Mélancolie joyeuse
Le 9 juin 2021
Un grand Naruse, drôle et poignant à la fois, à redécouvrir d’urgence.
- Réalisateur : Mikio Naruse
- Acteurs : Kinuyo Tanaka, Eiji Okada, Kyōko Kagawa, Chieko Nakakita, Sadako Sawamura, Daisuke Katō, Masao Mishima
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 1h37mn
- Reprise: 9 juin 2021
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Résumé : La famille Fukuhara est parvenue à grand-peine à économiser l’argent nécéssaire pour rouvrir sa blanchisserie détruite pendant la guerre. La voix de la fille aînée Toshiko raconte la chronique familiale.
Critique : Pendant longtemps, Okasan a été le seul film de Naruse connu en France. Bien accueilli à sa sortie en 1954, il était ensuite resté de longues années au catalogue des ciné-clubs comme exemple du versant néoréaliste du cinéma japonais. Ce n’est qu’à partir de années 80 qu’on a découvert Ukigumo - Nuages flottants, puis d’autres œuvres majeures de Naruse, jusqu’à la vaste rétrospective organisée par la Cinémathèque il y a quelques années, complétée par celle, plus modeste, de la Maison du Japon à Paris. Du coup Okasan a été éclipsé par d’autres films à la réussite plus éclatante. Cet opus 62 de Naruse est pourtant une véritable merveille.
Certes, l’aspect mélodramatique du scénario, inspiré de la rédaction d’une lycéenne sur le thème de la mère, pouvait faire craindre le pire. Tous les ingrédients sont là pour nous faire sortir les mouchoirs : mort du fils aîné, mort du père, la fille cadette prêtée à une famille adoptive et on en passe. Naruse et sa scénariste Yoko Mizuki se moquent d’ailleurs du goût des spectateurs pour le mélodrame, lorsque Toshiko et son fiancé décident d’aller voir un film bien larmoyant. Au plan suivant, nous voyons, plein écran, s’afficher le mot "fin". L’effet de surprise est vite contredit par le contre-champ des spectateurs dans la salle et le visage de la jeune fille barbouillé de noir. Elle a visiblement essuyé ses larmes avec des mains encore pleines de teinture.
Cet effet comique, mais discret, est parfaitement représentatif du ton général du film qui met sur le même plan tous les événements, qu’ils soient drôles ou tragiques, anecdotiques ou lourds de conséquences.
Deux personnages surtout tirent le film vers la comédie : le petit garçon facétieux et le boulanger amoureux et chanteur joué par Eiji Okada. Mais le film fourmille littéralement de détails savoureux : l’inénarrable concours de chant avec les parents qui ne savent plus où se mettre lorsque leur fils se met à entonner une romance napolitaine ou le chapeau mou plongé malencontreusement dans de la teinture orange . Mais à aucun moment le réalisateur ne se croit obligé d’insister pour nous faire rire.
Il ne s’attarde pas plus sur les événements dramatiques. La mort du fils aîné est escamotée par une ellipse stupéfiante. Après celle du père, on repasse immédiatement aux affaires courantes. La fille cadette, assise à son bureau dans sa nouvelle maison, regarde rapidement le portrait qu’elle a fait de sa mère,avant de le ranger dans le tiroir. L’émotion qui nous saisit comme par mégarde n’en est bien sûr que plus poignante.
L’immense Kinuyo Tanaka est évidemment au cœur de ce film qu’elle illumine de sa présence à la fois discrète et intense, comme elle avait déjà illuminé Ginza gesho - Les produits de beauté de Ginza, l’année précédente. Mais autour d’elle s’agite tout un quartier populaire de ville japonaise d’après-guerre, qu’une foule d’acteurs étonnants parvient à faire vivre à l’écran, de manière extrêmement prenante.
C’est sur la mère cependant que le film se concentre de plus en plus. Son sourire, pendant qu’elle joue avec l’enfant dans le bouleversant faux happy end, est inoubliable. Rarement en effet une fin heureuse aura été aussi chargée du pressentiment de la fuite inéluctable du temps. Un temps qui, pour cette mère, ne peut être que celui de la solitude et de la mort à venir.
Okasan est bien un des chefs-d’œuvre de ce cinéaste dont la discrétion et le goût de l’anti-climax peuvent masquer le génie. Cette fausse grisaille le fera échapper à l’attention de bien des spectateurs, mais ceux qui se seront aventurés dans son univers ne le quitteront plus. Ils ont de la chance : soixante-neuf des quatre-vingt neuf films de Naruse sont conservés. Encore faut-il qu’on nous permette de les voir plus souvent.
– Sortie au Japon : 12 juin 1952
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