Le libraire 2.0 ou l’art de l’échoppe sur la toile

Le libraire BD était tranquille, était peinard, tout seul accoudé au comptoir. Avec son vieux gilet élimé aux coudes, il attendait le client feuilletant une de ces nouveautés fraichement arrivées. Amoureux de ses livres, il touche le papier, hume l’encre et regarde le brillant de ce nouveau papier glacé. Et tout à coup, patatra, arrive l’internet et avec lui les livres numériques, les réseaux sociaux, le cloud... Impossible d’y échapper : être sur la toile ou ne pas être, il n’y a pas à se poser la question.

Alors la boutique de quartier a du évoluer, encore, et s’adapter à ce nouvel environnement. Loin des contraintes économico-culturelles des plates-formes de ventes amazoniesques et des enjeux de la dématérialisation, voici venir le nouveau type de dealers de proximité : Le Libraire 2.0 !

Parce qu’un nom de domaine coûte trop cher et qu’avoir un hébergeur, c’est trop compliqué (et réciproquement), le libraire 2.0 va de suite s’orienter vers les réseaux sociaux. Vine ? Instagram ? FourSquare ? Non, Facebook bien sûr. D’abord il crée un compte dédié (Prénom : Librairie, Nom : A la Bonne Bulle) et invite ses amis. C’est pas terrible, terrible mais ça suffit pour démarrer l’aventure et conquérir le monde !

On y parle des sorties, des expos, des dédicaces comme à BD West (St-Brieuc), Critic (Rennes) ou Opéra BD (Paris). A La Petite Bulle (Lyon), on n’hésite pas à se faire plaisir et à parler de son quotidien, ainsi qu’à BD fugue (Bordeaux) ou l’on n’hésite pas à poster comme des furieux. A Bédérama (Reims), on est plus softs et on s’applique à être exhaustif dans les sorties de la semaine.

Une fois qu’on a expliqué à notre libraire que c’était mal et qu’il fallait réaliser une "page" à l’image de sa librairie, il attaque la seconde étape de son développement : la vitrine numérique.

Finalement, c’est un peu comme avant mais avec de l’expérience. Par exemple, à La Bande Dessinée (Lyon), c’est bien rangé, c’est propre, c’est efficace, comme une bonne librairie BD doit être. On peut dire la même chose de la page de la Librairie Super Héros (Paris) et son superbe bandeau. A L’Art en Bulles (Nantes), on met le paquet sur le service client et on offre de belles chroniques pour se faire un avis. Certains appuient sur les coups de cœur comme Ty-Bull...Tome 2 (Rennes) dans un registre un tantinet décalé.

Et puis certaines pages deviennent des institutions, à l’image de leur établissement. Le Monte en L’Air (Paris) est de ceux là avec ces pléiades d’événements. 6000 personnes suivent cette page, le chiffre ne trompe pas.

Quand le libraire 2.0 est trop bavard et qu’il a compris le truc, il bascule sur Twitter. On y trouve le sympathique Bulles de Salon (Paris) et ses photos "faites maison". Juste à coté, il y a Comics Records (Paris) qui est Rock’n’Roll jusque dans ses réflexions sur son quotidien. Enfin, le prolixe Arkham Comics (Paris) n’hésite pas à commenter les médias de toute une génération (cinéma, musique, jeux vidéos...) avec une verve qui fait mouche à tous les coups.

Je ne terminerais pas cet article sans ma préférée, la délicate Marie Rameau qui fait de très jolies chroniques sur ses coups de cœur, illustrées d’une photo la mettant en scène avec l’œuvre. Œuvre qu’elle choisit toujours avec soin.

Et enfin, il reste le mystérieux libraire du blog Les Libraires se Cachent Pour Mourir. Entre le soldat inconnu et Keyser Soze, cet homme à l’identité secrète délivre ses conseils tout en ayant un regard acerbe sur le quotidien d’un Libraire BD. Tel un justicier (masqué) moderne, il n’hésite pas à dénoncer les défaillances d’un système un peu bancale. Tantôt drôle, tantôt émouvant mais toujours juste, Le Libraire qui se Cache est un peu une madone auprès duquel tous les libraires 2.0 viennent se recueillir.

Même si le plus dur est fait, il y a encore du boulot pour le libraire 2.0. L’objectif de la librairie 2.0 (virtuelle mais aux bénéfices bien réels) est encore trop loin mais il y a des étapes intermédiaires à franchir. Et si, entre deux cartons, on se mettait à Pinterest ?