Le 27 octobre 2006
Rencontre dans l’atelier d’un des plus grands auteurs de BD contemporains.
30 années de carrière, ça ne se résume pas facilement... C’est peut-être ce que s’est dit le galeriste-éditeur Daniel Maghen [1] pendant la réalisation du pharaonique Entracte, beau livre de plus de 400 pages (!) consacré à André Juillard... Une entreprise parfaitement déraisonnable au vu de la somme de dessins, planches et croquis réalisés par le dessinateur des Sept vies de l’épervier et de Blake et Mortimer... Mais une entreprise fascinante et indispensable, qui en plus de rendre hommage au livre en tant qu’objet, célèbre de la plus belle manière qui soit un de nos plus grands dessinateurs contemporains, qu’aVoir-aLire s’en est allé chercher dans son atelier.
- ©Didier Frontini
Avec Entracte, les éditions Maghen vous font un formidable cadeau...
J’ai effectivement la chance d’être un auteur à qui l’on souhaite consacrer ce genre d’ouvrage. Entracte est un ouvrage ambitieux. Une folie éditoriale dont je ne suis même pas sûr qu’elle puisse être rentable pour l’éditeur, et dont la publication n’a été motivée que par l’insondable amour que Daniel Maghen porte à la bande dessinée. Franchement je ne pouvais pas rêver mieux pour fêter mes trente ans de métier...
Avez-vous une explication à votre incroyable succès ?
J’ai la chance d’avoir un style qui plaît au public. C’est ainsi. Je n’ai pas travaillé mon dessin en ce sens, jamais cherché une recette artificielle pour séduire l’œil du lecteur, et je crois d’ailleurs que si je l’avais fait, je n’y serais sans doute pas arrivé. J’ai toujours fait ce que je savais faire. Point. Ca pouvait marcher. Ou pas. Et il se trouve que le public et moi nous sommes rencontrés pour ne plus nous quitter. C’est cette rencontre, cette chance, que je voulais célébrer dans Entracte. A aucun moment je ne l’ai vu comme un grossier exercice d’autosatisfaction. Et franchement je ne pense pas qu’il puisse être perçu ainsi.
- Les 7 vies de l’épervier (couv)
Daniel Maghen vous a obligé à vider tous vos cartons pour Entracte...
Oui et non. A l’occasion d’une grosse exposition réalisée pour la ville de Cherbourg [2], j’avais déjà mis le nez dans mes archives et sélectionné beaucoup de dessins, que j’ai donc remis à Daniel Maghen en guise de préambule aux recherches plus fouillées que j’ai effectuées ensuite. Je crois que le pauvre ne s’attendait pas à recevoir pareille masse de documents... Et je me dis parfois qu’au départ il n’avait peut-être pas prévu de me consacrer un ouvrage aussi volumineux, mais que devant l’avalanche de dessins sous laquelle je l’ai recouvert, il s’est senti contraint de faire exploser la pagination de son projet initial...
Peut-on dire que tout Juillard est compilé dans cet Entracte ?
Non, bien sûr. Entre le début du projet et la publication d’Entracte il s’est écoulé plus d’une année, pendant laquelle j’ai dessiné de quoi remplir au moins un second tome ! (rires) Plus sérieusement, il faut bien avouer que j’ai encore beaucoup de choses inédites... Je dessine à longueur de journée, des petits dessins instinctifs, des croquis en tout genre, que je garde tous. Je suis incapable de jeter quoi que ce soit. Je crois que c’est un problème d’éducation : on ne gâche pas ! Alors à table je termine toujours mon assiette et dans mon atelier je ne jette pas le moindre petit bout de papier. Chaque dessin est donc rigoureusement classé dans des pochettes thématiques dans lesquelles je n’ai qu’à piocher lorsque on me demande matière à monter une exposition où réaliser un projet aussi ambitieux que cet Entracte. Pour ce dernier j’ai toutefois exhumé beaucoup de choses inédites, tombées derrière les étagères ou oubliées entre deux cartons, comme certains travaux de jeunesse par exemple, où encore des croquis autour des Sept vies de l’épervier.
- Nu bleu
Vous prétendez dans Entracte n’avoir rien fait de mieux depuis les Sept vies de l’épervier [3]...
Pendant la réalisation de cet ouvrage, qui nécessitait que je rédige quelques textes en commentaire à mes travaux, je me suis replongé dans pas mal d’albums, dont Les sept vies. Et il est vrai que je trouve que sur certaines séquences je n’ai jamais aussi bien dessiné qu’à cette époque. Tout me portait : le sujet, les décors et les personnages. J’ai bien sûr depuis pris beaucoup de plaisir sur d’autres travaux. Mais j’avoue que je ressens souvent une certaine nostalgie pour l’époque des Sept vies. Le récit était merveilleusement équilibré entre action et sentiments. Et surtout il y avait beaucoup de chevaux et d’architectures à dessiner. Je ne suis pas sûr d’avoir retrouvé pareil bonheur depuis. Plume aux vents a d’ailleurs été une déception pour moi, puisque je croyais qu’en donnant une suite aux Sept vies je pourrais en retrouver l’ambiance de travail. Je me suis trompé. A tel point que j’ai eu beaucoup de mal à terminer ce cycle d’albums. Il y a une sorte de magie dans le plaisir qu’on prend à dessiner. Mais il s’agit d’une magie qu’on ne peut pas recréer artificiellement.
Ce plaisir il semble que vous l’ayez retrouvé sur Le long voyage de Léna [4]
Léna est un personnage tel que j’aurais voulu le créer. A tel point que Christin, qui m’a vraiment écrit ce scénario cousu main, m’a avoué que si je l’avais refusé il n’aurait pu le proposer à personne d’autre. Christin et moi sommes très pris par nos travaux respectifs et ne devions faire qu’un seul album de Léna... Le problème c’est que je ne me vois pas abandonner ce personnage. J’ai envie d’en savoir plus. Connaître la suite de ses aventures. Christin qui au départ n’avait prévu qu’un one shot a donc déjà commencé à coucher quelques idées sur papier, même s’il est évident que le second tome des aventures de Léna n’est pas prévu pour demain.
Au contraire de Léna, Blake et Mortimer est-il plutôt un travail de commande ?
- Sérigraphie, pastiche de “la Marque jaune” pour Archives internationales(g.)
Recherches de couv pour “La Machination Voronov”(dr.)
Bien sûr que non, puisque la réalisation d’un album de Blake et Mortimer est au contraire une expérience très particulière, pendant laquelle je retombe purement et simplement en enfance. Animer les personnages d’un auteur comme Jacobs tient du rêve éveillé pour le gamin que je fus. Alors pas question de me priver de ce plaisir. Bien loin d’un travail de commande chaque Blake et Mortimer me permet en plus de pousser dans ses retranchements ma philosophie du dessin. Je suis là pour servir un scénario. Et pour cela je dois me couler dans le style d’un autre, ce qui me convient tout à fait, car il s’agit d’un bon exercice d’humilité, qui est une notion à mon avis essentielle à la qualité d’un ouvrage. Un dessin doit savoir se faire oublier face à l’histoire qu’il sert. Je réserve donc mes velléités de créateur à mes ouvrages en solo, mais aussi à mes croquis où à mes travaux privés. Autant d’entractes dont je n’imaginais pas qu’ils pourraient être un jour compilés dans un ouvrage du même nom.
- Blake et Mortimer
Sérigraphie pour “Archives Internationales” à Bruxelles
– Cahiers cousus, dos toilé, édité sur papier de création
[1] Galerie Daniel Maghen, 47 quai des Grands Augustins, 75006 Paris (www.danielmaghen.com). Les éditions Daniel Maghen ont déjà publié, entre autres, un beau livre consacré à Emmanuel Lepage ainsi qu’un autre à Laurent Vicomte
[2] La boîte à dessins d’André Juillard (l’exposition s’est déroulée à Cherbourg du 16 juin au 1er octobre 2006)
[3] Scénario de Cothias (Glénat)
[4] Scénario de Christin (Dargaud)
Galerie Photos
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Recherches de couv pour “La Machination Voronov”(dr.)
Sérigraphie pour “Archives Internationales” à Bruxelles">
Sérigraphie pour “Archives Internationales” à Bruxelles
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