Live in Tokyo

Depuis ses débuts, la musique jazz a toujours flirté avec la recherche musicale. Bill Evans, au fil de ses morceaux introspectifs, fut l’un de ces explorateurs des possibilités de l’art pianistique, et aussi de l’âme humaine. De nombreuses similitudes (un goût prononcé pour l’art du trio, des performances solo très abstraites, atonales et méditatives) permettent de considérer que Mehldau en est le fils spirituel. Sa technique époustouflante et son génie musical hors du commun lui permettent de développer simultanément plusieurs mélodies, dans des suites de variations à la richesse enivrante qui évoluent depuis une douceur mélancolique jusqu’à une violence retentissante. Il sonde ici les possibilités que son univers musical offre à des standards de Nick Drake, Gershwin, Thelonious Monk ou Radiohead.

La performance s’ouvre en préambule sur Things behind the sun, de Drake, dans une interprétation très rythmée qui commence par tourner autour d’un accord aigu pour ensuite partir dans une danse effrénée et se terminer calmement dans un diminuendo. Dans Monk’s dream, son style se mélange avec celui de Monk, dans des phrases musicales assez courtes, hachées et constituées d’enchaînements d’accords très rapides, qui donnent cette tornade de mouvements ascendants et descendants enchevêtrés, caractéristique du style de Monk. Les reprises de Gershwin démontrent que son piano se suffit à lui-même, qu’il possède à lui seul la richesse harmonique d’un orchestre.

Outre le vertigineux River man, de Drake également, la pièce majeure de ce récital est sans conteste la reprise monumentale de Paranoid android. Mehldau s’est complètement approprié le thème de Radiohead qui est l’occasion d’un développement de près de vingt minutes. La mélodie initiale et les phrasés qu’il en a tiré, forment un cadre général souple, à l’intérieur duquel le pianiste développe ses improvisations aventureuses, révélant, en même temps que sa talentueuse spontanéité, une rare hardiesse.