Le 10 septembre 2007
- Festival : Festival de Venise 2007
Sans surprises, cette 64ème édition de la Mostra de Venise s’achève de manière satisfaisante, même si on ne retrouve pas tout à fait l’effervescence artistique des premiers jours...
Avare en surprise, la seconde moitié du festival se sera révélée moins excitante. La faute, sans doute, à une présence américaine amoindrie dont la seule surprise, de taille, aura été le I’m not there de Todd Haynes. Le New-yorkais y décline le mythe de Bob Dylan et y insuffle une énergie déconstruite plus proche des collages pop d’un Rauschenberg que des codes habituels du biopic. L’anti-Ray
en quelque sorte. Et si le film s’adresse principalement aux fans du chanteur, cela fait quand même un bien fou. Greenaway se livre aussi à la biographie avec son Nightwatching (sur la genèse de « La ronde de nuit » de Rembrandt) qui, s’il ne manque pas d’allure et d’un certain lyrisme (la musique, sans doute), s’embourbe dans une théâtralité un peu stérile.
Il y a quelques jours, on parlait du Rohmer et de son incroyable fraîcheur. Cette Mostra aura été l’occasion de découvrir deux héritiers plus ou moins directs du maître. Emmanuel Mouret, dont nous avions adoré le Changement d’adresse se livre à l’exercice du conte moral. Un baiser, s’il vous plaît, s’il n’a pas tout à fait la fantaisie lunaire du précédent, s’impose comme une merveille de raffinement et de construction narrative, explorant avec méticulosité l’alchimie des sentiments. Quant à Abdellatif Kechiche, on se souvient du bruit qu’avait fait L’esquive il y a 3 ans, remportant à la surprise générale un César, mérité, du meilleur film. Avec La graine et le mulet, son cinéma se radicalise et prend une ampleur rarement vue ailleurs. Une sorte de néo-réalisme des temps modernes, incroyablement ambitieux et sincère. L’un des chocs du festival.
L’Asie, elle, était particulièrement mal représentée. Tsai Ming-Liang n’ayant pas de nouveau film, c’est à Lee Kang-sheng, son acteur fétiche, d’assurer l’intérim. Son Help me Eros n’est en fait qu’une imitation mal faite du cinéma de... Tsai Ming-Liang ! Malaise existentiel et aliénation sexuelle pour un résultat des plus fades. Les deux bêtes de festival, Takashi Miike et Johnnie To, étaient également là. Le premier avec son Sakayuki Western Django, faux remake du western spaghetti culte de Sergio Corbucci, dont la principale particularité est d’avoir été tourné avec des acteurs japonais s’exprimant en anglais (c’est-à-dire avec un accent incompréhensible). En dehors de cette bizarrerie linguistique, Miike n’a pas grand-chose à offrir si ce n’est son habituel cocktail de violence gore et de délires surréalistes. Hormis une première scène fort réussie (avec Tarantino en guest star remarqué), dont l’artificialité évoque les codes du théâtre Kabuki, l’imaginaire morbide du japonais s’accorde particulièrement mal aux paysages ensoleillés et désertiques du western.
Quant à Johnnie To, il présentait sa dernière coréalisation, Mad detective. On se rappelle avec effroi de Triangle (coréalisé avec Tsui Hark et Ringo Lam) projeté au dernier festival de Cannes en séance de minuit. L’un des pires films de l’année, à l’aise. Ce Mad detective relève un peu le niveau grâce à quelques idées bien barrées et deux ou trois gags. Il suffit de ne pas être trop exigeant. On continue tout de même à rester perplexe sur le cinéma de To qui, à quelques exceptions près (PTU, Election 1), ne semble pas mériter l’engouement délirant qu’il suscite auprès des festivaliers de tous bords et d’une partie de la presse. Autre déception, le Blood brothers d’Alexi Tan, une production John Woo choisie pour clôturer le festival. Situé dans le Shanghaï des années 30, il raconte le parcours de trois frères, fraîchement débarqués de leur campagne, dans les sphères criminelles. Mélo sirupeux sur l’innocence perdue, cela ressemble à une version aseptisée du chef-d’oeuvre de Woo Une balle dans la tête. La reconstitution sent le carton-pâte et ce n’est pas une rapide scène d’action qui parviendra à nous faire oublier cette histoire d’amitié et de trahison déjà vue ailleurs. Kitano, lui, continue dans la lancée de son Zatoichi’s et donne dans l’humour absurde. Si les premières minutes font illusion, on ne tarde pas à déchanter. Quant à The sun also rises de Jiang Wen, on est en plein world cinéma folklorique. Une sorte de Kusturica à la sauce chinoise assez médiocre. Heureusement Jia Zhang Ke, réalisateur de Still Life (lion d’or l’année dernière) était présent avec un beau documentaire sur l’industrie de la mode.
Autre grande déception, la sélection italienne, unanimement médiocre. Paolo Franchi, après un très beau La spectatrice se vautre dans la prétention avec Nessuna qualita agli eroi, où Bruno Todeschini se retrouve embarqué dans une nébuleuse affaire de meurtre. A force de faire dans le signifiant, le film exaspère rapidement. L’échec est aussi de mise pour Vincenzo Marra, dont nous avions aimé le Vento di terra, qui se penche sur l’ascension d’un jeune loup de la brigade financière. Le discours, une dénonciation de la société italienne sclérosée par la corruption, est martelé au-delà de l’imaginable et est illustré par une pauvreté formelle assez hallucinante. A force d’exagérations et de lourdeurs scénaristiques, il en deviendrait presque drôle. Enfin, la présence de Il dolce e l’amaro en sélection officielle demeure totalement incompréhensible. Racontant le parcours d’un apprenti mafieux (comme c’est original...) à la manière d’un téléfilm, le manque d’ambition est consternant.
Passé cette défection italienne, on a quand même pu voir quelques très beaux films, souvent exigeants. Il en est ainsi de cet intrigant En la ciudad de Sylvia, méditation sur le visage féminin où le héros passe son temps à observer les passants dans la rue (et à les suivre, éventuellement). Presque sans dialogue, le film diffuse toutefois un charme discret et assez marquant. Avec Disengagement, Amos Gitaï propulse Juliette Binoche dans le tumulte de l’évacuation des colons de Gaza. Dans la lignée de Free Zone, en un peu moins virtuose, on en retient là aussi une œuvre forte et sensible, explorant de manière convaincant la thématique des frontières, malgré des passages à vide dont Gitaï est assez coutumier. Le chaos de Youssef Chahine, se situe entre le drame, la comédie et le film social avec un talent certain, parvenant à mélanger toutes ces composantes harmonieusement. Extrêmement pessimiste quant à la situation politique de l’Egypte, le cinéaste n’oublie pas de raconter une histoire. Cette importance accordée à la narration se retrouve dans Anos unas , le premier film de Jonas Cuaron (fils de), construit sur le mode de La jetée, avec une succession d’images fixes accompagnées d’une voix-off. Imaginant la rencontre entre un adolescent mexicain et une touriste américaine il déploie, paradoxalement, un talent de conteur plus fort que la plupart des films dits traditionnels. Autre bizarrerie, le Médée Miracle de Tonino Bernardini, transposition contemporaine du mythe antique avec Isabelle Huppert. Cette Médée-là se promène dans la rue et, le soir venu, chante du Marianne Faithfull dans un cabaret. Quelques beaux moments, d’un lyrisme vénéneux, n’occultent pas un sentiment général de vacuité. On retiendra juste, et c’est déjà beaucoup, la qualité des images en DV. Le dernier Im Kwon-taek représente l’archétype du mélo asiatique, avec ce qu’il faut d’infirmité et de nostalgie passéiste. Les amateurs apprécieront même si l’extrême classicisme du récit est assez agaçant. Reste une manière de filmer la nature assez remarquable.
Quant à l’Estonie, pays à l’activité cinématographique marginale, elle nous aura livrée l’une des plus belles surprises du festival avec Autumn ball, récit choral sur le quotidien d’une poignée d’handicapés sentimentaux. D’un humour très noir, il se permet quelques surprenantes échappées atmosphériques sur fond de post-rock. Si le cinéma d’auteur (européen, notamment) répondait bien présent, il faut bien avouer que, contre toute attente, c’est du côté des productions américaines que l’on aura trouvé un véritable renouvellement formel et narratif. Pour son 75ème anniversaire, la Mostra reste donc un rendez-vous incontournable de la cinéphilie, avec une sélection assez qualitative. On peut toutefois regretter la place trop importante accordée aux metteurs en scène établis et l’absence de réelles découvertes.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.