Festen
Le 3 août 2016
Critique sociale, fresque familiale, comédie à l’italienne à la Risi... Sieranevada révèle un Cristi Puiu au sommet de son art. Malgré un certain systématisme, rarement réunion de famille n’aura été chorégraphiée avec un tel raffinement.
- Réalisateur : Cristi Puiu
- Acteurs : Andi Vasluianu, Mimi Branescu, Bogdan Dumitrache
- Genre : Comédie, Drame
- Nationalité : Roumain
- Durée : 2h53mn
- Date de sortie : 3 août 2016
- Festival : Festival de Cannes 2016
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Année de production : 2016
L’argument : L’intrigue se penche sur la trajectoire d’un neurologiste émérite de retour d’un voyage à Paris. Avec sa compagne, ce dernier se rend chez sa mère pour l’anniversaire de la mort de son père. Cristi Puiu compare son film à un requiem dont l’objet serait les liens familiaux, entre tensions et passions.
Notre avis : D’entrée de jeu, le cinéaste roumain opte pour un plan séquence fixe au coin d’une rue. Dans le champ, une famille pressée de monter en voiture et dont on ne perçoit que quelques bribes de conversation. Dès le départ, les protagonistes semblent enserrés dans un espace qui les dépasse, avec cette circulation embouteillée et ces interstices impraticables. À peine les deux enfants - trop encombrants sans doute - accompagnant Lary et sa femme sont-ils montrés au spectateur qu’ils finissent aussitôt abandonnés à une nourrice. La journée de commémoration de la mort du père de Lary se fera exclusivement entre adultes, ou presque. Un rendez-vous sous haute tension où les uns évitent les autres, et où l’unité de rigueur se lézarde peu à peu, se fend à la manière de Festen pour mieux exploser en une catharsis salvatrice. A la différence que l’humour, ici utilisé satiriquement, laisse respirer l’ensemble. Entre l’arrivée dans l’appartement et ce point de non-retour, où quelques-uns ne parviennent plus à réprimer l’envie de laver leur linge sale en famille, Sieranevada se vit néanmoins comme une plongée en apnée parfois éprouvante. Où le spectateur pioche, pris entre les parois exigües du logement familial, quelques échanges ici ou là, tout en assistant interdit aux disputes de la grand-tante, ex-cadre nostalgique du parti communiste, et de sa petite-nièce. Où d’autres se remémorent Ceaucescu, critiquent le monarchie roumaine ou dissertent sur la théorie du complot. Comme si Cristi Puiu avait cherché précisément à faire vivre une expérience de claustration, pour mieux prendre la mesure de son dispositif. Tout en cherchant à dévoiler une société obsédée par la notion de vérité, mais aussi consciente d’innombrables mensonges à expier.
A voir circuler inlassablement d’un compartiment à l’autre les membres de la famille, le sentiment d’assister à un ballet l’emporte. Les circonvolutions de cette fourmilière irascible font figure de métaphore : celle d’une société roumaine en vase clos qui tente de retomber sur ses pieds, mais dont le cheminement pour y parvenir est encore pavé d’innombrables chausse-trappes. Dans le même temps, ce cloisonnement des êtres et des espaces n’est pas anodin : il reflète bien l’impossibilité d’une unité, la nécessité pour l’heure d’une subdivision. Ou faut-il peut-être plutôt y voir l’image d’un isolement social ? Stupéfiante cette séquence où le couple se retrouve piégé dans un parking par une voiture lui barrant la sortie, puni d’avoir utilisé la place d’un autre avec sa grosse voiture. Comme si la question des classes resurgissait façon retour du refoulé. La femme de Lary, Sandra, semble payer sa condition de petite bourgeoise. Lary a beau prétexter aux hommes venus déloger violemment leur véhicule qu’ils habitaient dans le même pâté de maison il y a peu, le retour en arrière n’est plus possible. Encore une fois, Puiu dissèque sa société avec une minutie évidente. Cet intermède mouvementé va raviver dans le même temps chez Lary des douleurs enfouies du passé, des non-dits familiaux. Comme si l’un formait le tout, comme si le macrocosme rattrapait le microcosme et vice-versa. L’idée que le moindre détail de ce tableau ramène inlassablement Lary à la question de la vérité, atteignable mais insaisissable.
A noter que les de tracteurs qui s’immiscent parfois soudainement dans le cadre dans les plans en extérieur, ces travaux partout, ces bouchons... donnent l’impression d’une Roumanie encore en chantier, en reconstruction. Cette métaphore est tangible jusque dans l’appartement où a lieu le repas de famille. La caméra du réalisateur ne peut jamais englober tous les membres de la fratrie. Les couloirs sont trop étroits, les pièces trop éparses. Chacun y va de son petit groupe, se nichant dans un endroit circonscrit : la chambre, la cuisine, le salon, le bureau. Comme autant de segmentations des convictions, des idéaux et des personnalités. Au sein de ce système, Lary ne se placera jamais réellement, permettant ainsi de polariser le regard du spectateur. Et pour cause : davantage spectateur qu’acteur, taxé de conservateur par quelques proches, celui-ci reste dans l’indécision, et le rire reste finalement sa meilleure arme pour s’extraire de cet univers à la fois étouffant et vivifiant.
Mais cette chorégraphie pointilliste et ce systématisme théorique à grand renfort de plans fixes - toujours égayés de lentes panoramiques façon documentaire - ne sauraient masquer l’autre film niché dans Sieranevada : la comédie à l’italienne, qui au bout du compte n’est pas sans évoquer un héritage de Pietro Germi ou Dino Risi. Où les nombreux protagonistes laissent parfois exploser des crises d’hystérie délirantes parsemées de larmes, d’insultes voire de menaces. Mention spéciale pour la séquence de bénédiction, qui voit le prêtre bénir un à un chaque intervalle de l’appartement, là où le chaos régnait encore quelques minutes auparavant. Dans cette faculté de traiter autant de personnages sans pour autant les abandonner en cours de route ou les délaisser, Cristi Puiu fait preuve de maestria.
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