Le 20 juillet 2017
Le quatre-vingt-neuvième et dernier film de Mikio Naruse illustre à merveille son extraordinaire et subtile mise en scène.
- Réalisateur : Mikio Naruse
- Acteurs : Yûzô Kayama, Yōko Tsukasa, Mitsuko Mori, Mitsuko Kusabue, Mie Hama
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 1h48mn
- Titre original : Midaregumo
- Date de sortie : 19 juillet 2017
- Plus d'informations : Acacias Films
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Année de production : 1967
Résumé : Yumiko Eda retrouve dans un café son mari, Hiroshi Eda pour lui apprendre que leur bébé naîtra le 31 décembre ou le 1er janvier, à Washington, où lui vient d’être nommé par le ministère à un poste important. Leur bonheur sera dramatiquement interrompu quelques instants plus tard, quand, en visite chez sa sœur, Yumiko apprend que son mari vient d’être la victime d’un accident de la route. Dès lors, bien que déclaré non responsable de l’accident (un pneu a éclaté), Shiro Mishima le « conducteur adverse », n’aura de cesse de vouloir réparer l’impossible et tragique destin de Yumiko inconsolable...
Copyright 2017 Acacias Films
Notre avis : Que l’on songe un instant au cinéma japonais des années 30 à 60 : des quatre auteurs les plus connus en Occident, Mizoguchi, Kurosawa, Ozu et Naruse, le dernier fut le plus prolifique. Nuages épars sera en effet son quatre-vingt-neuvième et dernier film, qui illustre à merveille son extraordinaire et subtile mise en scène. Naruse a la volonté constante et admirable de toujours dépasser le paradoxe difficile entre l’ambition artistique du projet filmique initial (ici une situation mélodramatique violente à souhait), et la modestie apparente des moyens mis en œuvre. Ainsi, le refus des effets mélodramatiques et du spectaculaire, ainsi que le jeu d’acteur d’un naturel sans affectation aucune, saisissent la complexité des sentiments humains pris dans le flot constant de leurs variations, discrètes, parfois violentes, le plus souvent instables. mais paradoxalement traités dans un art du récit unique par son extrême légèreté. Mais si trois films affectent le mot « nuage » dans leur titre : Nuages d’été (1958), Nuages flottants (1955) et enfin Nuages épars (1965), c’est dans ce dernier que culminent à la fois retenue et naturel, sobriété et intensité, dans une grande complexité harmonique.
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Qu’on en juge ce portrait de femme : le bonheur au creux de la main, elle doit brutalement affronter la mort du mari, la perte du bébé, les intentions louables du conducteur indirectement responsable de la mort de son mari qui veut absolument l’indemniser (ce qu’elle refuse énergiquement), puis l’aimer (ce qui pourrait relever du scandale !), la quasi-disparition de moyens de subsistance (la pension proposée par l’État est ridiculement basse), la perte du lien et du nom car « rayée » de sa belle-famille, les intentions affectueuses mais suspectes de sa sœur qui veut jouer les entremetteuses auprès d’un client de son hôtel… Mais Naruse va, dans un champ-contrechamp permanent mais sans effet stylistique appuyé, refusant image agressive, cris ou jeu dramatisé à l’excès, livrer Yumiko et Mishima aux flottements des blessures de deux âmes qui doivent affronter une attirance mutuelle : une étrange force les pousse l’un vers l’autre, au-delà du concevable initial, déclenchant aussitôt rejet violent pour l’une, culpabilité accrue pour l’autre. Un retour opportun au pays natal pour elle et une mutation brutale pour lui en ce même lieu (seul petit passage en force scénaristique vite oublié car au fond le spectateur le souhaite ardemment tellement nos personnages sont doués d’un « force empathique irrésistible ») favorise une trouble et belle promenade en barque sur le lac Towada : intense moment de douceur apparente savourée, mais aussi lieu du souvenir avec son mari dont l’image surgit à chaque fois que l’esprit puis progressivement le corps de Yumiko se libèrent un peu. Ce lieu devient aussi le non-dit d’un désir refoulé essentiellement par elle dans un premier temps, alors qu’un regard supposé suspicieux et pesant de la société nippone est avancé par lui pour rompre cet instant d’intense proximité, et perturbé… par des trombes d’eau !
Par un glissement sémantique les mots qui ont pu caractériser Mishima s’estompent au cours du film : assassin , chauffard, employé, mauvais garçon ! Or, presque délivré de sa culpabilité, ce dernier finira par dire (au bout d’une heure trente minutes de film) dans une scène bucolique, étonnant Eden d’un instant dans lequel il rencontre par hasard Yumiko, charmante avec son grand chapeau et cueillant des fleurs : « Je vous aime ». Bien que visiblement heureuse de le retrouver, aucun aveu verbal réciproque de la part de Yumiko mais des regards et une gestuelle maîtrisée pour l’aveu plus subtil d’une réelle complicité, reconnue, acceptée. Flottement imperceptible du scénario vers ce grand moment de cinéma digne d’une belle anthologie pour ces deux réfugiés dans un hôtel pour la nuit : la fièvre qui terrasse momentanément et opportunément Mishima transforme Yumiko en infirmière dont toutes les défenses s’abaissent et la main se risque (nécessité et plaisir confondus) au contact de l’autre : moment magique que celui de leurs regards estompés, croisés, voire contrariés mais tellement intenses pourtant sans affectation aucune, malgré les gros plans dont on ne perçoit nullement la nécessaire rigueur géométrique qu’a exigée le tournage. L’orage au dehors, naturel en ce temps et en ce lieu serait il la métaphore d’autres orages désirés ? Une histoire d’amour tellement désirée, deux êtres presque délivrés, que pourtant Naruse va soumettre une dernière fois aux injures du sort comme pour tester son propre scénario ou leur propre détermination. En effet, au sortir de l’hôtel seules images aussi dures que brèves au cours de ce film, celles d’un accident de la route puis de la victime sur un brancard accompagnée des larmes de la survivante, rappel direct cependant de ce que le film n’ajamais montré, et qu’aucun flashback mal venu n’a infligé fort heureusement ! Très vite, une nouvelle séparation des corps, contredite par toute une esthétique des regards, nous entraîne dans le tempo du rythme de leur vie, conduite par des liens invisibles, et la maîtrise magnifique du cinéaste.
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