Mauvaise humeur paternelle
Le 17 août 2020
Le premier film en couleurs d’Ozu est une comédie automnale, dont la mélancolie toujours présente rend poignante la radieuse légèreté.
- Réalisateur : Yasujirō Ozu
- Acteurs : Chishū Ryū, Kinuyo Tanaka, Keiji Sada, Fumio Watanabe, Ineko Arima, Ureo Egawa, Shin Saburi, Yoshiko Kuga, Nobuo Nakamura, Miyuki Kuwano, Fujiko Yamamoto, Chieko Naniwa, Teiji Takahashi, Toyo Takahashi
- Genre : Comédie
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Carlotta Films
- Durée : 1h57mn
- Reprise: 19 août 2020
- Titre original : Higanbana
- Date de sortie : 15 février 1969
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Résumé : Un groupe d’anciens amis se retrouve autour d’un verre de saké et discute de l’avenir de leurs filles, désormais en âge de se marier. L’un d’eux, Wataru Hirayama, est un cadre supérieur fermement attaché à ses valeurs conservatrices, mais tenant parfois auprès de ses amis un discours progressiste sur l’amour et le mariage. Un jour, un jeune homme se présente à son bureau : il se nomme Masahiko Taniguchi et demande la main de Setsuko, sa fille aînée. La décision d’Hirayama est sans appel : il refuse que sa fille épouse l’homme qu’elle aime…
Critique : En 1957, Ozu, très impressionné par le sublime Nuages flottants de Naruse, avait tourné un de ses films les plus controversés, le très noir et désespéré Tokyo boshoku - Crépuscule de Tokyo qui continue de partager ses admirateurs.
L’humour si caractéristique de son oeuvre reprend pleinement ses droits dans ce Higanbana où il se décidait à utiliser pour la première fois la couleur, cédant officiellement à la demande du directeur de la Schochiku soucieux de mettre en valeur la star Fujiko Yamamoto, empruntée à la DAEI et employée ici dans un rôle de Dea ex machina relativement secondaire mais néanmoins essentiel dans la mise en place de la machination au cœur de l’intrigue (cette Yukiko Sasaki affublée d’une mère fatigante, jouée par Chieko Naniwa, occupée à trouver puis rejeter inlassablement des gendres idéaux mais qui s’avérera finalement moins idiote qu’elle ne veut le faire croire).
- Keiji Sada, Ineko Arima : Higanbana (OZU 1958)
- Copyright Carlotta
Les détails comiques abondent, qu’ils mettent en avant les ridicules touchants de personnages à la fois caricaturaux et humains ou les bizarreries, coïncidences et incongruités de la vie : les employés de la gare comparant les mariées pas très belles qu’ils ont vu passer dans la journée et dont une seule trouve grâce à leurs yeux ; Mme Sasaki dans la maison de ses hôtes, s’arrêtant sur le chemin des toilettes devant un balai posé par terre et qu’elle ne peut s’empêcher de raccrocher à sa patère ; l’employé très gêné de voir débarquer son patron dans le petit bar dont il est un habitué ; les blagues pas toujours très fines lors des soirées récurrentes entre anciens camarades d’écoles ; ou encore l’ami (Nobuo Nakamura) qui fait semblant d’accepter de mauvaise grâce le rôle de père de substitution pour la cérémonie du mariage afin de provoquer l’inévitable sursaut d’amour propre blessé du père véritable.
L’intrigue centrale est elle-même de nature comique et l’interprétation de Shin Saburi en papa vexé, bougon et soudain colérique, à qui on doit forcer la main, souligne cette tonalité humoristique tout en faisant sentir le désarroi de cet homme de cinquante ans confronté au désir d’émancipation de sa fille, à l’évolution du monde et surtout à ses propres contradictions.
- OZU 1958 : Higanbana - Mme Hirayama (Kinuyo Tanaka) tape le rythme en écoutant la musique à la radio.
- Copyright Carlotta
Ce personnage affichant des idées larges, se crispant toutefois lorsqu’il est défié dans son autorité, est au centre du film, mais celui, plus en retrait, de la mère n’est finalement pas moins important. Le scénario, écrit par Ozu et Noda en même temps que le roman homonyme de Ton Satomi, et surtout l’interprétation, admirable, de la grande Kinuyo Tanaka, en font même l’organisatrice discrète de la résistance qui va finalement désarmer son mari et le mettre devant le fait accompli (sur le mode "Je savais bien que tu dirais oui", alors qu’il se cramponne encore à son refus). Son sourire radieux lorsqu’elle lui répond "Ne dis rien vas-y" quand, lui téléphonant d’Ozaka, il lui demande s’il doit poursuivre son chemin jusqu’à Hiroshima pour rendre visite à sa fille mariée, exprime au mieux la joie sereine de celle qui savait que c’était la seule issue possible.
La splendeur visuelle de la photo en Agfacolor du grand chef opérateur Yuharu Atsuta permet de donner un rôle déterminant à la couleur rouge (celle de l’higanbana, Lycoris radiata, la fleur qui donne son titre au film, investie au Japon d’une forte charge symbolique liée à l’idée de la séparation).
- OZU 1958 : Higanbana
- Copyright Carlotta
Elle contribue, avec ce sens du cadrage n’allant jamais de soi, mais toujours imparable, et la merveilleuse respiration insufflée par les fameux plans d’oreillers, à créer une irrésistible atmosphère de légèreté teintée de mélancolie, qui font de ce film choral, aux multiples effets de miroirs (le couple fille-père à réconcilier, joué par les magnifiques Yoshiko Kuga et Chishû Ryû), habité par une foule de silhouettes familières au spectateur habitué de l’univers d’Ozu, une des très belles réussites d’un cinéaste chez qui la complexité extrême aboutit une fois de plus à une sensation de totale simplicité et d’évidence.
- OZU 1958 : Higanbana (Ineko Arima , Fujiko Yamamoto et Yoshiko Kuga)
- Copyright Carlotta
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