Peinture vivante
Le 3 juin 2012
Cet autoportrait de l’artiste en peintre d’estampes du 18ème siècle célèbre l’art éphémère, l’amour sans demi-mesures, et la fragilité du monde flottant.
- Réalisateur : Kenji Mizoguchi
- Acteurs : Kinuyo Tanaka, Minosuke Bandô, Kôtarô Bandô, Hiroko Kawasaki, Toshiko Iizuka, Eiko Ohara, Shôtarô Nakamura, Kiniko Shiratao, Mimpei Tomimoto
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h35mn
- Titre original : 歌麿をめぐる五人の女 (Utamaro o meguru gonin no onna)
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– Sortie au Japon : 17 décembre 1946
Cet autoportrait de l’artiste en peintre d’estampes du 18ème siècle célèbre l’art éphémère, l’amour sans demi-mesures, et la fragilité du monde flottant.
L’argument : Au XVIIIe siècle, Kitagawa Utamaro est un peintre considéré comme un spécialiste du portrait féminin. Il entretient avec ses différents modèles des rapports ambigus, dans un tourbillon passionnel qui va bientôt le dépasser…
Notre avis : Entre 1945 et 1949 l’oeuvre de Mizoguchi, qui avait atteint un degré d’accomplissement apparemment indépassable avec des titres tels que Zangiku monogatari / Contes des chrysanthèmes tardifs (1939), traverse une passionnante période de crise.
- Utamaro o meguru gonin no onna (Mizoguchi 1946)
Josei no shôri / La victoire des femmes, Joyû Sumako no koi / L’amour de l’actrice Sumako, Yoru no Onna Tachi / Femmes de la nuit ou Waga koi wa moenu/ Flamme de mon amour, ardents plaidoyers féministes, sont des films admirables, souvent saisissants, mais à la forme parfois un brin figée et aux dialogues volontiers explicatifs.
Ces scories et hésitations sont absentes de Utamaro o meguru gonin no onna/ Cinq femmes autours d’Utamaro qui est assurément le fleuron de cette période intermédiaire.
Le fameux peintre d’estampes Kitagawa Utamaro (v. 1753 - 1806) y apparaît, sous les traits de Minnosuke Bando, comme un double du cinéaste. Dans ses Souvenirs, publiés en français dans les Cahiers du Cinéma de 1965 à 1968 et plusieurs fois réédités en volume depuis, Yoshikata Yoda, le scénariste fidèle, avouait avoir voulu faire presque inconsciemment le portrait de Mizoguchi.
Citant ses propres notes préparatoires il décrivait : Utamaro noyé dans le féminin. Il abrège sa vie à consacrer toute son énergie aux femmes. Mais cette vie qu’il a gaspillée avec elles, pour elles, ressuscite dans sa peinture.
- Toshiko Iizuka et Minosuke Bando dans Utamaro o meguru gonin no onna (Mizoguchi 1946)
Loin des hagiographies grandiloquentes et empesées, l’artiste y est montré comme un homme parfois ridicule, faible, velléitaire, facilement apeuré, mais aussi orgueilleux et sûr de son talent, dont l’oeil s’illumine d’une joie gourmande, enfantine, lorsque son envie de peindre s’éveille à la vue d’un support inédit (le dos de la courtisane), d’un motif nouveau (les corps des dizaines de jeunes femmes se dévêtant avant de se jeter à l’eau pour satisfaire le caprice d’un potentat) ou quand on lui délie les mains après cinquante jours d’ abstinence imposée.
Consacrant sa vie à la célébration de la beauté vivante il entre forcément en conflit avec les peintres académiques, adeptes d’un art décoratif et figé, mais aussi avec l’ordre établi en général.
- Kinuyo Tanaka dans Utamaro o meguru gonin no onna (Mizoguchi 1946)
Cet pratique d’un art sans compromission, exercé en pure perte, insoucieux des règles à fixer et de la postérité (le tatouage qu’on verra une dernière fois sur la peau de la jeune femme assassinée) trouve un écho dans la conception de l’amour professée et vécue jusqu’au crime par la courtisane Okita (sublime Kinuyo Tanaka) qui est le pendant féminin d’Utamaro dans le film. Lorsque, hagarde mais calme, elle vient le voir une dernière fois avant de se livrer à la police, elle lui déclare à peu-près : Je suis comme toi.
Loin de se réduire à une profession de foi, l’oeuvre déploie une grande variété de motifs. Le pathétique et le tragique n’y sont pas soulignés et le soin maniaque de la reconstitution historique y est contrebalancé par un humour permanent, un sens aigu du dérisoire et du grotesque (le duel des deux courtisanes se disputant leur homme-objet).
La photo splendide, signée Shigeto Miki, ressuscite l’univers de l’estampe (Utamaro bien sûr, mais aussi Utagawa Hiroshige pour les scènes d’ensemble) sans tomber dans les travers du pictural.
- Kinuyo Tanaka et Minosuke Bando dans Utamaro o meguru gonin no onna (Mizoguchi 1946)
L’art de la mise en scène, le jeu du montré et du caché, est ici d’une sûreté de main sidérante. Les déplacements latéraux, figure de style mizoguchienne par excellence, sont d’une lenteur voluptueuse, et les fréquents fondus au noir séparant des scènes inachevées et comme laissées en suspens installent une troublante sensation de discontinuité temporelle.
Il n’y a guère d’autre film qui ressuscite avec un tel bonheur expressif l’esprit du monde flottant.
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