Le 18 octobre 2018
Réputé comme d’un des meilleurs films au monde, Les contes de la lune vague après la pluie reste, plus de soixante ans après sa réalisation, un chef-d’œuvre fascinant, aussi beau que profond.
- Réalisateur : Kenji Mizoguchi
- Acteurs : Masayuki Mori, Kinuyo Tanaka, Machiko Kyō, Mitsuko Mito
- Genre : Drame, Thriller, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Films sans Frontières
- Durée : 1h37mn
- Box-office : 283 118 entrées France / 206 223 entrées Paris Périphérie
- Titre original : Ugetsu monogatari
- Date de sortie : 18 mars 1959
- Festival : Festival de Venise 1953
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– Année de production : 1953
Résumé : Le Japon au 16ème siècle. Deux couples de paysans sont pris dans la guerre civile et partent pour la ville. Kenjuro le potier rencontre la princesse Wakasa au marché et en tombe éperdument amoureux. Elle l’entraîne dans son manoir. Mais Kenjuro apprendra à ses dépens à ne pas se fier aux apparences. Quant à Tobeï le paysan, abandonnant sa femme qui finira prostituée, il cherche à devenir samouraï pour se couvrir d’une gloire factice…
Notre avis : Deux couples vivotent dans un village misérable du Japon, au XVIème siècle, en vendant les poteries qu’ils façonnent. Dès les premières séquences, les enjeux qui vont animer le film sont présentés : Genjuro veut gagner de l’argent, sa femme souhaite une vie paisible ; Tobei aspire à devenir samouraï, et sa femme le méprise. Les conflits ainsi ramassés en une splendide économie de moyens passent par les dialogues mais aussi par la scénographie toujours signifiante : si Mizoguchi cadre très peu en gros plans, ce n’est pas par vaine coquetterie, mais parce que les corps et leurs positions, les mouvements dans le champ révèlent les luttes de pouvoir et la domination. Ohama est forte, debout, droite, alors que son mari est courbé ; un peu plus tard il se cachera, honteux, derrière une fenêtre, relégué dans la profondeur de champ dont on sait le rôle chez le cinéaste et d’où sa femme le tirera. Pareillement en ce début les positions de Genjuro, sa femme et son fils créent des axes qui séparent ou unissent selon l’évolution de leurs rapports.
La vente des poteries provoque l’illusion de la richesse, matérialisée par des achats d’esbroufe, et conduit Genjuro à l’avidité : travailler plus, gagner plus, dans l’oubli et de sa famille et du danger. Car la guerre, qui rôde dès les premières minutes, contrarie les rêves de grandeur. Il faut fuir : c’est l’admirable scène du lac qui, comme le pont chez Murnau, introduit le monde des fantômes. Le brouillard, l’artifice du décor, soulignent un basculement qui va devenir fondamental quand Genjuro sera envoûté par Wakasa. Mais si le basculement n’est encore que figuré, puisque la rencontre avec une autre barque ne débouche que sur une menace, il sert de prélude à toute la suite en imprimant durablement l’image du danger, de la violence et de la mort. C’est qu’ici la guerre n’a rien de glorieux : les soldats sont des pillards, des violeurs, et le fameux sens de l’honneur japonais n’apparaît que fugacement, chez un général.
Les deux couples faisaient encore face ensemble, mais le scénario, dû au fidèle Yoshikata Yoda, organise la séparation qui va causer leur perte. Privés de ce qui les ancre dans la réalité, c’est à dire leurs femmes, les protagonistes sombrent dans des rêves de grandeur : Genjuro succombe aux charmes trompeurs de Wakasa, Tobei profite traîtreusement de la mort d’un général vaincu pour se l’approprier et triompher. Mizoguchi n’est pas tendre avec les hommes : l’un s’oublie dans des plaisirs érotiques, l’autre se pavane et s’invente des actes de bravoure. Mais dans les deux cas, la critique des fausses valeurs se fait acerbe. Genjuro n’est que le jouet d’un fantôme : manipulé, aveuglé, il tombe sans cesse, en une chute aussi réelle que symbolique, alors que les signes de son égarement se multiplient : témoin ce travelling irréel qui conduit de la source d’eau chaude voluptueuse à un pique-nique dans une nature domestiquée, de la nuit au jour, d’un fantasme à l’autre. Là encore les positions des personnages jouent un rôle fondamental pour figurer la réalité des enjeux. Mais il faut tenir compte également de la musique, ces percussions redoublant le danger ou l’annonçant, et de la représentation des arbres : dénudés dans la réalité, opulents dans l’illusion. Mizoguchi semble mettre en garde contre la beauté trompeuse, que ce soit à travers Wakasa, blanche et figée, la céramique devenue ornement et fierté, ou ces plaines dégagées, trop étales, trop parfaites. Le diable se niche dans le faste.
On s’en doute, le parcours des héros est initiatique, mais qui ne peut conduire qu’à l’échec. La leçon est rude et se clôt sur le point de départ, et, malgré l’apaisement, la dissipation des illusions, c’est l’amertume qui prédomine quand, dans un travelling inverse du travelling initial, le film se boucle sur l’enfermement des survivants et la voix d’outre-tombe sujette aux regrets.
Il faudrait tout citer, tant le film, dans son impeccable rigueur, est d’une intelligence de chaque image. On remarquerait la beauté du plan-séquence qui voit en un seul mouvement Tobei entrer dans la maison d’un samouraï, lui demander de l’accepter, et se faire rejeter : la vigueur de cette scène reproduit en miniature le destin du personnage. Il faudrait montrer le rôle de la lumière, associée au mal (voir la somptueuse séquence dans laquelle des servantes de Wakasa allument des bougies), la science des éclairages dans les décors qui dévoilent et dissimulent tour à tour en un jeu complexe de significations. Mais l’œuvre est inépuisable. À la fois d’un abord facile et d’une invention constante, elle se prête à la fascination comme à l’analyse. Elle peut même se concevoir comme un mélodrame moral sur l’après-guerre, le consumérisme, la bestialité et l’absurdité de la guerre. Mais elle est d’abord une leçon de cinéma, sans doute inégalée.
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