Le pays imaginaire d’Hella S. Haasse

Portrait de l’artiste en vieille dame paisible... Hella S. Haasse tient à elle-seule une bonne partie de l’affiche en matière de lettres hollandaises. Tout lui est bon pour exercer sa plume... Roman, essai, théâtre... Et même des clins d’œil au roman policier, (comme son père, qui en publia en son temps) avec Locataires et sous-locataires. Elle reste souvent associée au roman historique, même si son oeuvre en compte peu, si l’on considère le genre dans sa stricte définition. Et c’est là que se précise la singularité d’Hella S. Haasse. Le mélange des genres, le refus des systématisations hâtives, la recherche de nouvelles formes d’écriture, flirtant toujours avec les marges. A l’image de son héroïne, Charlotte-Sophie Bentinck, à qui elle consacre deux romans. La récalcitrante est de ceux-là, qui met en place ce personnage de femme rebelle et indépendante, indifférente aux codes sociaux de son époque, et qui ose affirmer, après avoir quitté son mari, qu’elle aurait été éperdument amoureuse de cet homme si seulement il ne l’avait pas épousée !

Roman épistolaire, histoire d’une vie, La récalcitrante s’inscrit dans une certaine tradition classique pour faire peu à peu ressortir la personnalité complexe et torturée de l’héroïne. Un portrait de femme parmi d’autres, de celles qui fascinent et dérangent, celles justement qu’Hella S. Haasse se plait à raconter, à justifier, à glorifier.

Au centre de cette oeuvre multiple, on l’aura compris, il est question de passé, de mémoire. Arrachée à 20 ans à sa terre natale, Hella S. Hasse garde cette nostalgie de l’enfance indonésienne, paradis perdu dont les seules traces sont celle de la mémoire. Des traces qu’elle débusque au fil des pages de Viser les cygnes, étrange roman qui prend la forme d’un retour sur soi à partir d’un carnet de bal, transmis au fil des générations, seul point d’ancrage dans une histoire familiale mouvante, instable, imprécise ou occultée. Connaître son passé, c’est d’abord faire défiler ses souvenirs, au fil des associations mentales, dans un véritable travail introspectif, comme Jason, le jeune Australien à la recherche de l’histoire collective qui le construirait, piégé entre la réalité de sa récente immigration et la tentation d’une tradition aborigène dont il est forcément exclu.

Recherche d’ancrage dans des histoires étrangères, tentatives d’appropriation d’une mémoire fortement amarrée dans la tradition et la transmission, n’est-ce pas finalement sa propre histoire que recherche Hella S. Hasse, dans cette restitution minutieuse du passé ? Un passé qui ne sera jamais le sien, tout comme le sien reste à jamais intransmissible, perdu dans les images jaunies d’une Indonésie disparue.