Poisson lent
Le 5 novembre 2012
Un Ozu à première vue un peu bancal mais qui, entre vivacité enjouée et amertume évitée de justesse, fait mouche.
- Réalisateur : Yasujirō Ozu
- Acteurs : Chishū Ryū, Chikage Awashima, Kuniko Miyake, Shin Saburi, Michiyo Kogure, Eijirô Yanagi, Yûko Mochizuki
- Genre : Comédie dramatique, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Carlotta Films
- Durée : 1h56mn
- Reprise: 1er août 2018
- Titre original : Ochazuke no aji (お茶漬の味)
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– Sortie en version restaurée : 1er août 2018
– Sortie au Japon : 1er octobre 1952
- spip-bandeau
L’argument : Taeko, une jeune femme de la bonne société, est excédée par le manque de vivacité de son mari Mokichi, un homme d’affaires d’origine paysanne.
Elle trouve des prétextes variés pour retrouver ses amies dans une station thermale. Au cours de ces escapades les unes et les autres se moquent allègrement de leurs maris respectifs.
Les rapports du couple s’enveniment lorsque la nièce de Taeko ne vient pas à un rendez-vous avec un prétendant arrangé par sa tante et que celle-ci découvre que son mari était au courant.
A table elle lui reproche vivement sa manière rustre de laper le riz et ne le laisse pas parler lorsqu’il essaye de lui annoncer que sa compagnie veut lui confier un poste en Uruguay.
Elle n’est pas là lorsqu’il apprend qu’il doit anticiper son départ et lui envoie un télégramme trop laconique.
Mais son avion ayant eu une panne, il revient pour une nuit à la maison et le couple se réconcilie autours d’un bol d’ochazuké, du riz au thé vert.
Notre avis : Pour ce film choral mais centré sur les incompréhensions et malentendus provoqués par les rapport de classes au sein du couple improbable formé par une grande bourgeoise distinguée et un homme d’affaires d’origines modestes, Ozu et Kôgo Noda, son scénariste attitré depuis Banshun/Printemps tardif, ont adapté au contexte du Japon des années 50 un scénario de 1940 qui devait à l’origine avoir pour toile de fond la guerre sino-japonaise et n’avait pas surmonté l’obstacle de la censure.
- Chishû Ryu dans Ochazuke no aji (Ozu 1952)
La greffe ne se fait pas sans quelques petits problèmes, dus notamment à l’âge de l’acteur Shin Saburi, qui devait déjà interpréter le mari dans la version d’origine. Il n’a plus, en 1952, la gaucherie juvénile qui faisait merveille dans Les masseurs et la femme (Shimizu 1938) ou dans Les frères et sœurs Toda (Ozu 1941) mais s’avère toujours excellent en paysan trop taciturne dont l’absence de vivacité et les manières frustes exaspèrent sa femme au point qu’elle ne le voit plus qu’à travers le sobriquet ("Monsieur l’Endormi") que lui ont trouvé ses amies, le comparant à un poisson un peu trop lent qui se fait voler sa nourriture par les autres plus rapides.
Michiyo Kogure, qui remplace Michiko Kuwano (décédée en 1946), est elle aussi parfaite en grande bourgeoise capricieuse qui pourrait être insupportable si elle ne peinait pas tant à cacher ses accès d’humeur ou son désarroi et n’avait cette manière irrésistible de se gratter machinalement le cou (un de ces gestes inutiles qui permettent de trouver la vérité d’une situation dans le cinéma très physique d’Ozu).
Dans un style encore proche de celui de ses films d’avant-guerre, riche en surprises visuelles (la tête du propriétaire de la salle de pachinko, joué par Chishû Ryu, surgissant tel un montreur de marionnettes au-dessus de son théâtre miniature), le cinéaste recourt souvent aux mouvements d’appareil (par exemple en avançant ou reculant pour élargir ou resserrer le champ) et adopte d’abord le ton enjoué qui lui réussit si bien, filmant amoureusement la ville de Tokyo et prenant le temps de s’attarder sur des personnages et des épisodes qu’on ne peut qualifier de secondaires, tant tout est mis sur le même plan, sans hiérarchie.
- Ochazuke no aji
Mais la gravité prend peu à peu le pas sur la légèreté au fur et à mesure que le couple s’achemine vers ce qui semble être un point de non retour. La scène de l’aéroport (le cadrage tranché qui coupe l’avion en son milieu ; le contrechamp des amis alignés sur la passerelle) et celle du retour de l’épouse (avec sublimes plan d’oreillers de la maison vide, plongée dans l’obscurité) sont poignantes dans leur refus de l’effusion, leur simplicité ô combien élaborée).
Mais le film offre à ses protagonistes une seconde chance inespérée au cours d’une euphorisante séquence de complicité enfantine hors du temps et du monde au cours de laquelle mari et femme, seuls dans la cuisine (les domestiques dorment) explorent un espace domestique auquel ils ne prêtaient pas attention et qu’ils découvrent émerveillés tout en réapprenant à se voir vraiment et à s’aimer.
Stoppant net l’émotion qui menace à ce moment de submerger le spectateur (la fin de la scène est confiée au récit à posteriori par l’épouse après le départ du mari, avec ce qu’il faut de distance amusée), Ozu, sachant qu’il a fait mouche, peut conclure élégamment en retrouvant le ton enjoué et l’inconséquence persifleuse du début.
- Shin Saburi et Michiyo Kogure dans Ochazuke no aji (Ozu 1952)
Signalons que ce film est inclu dans le coffret : Ozu, volume II édité chez Carlotta il y a quelques années.
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