Le 13 novembre 2013
- Scénariste : MONTAIGNE, Marion
- Série : Tu mourras moins bête
- Genre : Document
- Editeur : Dargaud
- Festival : FESTIBLOG
Vis sa vie de dessinatrice qui vit la vie de gagnants du Loto !
C’est dans les travées du Festiblog que nous nous sommes entretenu avec Marion Montaigne, marraine de l’édition précédente.
Après deux tomes papier de son blog Tu Mourras Moins Bête, Marion nous présente sa nouvelle bande dessinée, Riche, Pourquoi pas Toi ? (Dargaud) écrite en étroite collaboration avec Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, chercheurs en sociologie, spécialistes de la haute bourgeoisie et des élites sociales.
Mais l’actualité de Marion, ce n’est pas que ce livre, c’est aussi les nouveaux mags Pr Cyclope et La Revue Dessinée.
Retour sur un entretien passionné, comme toujours avec Marion Montaigne !
Dans ta bio, il est marqué que tu viens de La Réunion. La question que tout le monde se pose est quand est-ce que tu vas t’habituer au climat français ?
Jamais (rire). Dans la famille de mon père, on est de Dunkerque donc ça fait un juste milieu, ça va. Je déteste la chaleur, en plus, mais ça va, je me suis habituée. Quoique... Je ne sais pas, je suis perdue...
Entre le Pr Cyclope et La Revue Dessinée, ça laisse moins de temps pour le blog. Il y a une réelle volonté de faire autre chose ?
Oui, j’essaie de me diversifier parce qu’après avoir sorti deux tomes, ce qui correspond à deux ans à temps plein sur le blog, mine de rien, ça fait beaucoup de travail. J’aimerais avoir plus de temps pour le blog mais je continues les notes et même si il y en a moins, elles sont toujours longues et conséquentes.
Mais c’est vrai que j’ai essayé d’aller dans d’autres directions. La Revue Dessinée et Cyclope sont arrivés entre temps et j’avais envie de les aider car on tâtonnait tous dans le milieu du numérique et je trouvais ça intéressant d’aller dans le concret, faire des choses pour que l’on sache de quoi on parle car même si on se projetait, on ne savait pas vraiment. Maintenant, on a du support pour parler, on ne cause plus dans le vide. Et puis j’ai bien aimé travailler avec eux car ce sont des copains.
Le blog marche bien mais souvent je me demande si je dois continuer à le faire parce que je maitrise ou, à un moment, on va me dire que je fais toujours la même chose. Je suis tiraillée entre "je m’amuse et je continue" et "j’essaie d’autres trucs". Quand on m’a proposé de travailler pour La Revue et Cyclope, j’ai sauté sur l’occasion pour un peu faire autre chose et me tester, aussi.
Est-ce que le format de La Revue Dessinée, ou du Pr Cyclope, te convient mieux que celui du blog ?
C’est juste différent, c’est une autre forme d’expression. Je voulais refaire aussi un peu de fiction avec le Pr Cyclope car c’est un style que j’aime bien faire aussi. J’avais un petit projet dans le milieu de l’animation que j’avais sous le coude, l’histoire de gars qui travaillent dans l’animation, qui ont un patron horrible mais qui doivent créer des trucs mignons, c’est le décalage entre un milieu du travail atroce et faire des trucs choupinou pour les enfants, juste pour leur faire croire que le monde va être joli.
Et La Revue Dessinée, c’est un peu du blog sous une autre forme. J’aimais bien l’idée d’aller coller aux bask’ des soigneurs et des vétos d’un zoo mais je voulais faire un truc un peu plus complet. Je ne pouvais pas faire une note de blog sur ce sujet car ça n’aurait tenu qu’en 8 pages tandis que là j’en ai eu 28 pour m’exprimer. Ça m’a permis d’étaler pour mieux expliquer. Je trouve que j’avais plus de temps, plus de place.
Riche, Pourquoi Pas Toi, n’est-ce pas du Tu Mourras Moins Bête en version sociologie/économie ?
C’est vrai que c’est de la vulgarisation mais c’est dans un autre domaine. Pour moi, c’est très différent dans le sens où j’ai du chercher un angle particulier. J’ai pas de petit professeur qui explique, j’ai du utiliser un autre moyen. J’interpelle le lecteur et j’essaie de le mettre à la place du héros principal pour qu’il s’identifie. On est donc à mi-chemin entre la fiction et l’explication.
Mais c’est toujours mon petit coté vulgarisatrice : j’aime bien lire des trucs pour expliquer, après, comment ça fonctionne.
Pour Riche, Pourquoi Pas Toi, parler d’argent était important car nous sommes en pleine période de crise. On a décidé de faire ce projet juste après l’élection de François Hollande car on parlait beaucoup de taxes sur la richesse. A l’époque, la pauvre Françoise Hardy se plaignait qu’elle allait être à la rue parce qu’on la taxerait trop. Après il y a eu l’affaire Gérard Depardieu.
C’était le moment et je trouvais intéressant d’expliquer le travail des Pinçon-Charlot parce qu’humainement, ils sont très sympathiques, ils sont ouverts et ils partent du principe qu’il faut vulgariser un maximum. Ils expliquent différemment la richesse par rapport à ce que l’on peut voir à la TV où on ne montre les riches qu’à travers le capital monétaire, les yachts impressionnants qui donnent envie. Mais même si vous gagniez de l’argent, avec le loto par exemple, vous ne seriez pas un riche, au mieux vous seriez un nouveau riche bling-bling mais vous n’entreriez pas dans le cercle. Parce qu’il faut du temps, ça s’apprend, ça se transmet. C’est ce qu’on explique dans le livre...
En fait, il n’y a pas beaucoup de grosses voitures (en plus, je déteste dessiner des voitures), pas de jets, pas de yachts, on explique les autres aspects de la richesse que les gens connaissent peut-être moins, qu’en tous cas on montre moins car c’est moins impressionnant.
Passer de la science technique à ce type de domaine, c’est pas trop compliqué ? Comment tu as fait ? Tu as ardemment bossé le sujet ?
Ça reste de la science. Ce sont des chercheurs. Mon travail a consisté à ranger des idées, lire plein de livres et en tirer la substantifique moelle. J’ai donc lu tous les bouquins des Pinçon-Charlot, je les ai vu plusieurs fois. Ils m’ont emmené dans des endroits super classes comme, par exemple, dans une bijouterie, place Vendôme, où je n’aurais jamais osé mettre les pieds de par ma "classe". Il y a aussi les magasins de l’avenue Montaigne où beaucoup de gens ne se hasarderaient jamais à entrer - c’est ballot (rire) - où ils m’ont fait connaitre ce que ça fait d’être mal à l’aise et que j’éprouve, moi aussi, l’un des aspects qu’ils montrent dans leur livre, c’est à dire se sentir exclu, sentir de ne pas appartenir à une classe de dominants et là, je l’ai bien senti, effectivement.
C’est comme ça que l’on a travaillé : ils m’ont fait rencontrer des gens, ils m’ont donné des contacts, ils m’ont organisé des entrevues avec des concierges clefs d’or, ce sont des gens qui doivent vous aider dans les grands palaces. Ils sont à l’entrée et vous pouvez tout leur demander : vous voulez aller au concert de Beyoncé demain alors que tout est plein ? Si vous avez les moyens, ils vous trouveront une place. Ils ont des réseaux pour. Un peu comme des dealers de places (rire). Bon, vous paierez peut-être 2000€ mais c’est pas grave, ils vous trouveront une place.
J’ai rencontré beaucoup de gens de ce milieu et j’ai, également, rencontré des gagnants du loto. Ça m’a pris plusieurs mois pour maitriser le sujet et c’est vraiment les gagnants du loto qui m’ont aidé à comprendre parce que, eux, ils ont tout pour être riches mais ils ne savent pas faire. Ils suivent, donc, des formations à la Française des Jeux. J’ai assisté à un de leurs cours à l’hôtel Drouot et à une de leurs rencontres où ils discutent, entre eux, de problèmes de riches, des questions que, nous, on ne se pose pas. J’ai même assisté à une discussion avec un psychanalyste et un philosophe sur la différence entre plaisir et bonheur.
Et donc, ce sont des gens qui n’arrêtent pas de se demander "est-ce que je fais les choses bien ?", "est-ce que je le mérite ?" et c’est intéressant de voir ça. Un héritier ne se pose pas ces questions car il a assimilé très tôt qu’il faisait partie de la classe des dominants tandis que les gagnants du loto ne sont pas de cette classe là ce qui entraîne culpabilité et interrogations. Et c’est brutal.
Et toi, comment tu l’as vécu ?
Ça m’a fait marrer d’être au milieu de millionnaires. Moi, j’ai trouvé mon angle de travail, en fait. Ce sont des gens qui pourraient être moi mais il y a un truc incroyable qui leur est arrivé et ils cherchent constamment à se justifier alors qu’ils n’ont rien à justifier. Et même si il y avait un fossé entre nous mais c’était un fossé très abstrait...
A la FDJ, on vous apprend, avec de la documentation, comment ne pas être trop généreux. Avec votre entourage, par exemple... Il y a des histoires terribles : ils reçoivent des courriers de personnes qui disent : "j’ai plus d’argent, adoptez ma fille" des trucs comme ça...
Certains décident de ne pas le dire à leurs enfants. C’est vrai, comment voulez-vous dire à votre gosse d’aller bosser si vous ne faites que profiter...
C’est une situation très bizarre.
Tu retrouves tes premières amours : ton bac ES ?
Non, rien à voir. C’était le bac B mais ça n’existe plus. En fait, j’ai détesté le bac ES...
Comment fonctionne Riche, pourquoi pas toi ? C’est une fiction ? Il y a un héros à qui il lui arrive des choses ?
En gros, j’interpelle le lecteur. Je lui dis "toi, qu’est-ce que tu ferais si tu étais riche ?". Il y a une voix off mais, comme ils ont beaucoup d’humour, j’ai dessiner les Pinçon-Charlot qui interviennent, qui sont là pour expliquer. Ils aident notre héros à comprendre ce qu’il lui arrive. Parce que notre homme va gagner au loto et ne rien comprendre à ce qu’il lui arrive. Il va rien piger, il va avoir tout faux et ils vont lui expliquer ce qu’il se passe et vont essayer de l’aider. Le but est que le lecteur comprenne que la richesse ce n’est pas que de l’argent. C’est aussi de la richesse sociale, c’est de la richesse culturelle...
Par exemple, les gagnants du loto, on les emmène à l’hôtel Drouot où on leur explique qu’ils peuvent acheter de l’art ! C’est super, ils peuvent acheter des tableaux à 20.000€, c’est génial mais ils y connaissent rien. Et c’est ça, aussi, être riche : c’est avoir une éducation, c’est avoir intégré la richesse. C’est l’inverse d’un hériter qui ne sait plus très bien pourquoi la famille a de la richesse mais c’est pas grave, il l’a mérité et il ne se pose plus la question. Tandis que les gagnants du Loto ils se posent toujours la question de savoir si ils l’ont mérité ou pas.
Et surtout, ce que condamnent les Pinçon-Charlot, c’est l’entre-soi, tout est fait pour qu’on ne se mélange pas vraiment, que les riches soient une classe en elle-même et pour elle-même. C’est une classe très organisée et solidaire entre elle, tandis que nous, la classe ouvrière, on a perdu toute solidarité, ce qui est paradoxal. Il faudrait faire comme les riches, en fait : revenir à une solidarité de classe.
C’est très de gauche... On va avoir le prix Mélenchon (rires)
C’est très surprenant. Il est toujours comme ça, ce livre : on va de surprises en surprises ?
Je ne sais pas trop car j’ai lu tellement de bouquins que je ne sais même plus ce qui est surprenant.
On te voit souvent avec la Lastman Team. Explique-nous un peu ce ménage à quatre qui est, en fait, un peu dégueulasse.
Dégueulasse ? Hum... Tout à fait !
Dans notre atelier, il faut avoir de l’humour sinon on ne survit pas longtemps. Oui, ils me représentent comme une sorte de Bimbo-je-ne-sais-pas-quoi. Je ne sais pas pourquoi...
Dans l’atelier, car nous sommes dans le même atelier, on peut être jusque 14. Mais il y a un noyau dur et l’équipe Lastman, moi et quelques autres, on a les mêmes horaires, donc on adore se charrier. On a tous des représentations caricaturales : Balak, c’est une espèce de nabot avec un petit zizi, je ne sais pas pourquoi. Mickaël, et c’est très méchant, il est en débile mentale et moi, je suis en bimbo ! Et puis on ne me demande pas mon avis et on me fait "tiens, j’ai fait ce dessin là, il va être publié".
De toutes façons, on les laisse s’exprimer mais on se venge bien. Mickaël est un excellent caricaturiste et leur balance dans les dents les caricatures qu’il fait en catimini.
Tu es l’ancienne marraine du festiblog, qu’est-ce que ça fait d’être une gloire déchue ?
Déchue, non, ça va... Tranquille.
Non, mais moi j’attends de voir le président, je l’ai toujours pas vu... Il faut que je vérifie si il fait bien son boulot (rire)
Un gros merci à Marion pour cet entretien qui transpire la passion qu’elle a pour les sciences. Entre Tu Mourras Moins Bête et Riche, Pourquoi Pas Toi ? c’est du bonheur de se cultiver ! Ah, si les manuels scolaires étaient tous comme ça...
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