Le 26 août 2004
La tragédie antique, prétexte au combat personnel d’une jeune serveuse. Magnifique premier volet d’une suite de trois "cahiers".
À travers le regard d’une jeune serveuse, Michel Tremblay nous entraîne au cœur d’un Montréal qui, à la veille de l’Exposition universelle, s’ouvre sur le monde et offre la nuit son excentrique défilé.
Dans son dernier roman, Le cahier noir, Michel Tremblay propose une jeune narratrice peu banale qui s’inscrit dans la lignée des personnages marginaux auxquels l’auteur nous a habitué. Céline Poulin, serveuse de nuit au restaurant Le Sélect situé coin Sainte-Catherine Saint-Denis dans le Montréal des années 1960, évolue dans un milieu composé d’excentriques, de travestis et d’étudiants paumés, faune bruyante et bigarrée à laquelle elle s’identifie par sa propre différence, ce corps trop petit qu’elle aimerait oublier. Passionnée d’écriture, la jeune serveuse noircit des pages entières de ce cahier noir, qui emprunte davantage à la chronique qu’au journal par sa structure et sa force du détail, consciente du cliché qu’elle incarne, celui de la waitress-écrivain qui fait de sa pratique d’écriture un exutoire.
C’est au cours des moments de flottements, entre deux rushs, que Céline Poulin s’engage à participer aux auditions puis aux répétitions des Troyennes d’Euripide. Si l’écriture lui permet de faire un travail d’introspection, la lecture de la tragédie lui apportera le salut qu’elle recherche. La souffrance des Troyennes, la douleur que suscite leur condamnation, devient le prétexte au combat personnel que livre Céline afin de s’affranchir d’une mère déchue qui reporte tous les malheurs de son triste univers sur les épaules de sa fille. Le sujet antique donne voix au mal-être de la narratrice qui, s’appropriant le cri de ces femmes condamnées à l’esclavage, finit par entendre dans le chœur composé des captives l’écho de sa propre tragédie. Nul besoin d’être héroïne pour dire sa douleur, l’angoisse et l’affliction rejoignent et rassemblent toutes celles qui voient leur histoire brisée par le malheur et rompue par l’Histoire. Le parallèle entre la tragédie grecque et le drame privé de la narratrice constitue l’une des forces du roman. La détresse collective offre une légitimation à celle personnelle ; le mythe, réactualisé et représenté, devient porteur de sens.
Avec humour et profondeur, Michel Tremblay exprime la grandeur et la petitesse de l’être où s’affrontent et s’allient force et fragilité, dignité et confusion. Il signe avec Le cahier noir, dont l’univers à la fois théâtral et réaliste rappelle avec bonheur les Chroniques du Plateau-Mont-Royal, le premier volet d’une trilogie. Au Cahier noir succéderont Le cahier bleu, récit de la liberté et de l’espoir et Le cahier rouge, cahier de l’abandon et de l’amour.
Michel Tremblay, Le cahier noir, Actes Sud, 2004, 264 pages, 19,50 €
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