Le 8 août 2017
Un inédit de Naruse de qualité, enfin sur nos écrans, 60 ans après sa sortie au Japon.
- Réalisateur : Mikio Naruse
- Acteurs : Isuzu Yamada, Kinuyo Tanaka, Hideko Takamine, Haruko Sugimura, Sumiko Kurishima
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 1h57mn
- Titre original : Nagareru
- Date de sortie : 9 août 2017
- Plus d'informations : Le site du distributeur
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Année de production : 1956
Résumé : Rika Yamanata arrive comme servante dans la célèbre maison de geishas, Tsutayako, maison Tsuta de « haute qualité » - expression reprise plusieurs fois- au cœur de Tokyo. D’âge mûr, Rika est très vite confrontée à la vie de cette institution où règnent des tensions, voire des conflits alimentés moins par les pensionnaires que par les incessants problèmes d’argent qui révèlent une situation de quasi faillite et indirectement les difficultés d’un monde finissant que Naruse explore subtilement avec autant de délicatesse vis à vis de ces femmes que de pessimisme quant à leur avenir respectif.
Notre avis :
Lorsque Mikio NARUSE présente Au gré du courant en 1956, il a déjà réalisé plus d’une cinquantaine de films dont le célèbre Nuages flottants (1955) et constitue avec OZU d’une part son exact contemporain puis d’autre part MIZOGUCHI et KUROSAWA… le quatuor le plus remarquable et mondialement connu du cinéma japonais.
Scrutateur inlassable de l’univers des femmes comme prisme absolu de la société japonaise et du monde douloureux, et souvent cruel, Mikio NARUSE poursuit inlassablement et pour l’essentiel la construction d’une œuvre mélodramatique sous le signe du shomin geki, Ce mélodrame populaire constitue le creuset de récits dont la quotidienneté semble faussement d’une banalité évidente mais tellement révélatrice du statut impitoyable bien que feutré de ceux et surtout de celles qui doivent s’affranchir des traditions et surtout de l’argent pour espérer exister, vivre, à défaut parfois de se résigner. Au hasard des titres on comprend très vite la puissance évocatrice de l’univers relativement bloqué mais au cœur duquel et au cours des années surtout une forme d’émancipation progressive mais subtilement insoupçonnable des femmes est à l’œuvre.
Notre langue peut nous jouer des tours et le titre du film en français Au gré du courant y contribue : s’agit-il ici de s’abandonner si possible avec délices, aux hasards que la vie nous réserve, ou bien s’agit-il de nous laisser porter - parce qu’au fond nous n’en avons pas le choix - par le destin sur lequel nous n’avons que peu de prise, voire pas du tout, dès lors que notre statut social contient nos propres limites ?
Le déterminisme est-il à l’œuvre ? Sûrement, mais le cinéaste aussi ; il nous offre un tableau dynamique et posé à la fois de consciences féminines en pleine expectative mais sans véritable perspective, même pour les deux plus jeunes d’entre elles dont la grâce et la beauté occupent l’écran à chaque instant, y compris dans une certaine souffrance.
La beauté souvent triste, la pertinence et la cohérence de son regard de cinéaste sur la société japonaise durant plus de cinquante ans et ses 89 films invitent à scruter la mise en scène de Nagareru, sans dramaturgie excessive mais avec une subtilité au scalpel, dans le jeu de ses acteurs et surtout de ses actrices, en particulier Kinuyo Tanaka. Cette dernière dans le rôle de servante docile, souriante, prévenante, est surtout bienveillante. Dans un contexte de tensions réelles où le rituel du kimono, la retenue, la pudeur extrême tiennent lieu de relations, les signes du manque d’argent s’accumulent jour après jour au point que « même le piment vient à manquer ». A contrario la séquence de l’essai de kimonos n’est pas le prétexte à un concours d’élégance vestimentaire voire d’érotisme discret pour les filles, ni le moment de virtuosité cinématographique attendu pour un vêtement symbolique : le kimono dont on ne perçoit même pas la façon dont le obi est ceint (par ailleurs signe de la posture galante de ces femmes les plus jeunes), reste prosaïquement réduit aux nécessités d’un outil de travail adapté aux circonstances.
- ® 1956 Toho Co., Ltd. Tous droits réservés
Précieux et presque silencieux témoin de la vie de ce qui n’est pas une maison close, contrairement à une image occidentale un peu trop stéréotypée des geishas, Rika est, dès son arrivée, rebaptisée Oharu par la patronne. Oharu ? Ne serait-ce pas un double clin d’œil ou plutôt un hommage à son illustre compatriote, Kenji Mizoguchi qui donna à la même actrice Kinuyo Tanaka, le nom de Oharu dans son film Oharu femme galante – en 1952 ».
Plans posés, gestuelle des petits pas rapides sans ostentation, beau visage saisi souvent en contrechamp, singulièrement explicite, qui ne condamne pas mais qui au fond juge de la situation, des pensionnaires, et surtout de Tsuta, sa patronne. Cette dernière, jouée par Yzuzu Yamadu, est aux prises avec ses débiteurs, un possible client riche, un parent d’une pensionnaire forcée, telle Namia, sa sœur au bénéfice de laquelle a elle dû hypothéquer sa maison, et, c’est le plus pathétique, avec sa conscience aiguë, mais pas encore résignée que, bien que de « haute qualité », sa maison est vouée à péricliter. A défaut d’être rachetée par une concurrente avisée et enrichie, la maison Tsuta va disparaître en emportant avec elle un mode de vie, un mode de pensée, et, Naruse l’exprime clairement, un statut de femme à l’ambiguïté galvaudée par les impératifs d’un monde moderne soumis à la rentabilité, et par ceux des hommes soumis à leurs « nécessités » faisant fi d’une tradition.
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D’ailleurs culpabilité et honte se bousculent pour celle qui se dit « ni bonne mère ni bonne geisha », peut être bonne tout court, alors, et rappelle avec quelque amertume mais sans être larmoyante que « la vie de geisha n’est fastueuse qu’en apparence ». Il s’agit ici de « charmer si on veut, mais avec qui on veut », mais c’est plus difficile. On ne s’étonnera donc pas de la séquence qui conduit l’une d’elle à prier dans un édifice religieux car « c’est pour rencontrer un client difficile », dit-elle.
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Les larmes, il y en aura pourtant dans les relations mère fille par exemple, qui s’interrogent sur leur filiation comme sur leur destin respectif choisi ou subi : la mère tentant de réconforter sa fille, la musique du film, plutôt discrète que singulière la plupart du temps, venant opportunément à son secours, et au nôtre comme facteur d’assertion. Car comme souvent dans les films de Naruse, tensions et déséquilibres ne sont pas immédiatement perceptibles, sauf peut-être à l’intérieur même de l’agencement de certains plans, fortement structurés en déséquilibre visuel, dans l’espace clos de la maison : par exemple lorsque Katsuyo, la fille, s’essaye à la couture avec une machine qu’elle vient d’acquérir, ou bien lors de nombreuses scènes où Oharu, la servante, observe en léger décalage les disputes ou la réconciliation (provisoire ?) de la maisonnée.
En fait pour les deux figures essentielles, Oharu et Tsuta, ni révolte ni récrimination, en traversant les épreuves, ni d’ailleurs pour la plupart des personnages présents ce qui rend le film encore plus poignant a posteriori, car même les deux possibles réfractaires évoluent sans cesse, et sans sortir ou presque, dans le même espace contraint. Or, nous nous sommes laissés abuser quelque peu, du moins un instant, par la grâce de la très jeune fille, Fujiko, qui en toute innocence offre, par deux fois dans le film, sa danse et ses essais de posture, en jouant avec son ample vêtement et son corps gracile : elle fait ses classes de future geisha complimentée, mais elle en ignore encore tout de son art et de ses vicissitudes.
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Naruse la contemple donc, il les observe toutes, avec une lucidité attristée mais tellement bienveillante que le film gagne toujours plus en pertinence, en particulier lors de l’illusoire moment de bonheur de la soirée musicale de réconciliation finale, Tsutayako et Someka jouant en duo du Shamisen.
Ainsi loin des cris et passions tumultueuses qui ponctuent de violence visuelle et sonores nombre de films de ses contemporains Naruse nous convie avec talent à redécouvrir actrices, thématique et narration discrètement novatrice dans l’univers unique de sa poétique filmique.
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