Le 18 juin 2019
Laure de Clermont-Tonnerre est réalisatrice, productrice et actrice française. Elle vit entre Paris et les Etats-Unis. C’est en 2015, avec le film Rabbit , qu’elle participera au Sundance Lab lui permettant de développer le scénario de Nevada qui remportera d’ailleurs le prestigieux Prix NHK. Un film qui mêle le monde carcéral à une thérapie de réhabilitation, par le dressage de chevaux sauvages. Une histoire authentique et remplie d’espérance. Roman, le personnage principal, est incarcéré et va devoir dresser une cheval sauvage réputé comme violent. Une intrigue qui rend compte de la difficulté des prisonniers à se réapproprier une humanité parfois perdue.
Votre film Nevada sort en salle ce mercredi 19 juin, il émane sûrement de votre participation au Sundance Lab : comment cette participation a-t-elle fait office de tremplin pour votre nouveau film ?
Laure De Clermont-Tonnerre : Je me suis réellement intéressée à ce sujet en lisant un article, j’avais déjà fait un film sur la thérapie animale en prison et quand j’ai trouvé ce sujet dans le Nevada avec ces chevaux sauvages, j’ai écrit le scénario et je savais que c’était un vrai challenge, en tant que française, d’aller tourner un film aux Etats-Unis. La première étape pour moi, c’était d’essayer de faire partie du Sundance Institute, donc des laboratoires de Sundance parce que je savais que c’était une façon aussi de trouver une sorte de nid créatif aux Etats-Unis, pouvant m’aider à trouver une équipe ainsi qu’une production. J’ai eu de la chance, mon film avait été sélectionné, ainsi que mon court-métrage. L’année 2015 a vraiment été l’année Sundance, où j’ai été collaboratrice d’écriture, et c’est là que j’ai rencontré Robert Redford qui accompagnait le film en tant que parent créatif.
Comment le processus de collaboration s’est mis en place avec Robert Redford ?
L.C : Il est très sensible au sujet des chevaux sauvages, car il a lui-même adopté des chevaux sauvages en prison. Il soutient tout un sanctuaire qui protège les chevaux sauvages en soi. Il est très impliqué dans toutes ces questions environnementales. C’était une histoire proche de son cœur ; donc il a personnellement voulu accompagner le film, faire en sorte que le film ait lieu. Il est vraiment intervenu à des étapes créatives, c’était le premier à y croire et c’était assez exceptionnel comme parrainage.
Est-ce que le fait de tourner votre film Nevada avec des chevaux, faisant partie intégrante du film, représente une difficulté ?
L.C : Beaucoup moins que ce que j’imaginais. Nous avions un entraîneur de chevaux extraordinaire qui avait travaillé sur L’Etalon Noir, L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux et Hidalgo. C’est quelqu’un qui savait très bien comment fonctionne le cheval avec la caméra et comment intégrer un animal sur un plateau de cinéma. Il savait très bien comment organiser les scènes, car c’est très réglementé de tourner avec des chevaux, c’est comme des enfants en soi. Nous avions trois chevaux identiques pour le cheval principal du film, nous les interchangions durant le tournage. Il y avait un cheval dressé, un cheval à moitié sauvage et un autre complètement sauvage, afin de recréer le parcours d’évolution de l’animal dans le film. C’était ce que nous anticipions le plus, mais tout s’est bien passé, malgré le fait que nous n’avions seulement que vingt-trois jours de tournage et que c’était un peu la course.
Pourquoi le thème du système carcéral et de la thérapie est-il moteur de l’intrigue dans votre nouveau film Nevada, mais aussi dans votre film précédent Rabbit ?
L.C : Ce qui m’intéresse dans ce thème, c’est la seconde chance, c’est-à-dire le contrôle de soi, l’amour et l’empathie. Je trouve que c’est un programme qui pose vraiment aussi la question de l’enfermement. Qu’est-ce que cela veut dire de punir quelqu’un ? A quoi sert la punition ? Comment en sortons-nous ? Je pense que l’éducation est préférable, plutôt que d’incarcérer bêtement sans pour autant aider à la réhabilitation. Il y a quelque chose de très archaïque dans les prisons qui m’a toujours intrigué depuis que je suis enfant. Je regardais énormément de documentaires à la télévision sur le sujet. Je trouve que ce programme de réhabilitation avec les animaux donne une réponse très simple, très poétique et très belle. En rééduquant le système émotionnel et humain, cela peut amener à une résurrection. Il se trouve que l’animal a le pouvoir d’apaiser et surtout il permet à un homme de retrouver l’enfance qu’il a oubliée. On revient à l’état d’enfant, pour se faire une nouvelle peau et repartir dans une nouvelle vie qui ne sera pas déterminée pas le crime que l’on a fait. Le message est puissant, mais il est très nécessaire et surtout je pense que c’est une belle réponse à la violence. Il y a pleins d’autres programmes de réhabilitation, notamment avec du jardinage, toutes ces choses réhumanisent l’homme dans un endroit où tout est fait pour déshumaniser. Lorsque l’on redonne cette humanisation, on se rend compte que l’homme est finalement par nature un être bon, je suis profondément humaniste. Il y a des personnes qui ont besoin d’être rééduquées.
Nous remarquons que, dans le film, le prisonnier, nommé Roman, semble beaucoup plus empathique envers l’animal : comment expliquez-vous cela ?
L.C : L’animal en soi ne juge pas et il ne ment pas. Dans le film, l’animal est innocent, pas le prisonnier. L’animal demande du respect et de la confiance, il faut lui inspirer confiance aussi. Ces valeurs permettent à l’homme de créer son empathie. Mais c’est l’animal en premier qui cherchera l’empathie chez l’homme. C’est vraiment l’animal professeur, on a un jeu de miroir durant le film, il permet au prisonnier de lui apprendre à être un homme et un père.
La fin totalement heureuse semble être impossible ou bien plutôt quelque chose que le spectateur pourrait imaginer à la suite de la projection ?
L.C : Le réel message de la fin est que la liberté est intérieure en soi, Roman a appris à se pardonner, à être pardonné et à se réconcilier avec lui-même. La vraie prison est dans la tête, ce n’est pas seulement quelque chose de physique.
Vous êtes l’une des rares femmes à être réalisatrice, à l’ère du mouvement MeToo : qu’avez-vous envie de dire à toutes ces femmes qui hésiteraient à se lancer seulement parce qu’elles sont femmes ?
L.C : Il faut de l’endurance. Il faut ne jamais laisser tomber. Les femmes ont aujourd’hui beaucoup plus de poids dans ce que nous voulons dire, dans notre regard. Il ne faut jamais s’excuser d’être là. Il y a parfois le poids d’un regard masculin qui peut intimider, il ne faut jamais l’être et il faut continuer à avancer. C’est vraiment l’endurance, on se prend des coups. Eh bien, ce n’est pas grave nous nous relevons. Aujourd’hui, la voie a été tracée par des générations de femmes qui se sont battues et il faut reprendre le flambeau, continuer à se battre, parce que nous ne sommes toujours pas totalement dans cette parité. Il y a encore une sorte de misogynie inconsciente. Sur un tournage, il n’y a pas longtemps, je me suis retrouvée face à des générations d’hommes un peu plus âgés qui, par tradition, ne supportent pas être dirigés par une femme ou recevoir des ordres émanant d’une réalisatrice plus jeune. Il faut continuer à lutter.
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