Arme blanche
Le 10 février 2017
Connu avant tout pour une scène fameuse où une paire de ciseaux se transforme en arme blanche, ce Mizoguchi dernière époque, à la virtuosité sèche et sans fioritures, est un chef-d’oeuvre imparable et cinglant.
- Réalisateur : Kenji Mizoguchi
- Acteurs : Kinuyo Tanaka, Tomoemon Ôtani , Yoshiko Kuga, Eitarō Shindō, Haruo Tanaka, Bontarō Miyake, Chieko Naniwa
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h24mn
- Reprise: 22 février 2017
- Titre original : 噂の女, Uwasa no onna
- Date de sortie : 10 février 1971
L'a vu
Veut le voir
– Sortie au Japon : 20 juin 1954
Résumé : Dans un quartier chaud de Kyoto, Hatsuko dirige une maison de geishas. Sa fille, Yukiko, étudie la musique à Tokyo. Celle-ci tente de se suicider après un échec sentimental. Sa mère décide de la reprendre chez elle bien que sa fille déplore son métier. Yukiko tombe amoureuse du médecin qui la soigne, ignorant qu’il est l’amant de sa mère…
Notre avis : 1954 est une année particulièrement faste dans la dernière période de la carrière de Kenji Mizoguchi : trois films, trois chefs d’oeuvres. 噂の女, Uwasa no onna, drame contemporain à l’écriture sèche et sans fioritures, est moins connu que les deux opulents (et sublimes) films en costumes entre lesquels il s’insère : Sanshô dayû - L’intendant Sansho (lion d’argent à Venise en 1954) et Chikamatsu monogatari - Les amants crucifiés (Lion d’argent 1955). Mais il ne leur est en rien inférieur, même s’il revêt une apparence plus modeste. La présence au générique des noms de Yoshikata Yoda , scénariste attitré du cinéaste et du grand chef opérateur Kazuo Miyagawa suffit d’ailleurs pour attester qu’il ne s’agit en rien d’un intermède mineur.
噂の女 - Uwasa no onna / Mizoguchi 1954
Situé dans les quartiers de plaisirs, c’est à dire de la prostitution, comme Gion no shimai - Les soeurs de Gion (1936), Yoru no onnatachi - Les femmes de la nuit (1948), Gion bayashi - La fête de Gion (1953) ou Akasen chitai - La rue de la honte (1956), le film décrit cet univers avec une richesse de détails et une acuité documentaire impressionnantes et dénonce avec virulence le sort réservé aux femmes dans la société japonaise au travers de l’histoire d’une tenancière de maison de geishas et de sa fille, élevée loin de ce monde.
Vue précédemment chez Naruse (Haru no mezame - l’éveil du printemps en 1947) ou Kurosawa (l’intransigeante Ayako de Hakuchi - l’idiot en 1951), Yoshiko Kuga, avec ses cheveux courts, sa spontanéité et son allure décidée, fait de Yukiko, la fille, une jeune femme moderne, entière, révoltée contre cette forme d’esclavagisme et contre la veulerie des hommes en général. La scène où, ayant découvert le double jeu de celui en qui elle avait placé sa confiance, elle se saisit d’une paire de ciseaux est justement célèbre. Son impact repose sur le jeu de l’actrice, dont le visage ne laisse transparaître aucune émotion, et plus encore sur le sens imparable de la mise en scène qui parvient à nous faire voir, dans l’ellipse, un passage à l’acte qui, en fait, sera évité.
Car, après 32 ans de carrière et quelques 80 films, l’art de Mizoguchi atteint ici des sommets de virtuosité (presque) invisible, entièrement tendue vers la perception de situations inscrites très exactement dans leur dimension spatiale et temporelle. Le sens n’est plus que très accessoirement à la charge des dialogues ou des expressions des acteurs mais se dégage, dans sa violence brute et irréductible au langage, de la scénographie, des mouvements de caméra, des déplacements dans le champ, des coupes sèches et du jeu subtil entre le montré et le caché.
Une scène, entre autres, est exemplaire de ce sens très sûr de la chorégraphie jamais gratuite, totalement au service de la précipitation de l’acmé dramatique et reposant en grande partie sur un maniement exemplaire de la profondeur de champ : celle où la mère, Hatsuko, surprend son amant et sa fille après être sortie de la salle pendant une représentation de Nô (elle ne supportait pas le spectacle d’une vieille femme ridiculisée parce qu’éprise d’un homme plus jeune). Tout s’organise ici autour d’une cloison séparant en deux l’espace du foyer. Même lorsque Hatsuko n’apparaît pas à l’image, cachée derrière la cloison, c’est vers elle que tout converge, mieux, c’est elle que nous voyons.
噂の女 - Uwasa no onna / Mizoguchi 1954
L’immense Kinuyo Tanaka, qui tournait avec Mizoguchi pour la quatorzième fois, est encore une fois sublime dans le rôle de cette femme d’affaires sans états d’âmes que sa passion pour le jeune médecin met en crise. Mais toutes les figures féminines font l’objet d’une attention affectueuse, chacune des geishas titubantes sur leurs hautes semelles en bois et engoncées dans leur tenue d’apparat étant soigneusement caractérisée et individualisée.
Quant aux hommes, troupeau brutal et vulgaire, ils sont franchement antipathiques. Les seuls à bénéficier d’une caractérisation un peu poussée sont le riche commerçant, autorité du quartier et soupirant de Hatsuko (Eitarô Shintô, autre familier de l’univers de Mizoguchi), et le médecin-gigolo, velléitaire, lâche et (involontairement) manipulateur.
Tomoemeon Ôtani (quatrième du nom), fameux acteur de kabuki et interprète, pour Naruse, d’Okuni, le domestique dévoué et amoureux transi de sa maîtresse dans Okuni et Gohei (1952), donne néanmoins au personnage une fragilité bienvenue.
Bref : du très grand Mizoguchi à voir et à revoir sans modération pour vérifier encore et encore que c’est quand même lui le plus grand.
Signalons que le film fut autrefois disponible en VHS mais reste un des rares de son auteur à n’avoir pas (encore) bénéficié d’une édition DVD française. En attendant on peut se rabattre sur des éditions étrangères.
噂の女 - Uwasa no onna / Mizoguchi 1954
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.