L’art du shinpa
Le 9 septembre 2015
Cette œuvre sensible et méconnue, tournée en 1939 dans un Japon en sépia de l’avant-guerre, a fait l’objet d’une restauration numérique 4K.
- Réalisateur : Kenji Mizoguchi
- Acteurs : Yôko Umemura, Kôkichi Takada, Shôtarô Hanayagi, Gonjurô Kawarazaki, Kakuko Mori
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Carlotta Films
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 2h23
- Titre original : Zangiku monogatari
- Date de sortie : 24 juin 1981
- Festival : Festival de Cannes 2015
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– Date de reprise en version restaurée : 9 septembre 2015
– Date de sortie initiale au Japon : 13 octobre 1939
– Année de production : 1938
L’argument : Tokyo à la fin du XIXe siècle. Kikunosuke est un jeune acteur de kabuki extrêmement populaire qui jouit d’un énorme succès auprès des femmes. Il est en réalité un piètre comédien, ce que personne n’a le courage de lui dire car il est le descendant d’une célèbre lignée d’acteurs. Seule Otoku, la bonne de la famille, ose lui parler franchement et l’incite à travailler davantage son jeu. Les deux jeunes gens se rapprochent progressivement. Lorsque la famille de Kikunosuke découvre leur amour, Otoku est immédiatement renvoyée chez elle. Le jeune acteur décide alors de quitter Tokyo pour partir rejoindre sa bien-aimée à Osaka…
Notre avis : En 1939, Kenji Mizoguchi a déjà soixante-et-un films à son actif, avec une prédilection pour le réalisme social, à travers des récits sur l’oppression des femmes d’une grande élaboration formelle. Malgré le succès public et critique de L’élégie d’Osaka et Les sœurs de Gion, le cinéaste dut renoncer à explorer les failles de la société de son temps. En effet, une nouvelle loi plaçant le cinéma dans les rails de la « politique nationale » du gouvernement militaire balisa son inspiration, et Mizoguchi se vit contraint de se réfugier dans le passé. Pourtant, Le conte du chrysanthème tardif s’avère un film d’un ton très personnel, qui ne trahit pas les exigences esthétiques de son auteur. Le scénario, écrit par Yoshikata Yoda, collaborateur habituel du cinéaste, est l’adaptation d’un roman de Shôfû Muramatsu. Mais la trame principale est en cohérence avec l’univers de Mizoguchi. Il s’agira du premier volet d’un triptyque sur le métier de comédien, traité sur le mode du shinpa. Ce genre classique au Japon privilégie le drame sentimental à l’issue tragique. Pour incarner Kikunosuke Onoue, Mizogochi a choisi un véritable comédien de kabuki, ce théâtre pratiqué au fil des siècles par des dynasties. Âgé de 45 ans, Shôtarô Hanayagi, expérimenté dans son art, n’était plus un jeune premier, et le cinéaste dut recourir à des plans longs et larges pour masquer les ravages du temps. À ses côtés, la jeune Kakuko Mori, étoile filante du cinéma japonais, déploie un jeu plus instinctif et naturel. La différence d’âge et de tempérament entre les deux interprètes ne nuit en rien à la crédibilité du film ; elle renforce même la mise en abyme au cœur de cette intrigue sur les rapports entre l’art et la vie. Le conte du chrysanthème tardif est en effet une belle romance épurée, mais aussi une réflexion subtile sur l’art du comédien.
Ne croyant pas au « don » des artistes, mais guère plus à l’absence définitive de talent, Mizoguchi fait l’éloge de la persévérance et du poids des souffrances de la vie pour faire jaillir la source créatrice, au-delà de la simple maîtrise technique. Et l’on peut penser que le cinéaste s’est fortement projeté dans son personnage d’artiste de kabuki. En même temps, l’exclusion dont fait l’objet Otoku, victime d’un mépris de classe, confirme l’intérêt du cinéaste pour ces figures féminines aliénées, qui culminera avec Les amants crucifiés ou La vie d’O’Haru femme galante. Au niveau plastique, le film subjugue par sa maîtrise des plans-séquences longs, rarissimes dans le cinéma des années 30, et sa capacité à mettre la mise en scène au service de la dramaturgie. On appréciera ainsi la première discussion entre les deux protagonistes, au cours de laquelle la caméra rythme les dialogues d’un couple qui se cherche et se fuit. Et quand Kikunosuke cherche sa bien-aimée parmi des boutiques ou dans les compartiments d’un train, des travellings latéraux aux effets de panneaux coulissants traduisent avec finesse son affolement. Quant à l’utilisation du hors-champ ou du surgissement de personnages dans le champ pour susciter la tension, elle révèle tout autant un cinéaste dans la plénitude de son style. Jalon majeur de la filmographie de Mizoguchi, Le conte du chrysanthème tardif a par ailleurs sa place au rayon des œuvres ayant cerné les correspondances entre le théâtre et la vie, des Enfants du paradis au Dernier métro, en passant par Le carrosse d’or. Le film a fait l’objet d’une restauration numérique issue d’un transfert 4K, à l’initiative du studio Sochiku.
Gérard Crespo - En collaboration avec le site
CINEMASMAG
(C) Carlotta Distribution
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