Dans la brume du matin
Le 9 août 2011
Un film rare de l’immense Mizoguchi que les ressorts mélodramatiques de son scénario n’empêchent pas d’atteindre au sublime.
- Réalisateur : Kenji Mizoguchi
- Acteurs : Kumeko Urabe, Sō Yamamura, Ken Uehara, Yoshiko Kuga, Haruo Tanaka, Michiyo Kogure, Eijirô Yanagi, Yuriko Hamada, Haruya Kato, Shizue Natsukawa
- Genre : Mélodrame
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Films sans Frontières
- Durée : 1h29mn
- Titre original : 雪夫人絵図 - Yuki Fujin ezu
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– Sortie en version restaurée le 19 juillet 2017
– Sortie au Japon : 14 octobre 1950
Un film rare de l’immense Mizoguchi que les ressorts mélodramatiques de son scénario n’empêchent pas d’atteindre au sublime.
L’argument : La jeune campagnarde Hamako est toute heureuse de venir travailler comme servante dans la villa de Madame Yuki, qu’elle vénère depuis qu’elle l’a vue lors de son mariage quelques années plus tôt. Elle est accueillie par San, en service dans la maison depuis plus de trente an, et l’adolescent Seitaro, éperdument amoureux de Yuki. L’image idéalisée qu’Hamako a de sa patronne est très vite mise à l’épreuve de la réalité : Yuki est incapable de résister à son mari Naoyuki qui pourtant ne cesse de l’humilier, la trompe et dilapide sa fortune.
Un voisin, le maître de Koto Kataya, amoureux lui aussi de Yuki, ne parvient pas à se déclarer et à libérer la jeune femme de l’emprise de son mari qui, manipulé par sa maîtresse Ayako et l’amant de celle-ci, Takeoka, transforme la villa en un hôtel de luxe qu’il demande d’abord à sa femme de gérer avant d’y installer sa maîtresse.
Enceinte de son mari qu’elle abhorre, honteuse de sa propre faiblesse, Yuki se suicide en se noyant dans le lac au petit matin. Hamako, ramassant les bijoux laissés sur la rive par sa patronne, les jette furieusement dans l’eau en invectivant la morte, lui reprochant sa lâcheté avec véhémence.
Notre avis : Produit par la Shintoho après la rupture de Mizoguchi avec la Shochiku qui avait reporté le projet de La vie de O’Haru, femme galante (tourné finalement en 1952), Yuki Fujin ezu est considéré comme le premier volet d’une trilogie consacrée à des portraits de femmes malheureuses (les deux autres seront Oyu-sama, d’après Tanizaki, et Musashino Fujin, tous deux interprétés par Kinuyo Tanaka).
En adaptant un roman de Seiichi Funabashi, les scénaristes Kazuro Funabashi et Yoshikata Yoda, le fidèle collaborateur depuis 1936 (Elégie de Naniwa et les Soeurs de Gion), ont choisi de jeter un regard extérieur et critique sur un monde aristocratique en voie de disparition en adoptant (mais pas en permanence) le point de vue de la jeune servante campagnarde à laquelle la toujours parfaite Yoshiko Kuga (Une femme dont on parle) prête sa droiture déterminée et fragile. Le mouvement de grue ascendant qui accompagne sa montée vers la villa fait bien sentir l’émerveillement qu’elle éprouve en découvrant le monde de luxe raffiné (la vaste salle de bain carrelée avec ses reflets de lumière) dans lequel vit celle qui représente pour elle un idéal de beauté et de noblesse.
La cruelle désillusion liée à la révélation de la faiblesse, de la lâcheté même de Yuki face à la vulgarité agressive de son mari (Eijiro Yanagi) et du couple d’intrigants qui l’accompagne donnera lieu à quelques grands moments de mise en scène mizoguchienne jouant sur le montré et le caché, comme celle où, entrant dans la chambre des époux et découvrant horrifiée qu’ils ont fait l’amour, elle laisse, de stupeur, tomber le plateau qu’elle avait dans les mains.
Le film, mal aimé de son auteur, n’est pas exempt de faiblesses : la musique est trop insistante, les ressorts mélodramatiques souvent attendus (la première tentative de suicide de Yuki découvrant sa grossesse) et les personnages de la maîtresse et de son amant-acolyte (So Yamamura) restent caricaturaux.
Pourtant Mizoguchi excelle à faire surgir, sous une apparence lisse et élégante, vérité et émotion et à tirer le meilleur de ses acteurs, en particulier Ken Uehara, en maître de Koto obligé de se soûler pour oser avouer son amour, et l’admirable Michiyo Kogure dans le rôle titre.
La splendeur de la photo signée George (Joji) Ohara et la fluidité voluptueuse des mouvements d’appareils célèbrent l’univers à la beauté presque irréelle dans lequel se réfugient ces deux êtres désarmés devant la cruauté du monde réel et conscients de leur incapacité à l’affronter. Tout le film est empreint d’une douceur contemplative qui culmine lors d’une séquence finale absolument sublime au cours de laquelle la caméra, après avoir accompagné la promenade nocturne de Yuki, suit les déplacements du serveur qui, arrivant sur la terrasse au petit matin, la voit apparaître sur la pelouse et s’assoir sur une chaise de jardin, rentre dans l’hôtel et, revenu avec le plateau du petit déjeuner, constate avec nous qu’elle n’est plus là.
L’immense Mizoguchi ne quittera plus guère ces sommets dans les onze chefs-d’oeuvre qu’il enchaînera au cours des six ans qui lui restent à vivre.
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