hideko Takamine, Aiko Mimasu, Mitsuko Kusabue
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 1h38mn
- Date télé : 3 août 2020 22:45
- Chaîne : ARTE
- Titre original : Midareru
- Date de sortie : 9 décembre 2015
- Plus d'informations : http://www.acaciasfilms.com/index.p...
- Festival : Les 15 ans de la MCJP
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– Sortie au Japon : 15 janvier 1964
– Programmé dans le cadre des 15 ans de la MCJP
Résumé : Reiko, veuve de guerre qui s’occupe du petit commerce de ses beaux-parents, voit son avenir menacé par l’ouverture prochaine d’un supermarché dans le quartier. C’est alors que Koji, son beau-frère, revient à la maison après avoir quitté son emploi à Tokyo…
Critique : Le cinéaste Mikio Naruse et l’actrice Hideko Takamine ont tourné ensemble pas moins de dix-sept films en vingt-cinq ans (entre 1941 et 1966). Midareru (Tourments) est l’avant dernier. C’est aussi un des plus beaux.
Le personnage central, veuve de guerre qui s’est dévouée corps et âme pour une belle famille se montrant à l’arrivée bien ingrate et qui s’interdit de céder à l’amour de son jeune beau-frère, semble sur le papier être une trop parfaite héroïne de mélodrame exaltant les vertus du sacrifice, du renoncement sublime.
Mais ce type d’exaltation rhétorique est inconcevable dans le cinéma à la douceur implacable et sans illusions du grand Naruse qui ne confond pas l’émotion avec la sensiblerie, ni l’empathie avec la commisération.
- Aiko Mimasu dans Midareru (Naruse 1963)
- Copyright Les Acacias
Le film ne se concentre d’ailleurs que progressivement sur ses deux protagonistes, prenant d’abord l’allure d’un tableau sociologique très documenté en décrivant précisément un milieu, celui d’une petite ville japonaise où tout le monde vit sous le regard des autres et qu’envahit une modernité vulgaire et agressive (le haut-parleur diffusant la publicité pour le supermarché ou encore la scène, assez terrifiante, où de jeunes écervelées concourent à qui avalera le plus d’œufs durs).
Cette description est marquée par un humour discret mais parfois féroce (les belles-sœurs notamment ne sont pas épargnées) et le drame peut y surgir à l’improviste (le suicide du commerçant endetté).
Mais c’est néanmoins sur la relation impossible, aux yeux du monde, entre le jeune homme se donnant des allures de voyou et sa trop admirable belle-sœur que l’attention se concentre progressivement au fil d’un véritable jeu de cache-cache des sentiments qui montre les deux personnages tantôt sur la défensive, jouant consciencieusement les rôles qu’ils se sont imposés, tantôt avançant à découvert avec une franchise désarmante.
- Hideko Takamine dans Midareru (Naruse 1963)
- Copyrigt Les Acacias
Le film épouse la révélation progressive de cet amour sans recourir à la dramatisation excessive mais en surprenant sans cesse par un jeu d’infimes déplacements qui remettent en crise un équilibre apparemment acquis.
Yûzô Kayama et Hideko Takamine, admirables de justesse, insufflent à leurs échanges une tension électrique, intense mais toujours légère, au bord de la comédie.
La mise en scène renforce cette sensation de fébrilité tranquille par un sens très sûr du cadre et une utilisation discrètement virtuose du TohoScope.
- Naruse - Une femme dans la tourmente (1964) - Les Acacias
Naruse, cinéaste réputé pour sa soi-disant grisaille, son refus de l’effet spectaculaire, est capable de toutes les audaces et le démontre en s’autorisant, alors que le film semble se clore sur une fin amère mais relativement convenue, un rebondissement inattendu et un changement de ton total au cours des vingts dernières minutes.
La longue séquence de rapprochement progressif au cours d’un voyage en train qui, de changement en changement, semble ne devoir jamais arriver à son terme, menant dans des contrées de plus en plus reculées du Japon, comme aux confins du monde, entraîne le spectateur dans une espèce d’euphorie inquiète.
Mais cet état de grâce est interrompu brutalement par une fin (la vraie, celle là) dont la sècheresse et le caractère accidentel sont proprement inadmissibles et bouleversent bien plus qu’un déferlement de pathos. Car elle ne nous laisse pas la consolation de nous dire, comme dans les mélos, que c’était écrit et donc inéluctable.
La sortie française inespérée de ce chef-d’œuvre tardif d’un cinéaste qu’on ne finit pas de redécouvrir est donc un événement majeur, à ne pas manquer.
* L’argument : (version alternative) Dans une ville de province où les petits commerçants ne cessent de perdre des clients depuis l’ouverture, un an plus tôt, d’un supermarché au méthodes commerciales agressives, Reiko, veuve de guerre, gère depuis dix-huit ans l’épicerie appartenant à sa belle famille.
Sa belle-mère et son beau-frère Koji, 25 ans, la laissent s’occuper de tout. Le jeune homme, qui se désigne lui-même comme un voyou, a rapidement abandonné un emploi à Tokyo et ne semble pas pressé de renoncer à une existence oisive et dissolue.
Les belles-sœurs de Reiko et leurs époux respectifs ont des projets concernant l’épicerie. Elles lui font comprendre qu’elle ne fait pas partie de la famille et qu’elle serait bien avisée de se remarier.
- Hideko Takamine et Yûzô Kayama dans Midareru (Naruse 1963)
Koji et Reiko ont une énième explication après qu’une fille ait rapporté la montre que le jeune homme a oublié chez elle. Il déclare qu’il n’est revenu vivre dans la maison familiale que parce qu’il aime Reiko depuis toujours. Elle refuse de l’écouter.
Koji change complètement de comportement, renonçant à fréquenter les bars et assurant les livraisons à la place de l’employé qui a démissionné.
Mais Reiko, jugeant sa situation intenable, annonce subitement qu’elle a décidé de rentrer dans sa région natale pour se remarier.
Sa belle-mère l’accompagne à la gare. Après le départ du train elle voit Koji entrer dans le wagon bondé, lui faire signe sans rien dire et s’asseoir à proximité...
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