Le corps médical
Le 4 mai 2024
Derrière un synopsis peu ragoûtant, une fable grinçante et soignée. La déliquescence du système hospitalier comme métaphore de la société.
- Réalisateur : Cristi Puiu
- Acteurs : Ioan Fiscuteanu, Luminta Gheorhiu, Doru Ana
- Genre : Drame
- Nationalité : Roumain
- Distributeur : Bac Films
- Durée : 2h34mn
- Titre original : Moartea domnului Lazarescu
- Date de sortie : 11 janvier 2006
- Festival : Festival de Cannes 2005
Résumé : Monsieur Lazarescu, soixante-trois ans, vit dans un appartement avec ses trois chats. Un samedi soir, il ne se sent pas bien. Jusqu’à l’arrivée de l’ambulance, il essaie d’apaiser son mal avec les médicaments qu’il a sous la main. Ce qui semblait être un mal de tête, causé par l’abus d’alcool, s’avère être une infection plus sérieuse quand M. Lazarescu vomit du sang. Finalement, l’assistante médicale de l’ambulance arrive. Elle décide de l’emmener à l’hôpital suspectant une tumeur au côlon. À l’hôpital, les choses se compliquent...
Critique : Dante Lazarescu : vieux pull rouge, bonnet bleu, barbe mal rasée, une armada de chats. Un vrai clochard d’intérieur. Seul, dans son appartement crasseux, il passe le temps à le tuer. À boire, bien entendu. À boire pour chasser le mal de ventre, puis pour le mal de tête, puis on ne sait plus trop pourquoi. Finalement, ce serait un peu l’histoire d’un acteur de Béla Tarr ou Sharunas Bartas qui, après avoir tourné une scène de beuverie, retournerait chez lui pour s’en envoyer une dernière, en solitaire.
Le réalisateur, Cristi Puiu, d’un point de départ volontairement glauque et antipathique, tire une fable alerte, d’un comique pince-sans-rire, sur la nature humaine. Comme un épisode bonus du Décalogue de Kieslowski, en (beaucoup) plus long, le film avoisinant les 2h30. Et, miracle, le temps file à toute allure, malgré le quasi-temps réel et la répétition des situations, grâce à une maîtrise de tous les instants du rythme narratif (notamment lors des scènes d’hôpital qui, si elles sont moins animées que la série Urgences, n’en demeurent pas moins assorties d’un redoutable sens du suspense).
Tomber malade en Roumanie, c’est toute une histoire. C’est surtout un formidable moyen d’invoquer une foule de personnages, électrons plus ou moins comateux, gravitant avec une relative indifférence autour de Dante Lazarescu, vieillard souffrant et figure centrale du film (dont nous ne saurons presque rien du passé). Pas besoin d’indices psychologiques d’ailleurs, le cinéaste ayant eu la bonne idée d’humaniser le personnage par opposition à la froideur de ceux qui l’entourent (médecins, infirmiers). Juste assez pour que l’on se prenne d’affection pour ce corps souffrant, ballotté de services en services, d’hôpitaux en hôpitaux dans une pagaille kafkaïenne. Car, ne rigolons pas, le film est drôle. Plus de deux heures d’une santé qui se dégrade à vue d’œil, on a connu mieux comme argument comique. Ce serait oublier qu’au cinéma, tout est question de traitement. Ici, il s’agit de brosser le portrait d’une Roumanie endolorie, au fonctionnement figé par une bureaucratie trop lourde et, forcément, absurde.
Avec une confiance et une maîtrise étonnantes pour un second film, Cristi Piui suit son chemin à travers l’indifférence et l’abnégation humaine. Chemin apparemment dégagé et libre de tout obstacle, ne serait-ce la présence notable d’une infirmière, sorte d’ange gardien, impuissante toutefois à rétablir la situation. Parfois proche du documentaire dans ses dispositifs (caméra portée, temps réel), le film met à nu un corps médical rongé jusqu’à l’os, cadavre encore fumant d’une médecine à la chaîne. Pourtant, on en ressort avec un sourire au coin des lèvres, vaguement impressionné, conscient d’en savoir un peu plus sur le monde qui nous entoure. Comme du Kieslowski, on vous dit.
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Norman06 22 avril 2009
La mort de Dante Lazarescu - Cristi Puiu - critique
Un chef-d’œuvre. Ce film éblouissant, qui croise les univers de la série Urgences et de Rohmer, est une merveille de narration et d’intelligence de mise en scène. Sans doute l’une des meilleures sorties en salle de 2006. À découvrir !