Les enfants du rêve chinois – Luxi – la chronique BD

Critique :Première bande dessinée de l’autrice, Les enfants du rêve chinois présente l’envers du décor d’un pays qui a connu une croissance vertigineuse ces trente dernières années, mais dont le développement économique ne s’est pas accompagné – c’est le moins que l’on puisse dire – d’une ouverture politique. Luxi donne le ton dès les premières pages et confronte le « rêve chinois », slogan du président Xi Jinping, à la réalité d’une dictature : l’incipit montre la dessinatrice dans une cellule isolée, interrogée par des policiers menaçants à propos de son projet de film. Pourquoi a-t-elle filmé le village de Fanfan ? Est-elle aux ordres du gouvernement français ? Pourquoi avoir amené un étranger avec elle ? Incapables de croire le récit de la jeune femme, les policiers incarnent la paranoïa du régime. Cette paranoïa donne un sens à l’attitude de Fanfan, jeune femme déboussolée et déchirée entre la pression sociale de son entourage – famille, voisins, hiérarchie – sur sa prétendue différence et sa volonté de se conformer malgré tout aux normes promues par le régime. L’incapacité de Fanfan à entrer dans le moule de la société rurale chinoise, où toute différence est suspecte, est à l’origine de son malheur, qui se manifeste dans l’album par une aigreur manifeste et des comportements parfois irrationnels.

Luxi / Éditions Sarbacane

À travers l’histoire de Fanfan, Luxi réalise un portrait d’une Chine rurale conservatrice et repliée sur elle-même. La dessinatrice représente ces villages déformés par la construction tout-azimut de barres d’immeubles, offrant au lecteur occidental un regard original sur un pays que l’on observe généralement à travers ses mégapoles. Il faut dire que rares sont les Occidentaux à s’aventurer dans ces provinces, si bien qu’un Français ne peut pas passer inaperçu… Luxi met en scène les apories de cette Chine rurale, où les femmes sont moins nombreuses que les hommes (résultat pervers de la politique de l’enfant unique), où l’ascension sociale est un mirage dans la mesure, les habitants sont pratiquement assignés à résidence, et où la minorité ouïghoure est persécutée. La planche qui montre une famille ouïghoure demandant un passeport au compagnon français s’avère à cet égard très révélatrice.

Le dessin au trait rehaussé de lavis de Luxi ne témoigne pas d’une recherche particulière d’esthétique, mais l’ensemble s’avère tout de même efficace et le témoignage fonctionne, même si l’album aurait mérité d’être chapitré. On termine la lecture secoué par le destin tragique de Fanfan qui, au contraire de Luxi, n’a pas l’opportunité de fuir ce régime oppressant qui nie toute liberté individuelle.

Luxi / Éditions Sarbacane

Les enfants du rêve chinois est un témoignage touchant qui porte un regard saisissant sur la Chine rurale à travers l’histoire de Fanfan et d’un film qui ne verra jamais le jour. Si Luxi n’a pas pu montrer ses talents de réalisatrice, elle se positionne comme une dessinatrice à suivre.