La femme du maître
Le 19 août 2014
Dans le Japon du XVIIe siècle l’amour fait fi du carcan social. Un chef d’oeuvre de Mizoguchi à réévaluer à l’occasion de sa reprise en salle.
- Réalisateur : Kenji Mizoguchi
- Acteurs : Kazuo Hasegawa, Kyōko Kagawa, Eitarō Shindō, Haruo Tanaka, Ichirō Sugai, Eitarō Ozawa (Sakae Ozawa), Yōko Minamida, Chieko Naniwa, Tatsuya Ishiguro, Hisao Tōake, Hiroshi Mizuno
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h42mn
- Titre original : 近松物語 - Chikamatsu Monogatari
- Date de sortie : 15 mai 1957
- Festival : Festival de Cannes 1955
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– Sortie au Japon : 23 novembre 1954
– Reprise en salle : 20 août 2014 (Films sans Frontières)
© les Films sans Frontières
Dans le Japon du XVIIe siècle l’amour fait fi du carcan social. Un chef d’oeuvre de Mizoguchi à réévaluer à l’occasion de sa reprise en salle.
L’argument : Kyoto au 18ème siècle. Osan, l’épouse du grand imprimeur du Palais Impérial, demande à Mohei, l’employé préféré de son mari, de lui consentir un prêt pour aider sa famille. Mohei, qui aime en secret Osan, veut utiliser le sceau de l’imprimeur pour obtenir cet argent. Son projet frauduleux découvert, Mohei se dénonce à son patron.
Mais suite à un concours de circonstances, Osan est surprise aux côtés de Mohei. Compromise mais irréprochable, lassée des infidélités de son mari, Osan préfère quitter son foyer. Mohei fuit avec elle, et va être amené, malgré leur différence de classe, à lui déclarer son amour...
Notre avis : Troisième film de Mizoguchi sorti au Japon au cours de la seule année 1954, après Sanshō Dayū - l’intendant Sansho et Usawa no Onna - Une femme dont on parle, Shikamatsu monogatari est, comme l’indique son titre original, tiré d’une pièce de jōruri (théâtre de marionnettes qui deviendra plus tard le bunraku) de Mozaemon Chikamatsu (1653 - 1725), intitulée Daikyōji Mukashi-Goyomi (1715) et reposant sur un fait divers de 1676. Mais le scénario, signé Yoshitaka Yoda et Matsutarō Kawaguchi, s’inspire également d’un des cinq contes de Iharu Saikaku constituant le recueil Koshōku Gonnin Onna (1686) qui avait déjà servi de point de départ pour Saikaku Ichidai Onna - La vie de O’haru, femme galante.
- 近松物語 - Chikamatsu Monogatari - Mizoguchi - Daei 1954
Il semble, à en croire les témoignages, notamment celui de Yoda, que Mizoguchi ait accepté sans enthousiasme ce projet et qu’il se soit très mal entendu avec la star Kazuo Hasegawa, trop âgé, à 46 ans, pour le rôle de Mōhei, rétif à se laisser diriger et à canaliser sa propension au sur-jeu et au sentimentalisme.
Ces réserves de l’auteur semblent, comme c’est souvent le cas, avoir influencé la réception critique du film, considéré parfois comme mineur, en tous cas légèrement en retrait par rapport à la fulgurante beauté des chefs d’oeuvres que sont Ugetsu monogatari - Contes de la lune vague après la pluie ou Sanshō Dayū.
On peut en effet craindre un moment que la méticulosité scrupuleuse de la reconstitution historique, l’articulation complexe du scénario et la splendeur de la photo du grand Kazuo Miyagawa enferment l’ensemble dans une forme d’académisme.
- 近松物語 - Chikamatsu Monogatari - Mizoguchi - Daei 1954
Pourtant, d’entrée de jeu, quelle acuité du regard, quelle maestria presque invisible, quelle précision de la conduite du plan-séquence dans la manière dont la caméra explore la vaste demeure-atelier de l’imprimeur de cour, déroule et découvre le théâtre des convenances, des sourdes intrigues, des méprises révélatrices, des conflits et des désirs latents mais prêts à éclater au grand jour.
Le trait est acéré, la comédie satirique n’est souvent pas loin et certains personnages sont proches de la géniale caricature : le mari bien sûr, odieux et pathétique (Eitarō Shindō, dans une composition savoureuse), l’infâme Sukeemon (Eitarō Ozawa), mais aussi le frère viveur (Haruo Tanaka) et la mère, dont Chieko Naniwa fait un sommet de fourberie cauteleuse.
Mais à aucun moment la mise en scène ne s’enferme dans ce registre et la férocité est sans cesse menacée par l’émotion prête à surgir et pouvant être suscitée par un simple geste : Osan qui, prise pour la servante Otama dans l’obscurité de la chambre et n’en pouvant plus de cette situation fausse, retire vivement le voile couvrant la lampe et révèle ainsi son identité à Mohei médusé.
- 近松物語 - Chikamatsu Monogatari - Mizoguchi - Daei 1954
Surtout, une amplitude du regard, une attention à tout ce qui vit dans le plan à côté, au delà de l’intrigue proprement dite, permettent aux décors et aux simples figurants d’exister de manière autonome, sans être réduits à leur fonction dramatique et, lorsque le couple s’enfuit et que s’amorce une fuite éperdue sur des sentiers de montagnes et des lacs embrumés, d’accueillir l’irruption d’une nature certes inhospitalière mais qui permettra aux héros de s’affranchir du carcan social et, au cours d’une bouleversante scène de double-suicide avorté sur une barque, d’accepter leur amour.
Le lyrisme intense, mais tenu, comme aux aguets, que le film déploie alors confirme une fois de plus que, oui, décidément, le cinéma c’est Mizoguchi et Mizoguchi c’est le cinéma.
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