Famille décomposée
Le 9 mars 2014
Précision imparable d’une mise en scène discrète, humour et éclats de violence aussitôt résorbée : le deuxième des six films de Naruse adaptés de l’oeuvre de Fumiko Hayashi sait toucher juste sans effets voyants.
- Réalisateur : Mikio Naruse
- Acteurs : Kumeko Urabe, Hideko Takamine, Kyōko Kagawa, Chieko Nakakita, Eitarō Ozawa (Sakae Ozawa), Mitsuko Miura, Chieko Murata, Kenjuro Uemura (Kenzaburo Uemura), Jun Negami, Osamu Maruyama
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h27mn
- Titre original : 稲妻
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– Sortie Japon : 9 octobre 1952
– Production DAEI
– Deuxième des dix meilleurs films de l’année pour la revue Kinema Junpo
– Sortie salles France : 17 février 1993
– Edition VHS France : 1. mars 1999
Précision imparable d’une mise en scène discrète, humour et éclats de violence aussitôt résorbée : le deuxième des six films de Naruse adaptés de l’oeuvre de Fumiko Hayashi sait toucher juste sans effets voyants.
L’argument : Kiyoko est guide dans un autobus touristique du quartier de Ginza à Tôkyô. Elle vit avec Osei, sa mère, et Kasuke, son demi-frère, chez sa demi-soeur Mitsuko dont le mari, Ronei, tient un petit commerce. Un jour, depuis le bus, elle aperçoit Ronei avec une autre femme.
Osei, qui s’est mariée quatre fois et a eu quatre enfants de pères différents, aimerait bien que Sasuke, qui est au chômage depuis son retour de la guerre, trouve du travail et que Kiyoko, la plus jeune, se marie.
Nuiko, la troisième demi-soeur, veut présenter à la jeune femme un riche boulanger, Goto, qui est en fait son amant. Il est prêt à donner un travail à Sasuke dans l’hôtel qu’il est sur le point d’ouvrir. Le mari de Nuiko, Ryuzo, espère de son côté échapper à la ruine grâce à l’aide du boulanger.
Un soir Ronei ne rentre pas. Le lendemain on apprend qu’il est mort subitement.
Lors de la veillée funèbre Goto vient présenter ses condoléances. Il demande à voir Kiyoko qui refuse de descendre de sa chambre. Nuiko s’emporte et gifle sa soeur.
Une femme portant un bébé se présente chez Mitsuko. C’est la maîtresse de Ronei. On apprend que celui-ci avait contracté une police d’assurance-vie. Kiyoko conseille à sa soeur la prudence.
Ne supportant plus les intrigues et les lâchetés de son entourage, Kiyoko décide de déménager.
En face de la maison de sa logeuse habitent deux jeunes gens, une jeune pianiste et son frère dévoué qui n’hésite pas à s’occuper des tâches ménagères.
Notre avis : Malgré l’admiration déclarée de Mikio Naruse (1905 - 1969) pour l’oeuvre littéraire de Fumiko Hayashi (1903 - 1951) et les affinités profondes entre leurs univers, il semble que la romancière et le cinéaste ne se soient jamais rencontrés. Leur fructueuse collaboration est entièrement posthume. Elle commence en 1951, l’année du décès de Fumiko Hayashi, avec Meshi - Le repas , et se poursuit avec Inazuma - L’éclair, Tsuma - Epouse (1953), Bangiku - Chrysanthèmes tardifs (1954), Ukigumo - Nuages flottants (1955) et Horoki - Chronique de mon vagabondage (1962).
- Mitsuko Miura, Hideko Takamine et Chieko Nakakita dans Inazuma (稲妻) - Mikio Naruse 1952 - DAEI
Adapté d’une nouvelle d’avant-guerre transposée dans un Japon des années 50 dont la pauvreté et les mécanismes sociaux sont précisément observés mais sans céder au misérabilisme, Inazuma est aussi pour Naruse l’occasion de retrouver Hideko Takamine, son interprète dans Hideko, receveuse d’autobus (1941) et Les descendants de Taro Urashima (1946), ainsi que d’une douzaine de films ultérieurs (Midareru - Tourments). Comme dans la plupart d’entre eux l’actrice incarne avec une belle énergie un personnage de jeune femme déterminée, se rebellant contre les intrigues et les compromissions de son entourage et décidée à lutter contre le déterminisme social pour accéder à une vie plus digne.
Cette autre vie possible est ici placée sous le signe de la musique classique occidentale associée à des personnages-relais qui indiquent la voie à suivre : le disque que passe la jeune logeuse travaillant pour payer ses études et le couple insolite formé par la jeune pianiste (Kiyoko Kagawa) et son frère (Jun Negami), celui-ci révélant à l’héroïne une alternative positive aux figures masculines peu reluisantes qui l’entourent (C’est lui qui fait la lessive pour que sa soeur ne s’abîme pas les mains).
- Kumeko Urabe et Hideko Takamine dans Inazuma (稲妻) - Mikio Naruse 1952 - DAEI
Les autres hommes, en effet, se distinguent surtout ici par leur veulerie. Mais les femmes ne sont pas vraiment épargnées non plus : une demi-soeur manipulatrice (Chieko Murata), l’autre sans volonté (Mitsuko Miura), la maîtresse tentant de récupérer une partie de l’assurance vie du mari défunt.
S’ils sont brossés sans complaisance avec la complicité d’une troupe d’acteurs aguerris, aucun de ces portraits ne relève pourtant de la simple caricature.
- Hideko Takamine et Kumeko Urabe dans Inazuma (稲妻) - Mikio Naruse 1952 - DAEI
Le personnage de la mère qui déclare avoir connu des moments de bonheur avec chacun de ses quatre maris est particulièrement touchant. Naruse offre ici un de ses rôles parlants les plus étoffés et complexes à Kumeko Urabe, ancienne star du muet, notamment chez Mizoguchi, cantonnée le plus souvent aux silhouettes comiques (il lui confiera un rôle quasi identique l’année suivante dans Ani i moto – frère et soeur).
La séquence finale d’explication entre la mère et la fille et leur déambulation nocturne après l’orage libérateur est un de ces moments d’acmé dramatique typiquement narusien. Le conflit, jusque là sous-jacent et comme bridé par une pointe d’humour, y éclate dans toute sa violence libératrice pour s’évaporer aussitôt.
- L’orage dans Inazuma (稲妻) - Mikio Naruse 1952 - DAEI
Car Naruse, immense cinéaste discret, évite l’orchestration voyante des effets dramatiques et sa mise en scène, virtuose (la séquence sur le pont lors de la visite des deux soeurs à la maîtresse) mais jamais tape à l’oeil, est d’une précision et d’une justesse imparable. Inazuma, film en apparence modeste, en offre un exemple éloquent.
- Inazuma (稲妻) - Mikio Naruse 1952 - DAEI
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