Sans amertume
Le 27 février 2015
Naruse et son interprète Kinuyo Tanaka consacrent à la vie d’une hôtesse de bar à Ginza un chef d’œuvre discret qui sait émouvoir sans chercher à en imposer par une dramatisation forcée ou une virtuosité formelle ostentatoire.
- Réalisateur : Mikio Naruse
- Acteurs : Kinuyo Tanaka, Eijirō Tōno, Kyōko Kagawa, Haruo Tanaka, Eijirô Yanagi, Ranko Hanai, Yuji Hori
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h27mn
- Titre original : 銀座化粧 - Ginza gesho
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– Sortie au Japon : 14 avril 1951
Naruse et son interprète Kinuyo Tanaka consacrent à la vie d’une hôtesse de bar à Ginza un chef d’œuvre discret qui sait émouvoir sans chercher à en imposer par une dramatisation forcée ou une virtuosité formelle ostentatoire.
L’argument : Yukiko, hôtesse de bar à Ginza, habite avec son fils Haruo, dans un vieux quartier de Tôkyô épargné par la guerre.
Son ancien amant, Hajimura, tente une fois de plus de lui emprunter de l’argent.
Dans le bar Bel ami où elle travaille, Yukiko prends sous sa protection une collègue plus jeune, Kyoko.
La patronne ayant besoin d’argent, elle demande à ses hôtesses de rembourser leur dette. Sur les conseils de son amie Shizue, Yukiko accepte de rencontrer un protecteur potentiel, Kanno, dont elle finit pourtant par repousser les avances.
Shizue lui demande ensuite de s’occuper d’un provincial en visite à Tôkyô, Ishikawa, à qui elle présente Yukiko comme une veuve de guerre respectable.
Celle-ci se prète au jeu mais, visitant Ginza avec Ishikawa, croise Kanno ivre et a le plus grand mal à se sortir de cette situation embarrassante.
De plus en plus attirée par Ishikawa, elle commense à envisager une vie possible à ses côtés (Vous épouseriez une veuve ?) mais Kyoko survient, annonçant que Haruo a disparu.
Yukiko confie Ishikawa à celle qu’elle présente comme sa jeune soeur pour partir à la recherche de son fils.
Lorsque celui-ci revient tout content (il est aller voir les bateaux et ramène des poissons dans son sac), sa mère le gifle.
Apprenant par Shizue que Ishikawa est reparti sans même la saluer et qu’une jeune fille l’a accompagné à la gare elle commence à faire une leçon de morale à Kyoko. Mais celle-ci lui apprend que Ishikawa lui a demandé de l’épouser.
Quelques jours plus tard, Yukiko reçoit de nouveau la visite de Hajimura mais lui fait clairement comprendre qu’il n’a plus rien à attendre d’elle. Elle promet à Haruo de l’emmener au zoo puis s’achemine vers le bar.
Notre avis : Les biographies de Naruse s’accordent généralement à considérer comme un passage à vide dans l’œuvre du cinéaste la période de l’immédiat après-guerre précédant , soit les neufs films sortis au Japon entre le 28 mars 1946 (Urashima Taro no koei) et le 28 octobre 1950 (Bara gassen- La bataille des roses). Ces films étant pour la plupart invisibles, il est difficile de vérifier ce jugement que relativisent fortement les témoignages enthousiastes des privilégiés qui ont eu accès à Haru no mezame / L’éveil du printemps (1947).
- Ginza gesho - Naruse - Shintoho 1951
- Ginza gesho - Naruse - Shintoho 1951
La comparaison entre La bataille des roses et ce Ginza Gesho qui lui succède à quelques six mois de distance, est néanmoins sans appel : autant le premier reste extérieur à une intrigue compliquée qu’il déroule avec un formalisme froid, très maîtrisé mais privé d’enjeu véritable, et ne retient l’attention que grâce à une direction d’acteurs impeccable (Kuniko Miyake en femme d’affaires manipulatrice au masque imperturbable) et à quelques passages forts (le mari essayant de tuer sa femme pendant qu’elle prend son bain, en montant le chauffage au maximum, mais se précipitant pour la sauver lorsqu’il l’entend tomber), autant dans le second chaque plan vit intensément de sa vie propre et le récit avance en douceur, comme naturellement, sans être conditionné par les rouages du drame et sans instrumentaliser les personnages, les priver de leur autonomie, comme s’ils pouvaient à tous moments penser à autre chose et prendre une direction différente de celle prévue pour eux.
Les aspects mélodramatiques du scénario, qui rattachent le film au genre alors en vogue du film de femmes, sont à peine esquissés, l’héroine semblant observer ce qui lui arrive sans se faire trop d’illusions mais sans céder à l’amertume non plus. Lorsque, par exemple elle doit momentanément céder sa place auprès de l’homme aimé à sa jeune protégée pour partir à la recherche de son fils fugueur, le spectateur perçoit parfaitement qu’elle renonce ainsi à la perspective d’une nouvelle vie heureuse qui semblait s’esquisser pour elle, et surtout qu’elle le sait.
Cette conscience de la perte irréparable, l’immense Kinuya Tanaka parvient à la suggérer en ne montrant rien, son personnage ne se trahissant, un peu plus loin, que par la gifle rageuse qu’elle administre à l’enfant revenu.
- Ginza gesho - Naruse - Shintoho 1951
- Ginza gesho - Naruse - Shintoho 1951
Si Yukiko est indéniablement la protagoniste du film, Naruse ne s’intéresse pas moins à tout ce qui l’entoure : l’animation d’un quartier populaire épargné par la guerre ou de Ginza envahi par les néons, les enfants qui jouent dans la rue ou essayent de gagner quelques sous en exécutant de menus travaux, toutes les scènes inutiles, comme celle de la leçon de chant ou celle dans le bar où un client s’égosille ridiculement à la stupéfaction générale pendant que Yukiko, à ses côtés, essaye de masquer son embarras amusé.
Ceux qui ont salué ce film comme celui de la renaissance du grand Naruse ont donc sans doute vu juste : Ginza Gesho est le premier d’une longue nouvelle série de chefs d’œuvres discrets, à la grâce essentiellement musicale, qui sauront toucher, émouvoir, bouleverser même, mais sans chercher à en imposer par une virtuosité formelle ostentatoire.
- Ginza gesho - Naruse - Shintoho 1951
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