Le 28 juillet 2020
- Réalisateur : Cristi Puiu
- Acteurs : Frédéric Schulz-Richard, Agathe Bosch, Diana Sakalauskaité, Ugo Broussot, Marina Palii,
- Distributeur : Shellac
- Nationalité : Suédois, Roumain, Bosniaque, Serbe
- Date de sortie : 8 juillet 2020
- Durée : 3h20
- Plus d'informations : Malmkrog - Cristi Puiu - critique
- Festival : Festival de Berlin 2020
Frédéric Schulz-Richard, qui incarne le personnage du grand propriétaire terrien et philosophe Nikolai, revient sur l’expérience très forte qu’a été le tournage du film de Cristi Puiu.
Entretien : Le nouveau film de Cristi Puiu, Malmkrog, récompensé par le prix du meilleur réalisateur au Festival International du Film de Berlin, dans la section « Rencontres », est une véritable prouesse sur le plan de la mise en scène et du jeu des acteurs. Ces derniers déclament des dialogues pendant des dizaines de minutes, sans coupure de plan, tout en discutant de sujets profondément philosophiques. aVoir-aLire a rencontré Frédéric Schulz-Richard, qui incarne le personnage du grand propriétaire terrien et philosophe : Nikolai.
Dans un premier temps, le réalisateur Cristi Puiu a convenu, avec tous les comédiens, de venir sur le site du film pour, dans un deuxième temps, découvrir quels personnages s’accorderaient le mieux à chacun. Comment avez-vous trouvé le personnage que vous joueriez ?
C’est vrai qu’au départ, c’est resté ouvert très longtemps, c’est-à-dire que je m’intéressais aux cinq personnages, mais ce n’est pas nous qui avons décidé. La décision finale appartenait au réalisateur, Cristi Puiu. Par la suite, il y a eu un jeu de chaises musicales : j’étais censé être Édouard pendant très longtemps, donc j’ai appris le rôle Édouard et ce qui s’est passé, c’est que Cristi Puiu m’a vu pour la première fois le jour où je suis arrivé en Roumanie. En amont, je ne l’avais jamais rencontré ; on avait discuté très longuement sur Skype ; son assistante était venue à Paris et j’avais passé une journée entière avec elle. C’est quelqu’un en qui elle a une grande confiance. Quand il a vu ma tête avec le costume, un peu fatigué après l’avion, il a dit : « non, en fait c’est pas du tout Édouard, tu seras Nikolai ». J’ai éclaté de rire et cela a donné la tonalité du tournage. Il n’a même pas voulu m’entendre une seule seconde en tant qu’Édouard. Il m’a dit « je suis sûr de moi ». J’ai adoré cela, tout était possible, il fallait être ouvert aux quatre vents.
On dirait, à vous entendre, que les choix de Cristi Puiu relèvent beaucoup de l’intuition…
Il est extrêmement intuitif, a construit avec la présence et avec les liens qu’il y avait entre nous, sans jamais le dire. Je crois qu’il s’est beaucoup inspiré de ce qu’il voyait, de ce qu’on était, de la matière vivante, en fait. Un peu comme un peintre, il a décidé finalement que j’étais la couleur « Nikolai ».
Vous venez d’un milieu théâtral et vous avez commencé à faire des films récemment. Cristi Puiu s’est d’abord formé à la peinture et s’est ensuite tourné vers le cinéma. Retrouvez-vous une influence du théâtre ou d’autres formes artistiques dans les techniques avec lesquelles vous avez travaillé ensemble ?
Tous les acteurs viennent du théâtre certes, mais même si, notamment au début du film, dans la première longue séquence, on dirait que les acteurs sont sur une scène de théâtre, plus le film avance, plus on a l’impression de rentrer dans le cinéma. En effet, il n’en reste pas moins que c’était vraiment du cinéma, c’est-à-dire qu’il y avait des indices très précis sur le sol, tout était millimétré. Ce qui peut faire penser au théâtre, c’est un peu le fait que toutes les prises, toutes sans exception, duraient entre dix et quinze minutes. Le texte faisait des pages entières sans s’arrêter, et c’est très rare au cinéma, c’est vrai. C’est plus du ressort du théâtre. Je pense que Puiu a pu le faire parce qu’on a plus facilement cette pratique-là au théâtre ; apprendre des textes si longs, c’est difficile, mais imaginable. Le théâtre et le cinéma se croisent dans les séquences longues, où il y a en fait une sorte de temps réel qui s’infiltre dans les prises. Le son des cloches en est un exemple : Puiu a choisi la prise où il y a ce son des cloches qui a été, entre guillemets, accueilli par nous et intégré à la scène. Pour moi, ça, c’est vraiment du théâtre : prendre en compte l’environnement. Et je pense que Puiu travaillait un peu comme un peintre, même s’il pense "cinéma" tout le temps, il a une vision extrêmement précise de tout ce qu’il veut voir et de la manière dont il compose. Cela ressemble un peu d’ailleurs à des tableaux, surtout au début. Pour moi, c’est la composition des tableaux. Donc on peut bien penser à la peinture et au cinéma, surtout dans ce film-là, presque plus que dans les autres.
Comment avez-vous, l’ensemble des comédiens et le réalisateur, travaillé la dimension, la profondeur philosophique du film ?
Dans un premier temps, chacun a travaillé son texte et ensuite on l’a travaillé collectivement en répétition, pendant quinze jours. Pendant ces jours, on a coupé dans le texte original, dont on a enlevé un tiers. Cela a donné des discussions, où l’on décidait qu’un passage n’était pas nécessaire et qu’un autre l’était vraiment. Ensuite, il fallait aussi être sûr de comprendre les mêmes choses : quand il y avait une question, il fallait absolument la poser. De mon côté, il m’a fallu plusieurs lectures pour arriver vraiment à l’œuvre. Au départ, c’était tellement énorme que j’avais l’impression que c’était une montagne.
En raison de ce contenu philosophique et historique très fort, vous êtes-vous tourné vers un ou plusieurs personnages historiques, un portrait ou un archétype, par exemple, pour construire votre personnage et enrichir votre jeu ?
Il y a une chose qui me vient à l’esprit très clairement, c’est un événement : c’est le jour où on nous a fait visiter le manoir qui avait déjà été décoré et dans la chambre du mourant, il y avait une photo qui faisait référence à l’assassinat de la famille Romanov, en 1918. Puiu m’en a parlé en détail et lentement. J’avoue que, sur le coup, je n’avais pas vraiment compris pourquoi il m’avait raconté ça avec une telle insistance. Puis, à un moment, au cours du tournage, il a décidé de la scène de la fusillade : ça a été une inspiration. Donc là, j’ai à nouveau pensé à ce qu’il m’avait raconté de la famille Romanov et de l’éruption de la violence dans un milieu apparemment très calme. En ce qui concerne les personnages, on a choisi les noms et ça a été un énorme travail. Par exemple, le prénom « Madeleine » a été choisi car le film est aussi un travail sur la mémoire, donc il y a une référence à la madeleine de Proust. C’était une façon de s’en approcher, parce que, dans le texte original, les personnages n’avaient pas des noms.
Il y a encore cet apport de la peinture et de la mémoire qui vient influencer ce que vous êtes en train de construire au moment présent…
Oui, une chose extrêmement importante pour comprendre comment on a tourné, c’est qu’on a tourné sans scénario. On avait au départ la colonne vertébrale du texte original de cet auteur russe, Soloviev, écrit en 1900. Toutes les relations entre les personnages, les événements forts qui débarquent ont été décidés en cours de route. Même les rapports hiérarchiques entre nous étaient convenus presque selon les forces et faiblesses de chacun. Par exemple, il y a la scène avec le majordome et le thé, qui est quand même marquante, et la veille on ne savait pas qu’on allait la faire. L’acteur qui joue le majordome, István Téglás, ne le savait pas, ça a été décidé le matin même et, à la fin de la journée, on a entendu les applaudissements. J’étais extrêmement impressionné par cette faculté d’improvisation, à la fois de Cristi, mais aussi de l’équipe technique et des acteurs, et c’est arrivé à plusieurs reprises, par rapport à des événements où il fallait être ouvert.
Sculpter quelque chose…
Oui, sculpter le temps, sculpter la matière. Moi, arrivant tard sur les lieux, je n’ai pas vu le manoir « normal », c’est-à-dire comme il est actuellement. Quand je l’ai vu à la fin du tournage, j’ai mesuré le travail énorme qui avait été fait et que je n’avais pas réalisé.
Par exemple, la bibliothèque n’était pas du tout dans le manoir, le couloir n’existait pas, c’était une création de la décoratrice, pour revenir sur la dimension « peintre ». Ça a été vraiment touchant et à la fois triste de voir que tout cela va si vite.
C’est comme un rêve qui est mis en suspens et à la fin il se dissout dans le crépuscule du siècle…
Oui, c’était ça [rires].
La relation personnelle qui se tisse entre les personnages, parfois plus intime, parfois pas autant, n’est pas toujours éclairée de manière explicite. Comment avez-vous préparé votre personnage pour faire ressentir subtilement qu’il y aurait quelque chose qui s’est établi entre les protagonistes, par exemple en suggérant qu’ils se connaissaient peut-être auparavant ou pas, tout en restant dans le subtil ?
Je pense qu’on le doit énormément à la direction de Cristi Puiu. Nous, d’une part, on s’est énormément imprégnés du texte et des idées, c’est évidemment le premier pas. Cristi nous a vraiment plongés dans une atmosphère, on s’est retrouvés catapultés dans un autre monde, on était en Roumanie, on ne connaissait pas la langue. Je crois que les choses se sont faites sur place, par des discussions. En fait, je vais faire un jeu de mots maladroit, mais la Roumanie et la Transylvanie sont quand même la région de Dracula, et avant que je parte mes amis m’ont averti : « tu vas dans la région de Dracula ». À la fin, je me suis dit « oui, en fait, il y a un vampire », mais le vampire c’est le film. Je le dis ainsi, car à la fin je n’avais vraiment pas envie que cela s’arrête, j’aurais voulu que cela continue, j’étais comme vampirisé, mais dans le meilleur sens du mot. Ça, c’était pour dire que le film a beaucoup puisé dans nos relations, d’où l’aspect subtil que l’on peut voir, extrêmement travaillé. En même temps on se nourrit de la réalité : en fait, des corps et des personnes, de nos attentes, qui nous rapportent autrement. Avant d’aller au tournage, j’ai revu le film de Cristi Puiu, Sieranevada, et je me suis dit « jamais je n’arriverai à être comme eux », c’est-à-dire à être aussi vivant et subtil que les acteurs et les personnages. Je me demandais « comment fait-il ? » et cela tient beaucoup à sa direction d’acteurs, à la fois volcanique et très magnétique. C’est quelqu’un qui parle beaucoup et a une énergie très forte. Donc je crois qu’évidemment, ça tient à lui.
Quels ont été le plus grand défi et le plus grand plaisir pour vous, dans ce film ?
Je dirais que cela s’est joué dans une scène où on était tous à table et où Nikolai parle de son ami. C’est justement la séquence où les cloches interviennent. A ce moment-là, le personnage a un assez long monologue. Cette séquence n’était pas pour Nikolai au départ et Cristi Puiu a décidé de changer, il m’a dit : « demain, c’est toi qui vas le faire ». Là encore j’ai éclaté de rire, je me suis dit que jamais je n’y arriverai. Alors certes, je l’avais déjà lu et beaucoup entendu, mais j’ai passé la nuit à ne pas dormir, à essayer d’apprendre ce texte relativement long. C’était tout de même au début du tournage : on ne se connaissait pas si bien encore, on était en train de s’apprivoiser. Alors pourquoi c’était le plus grand défi ? Cela paraît clair. Et aussi : pourquoi le plus grand plaisir ? Parce que c’est sur cette séquence-là, à mon avis, qu’on s’est rencontrés avec Cristi Puiu, où la confiance s’est tissée, parce qu’évidemment on a tourné dès le lendemain et il a eu la délicatesse de commencer par les gros plans sur les autres. Donc, on était dans un vrai "faire" : « est-ce que tu relèves le défi ? ». Ma première réaction c’était « oui », et après : « est-ce qu’on y arrive ? ».
J’étais très heureux, épuisé au départ, mais très heureux. Cela a signé définitivement quelque chose qui n’a jamais été démenti et qui est la relation de confiance entre nous deux. De plus, j’ai trouvé le texte extrêmement beau et cela me touchait beaucoup, cette histoire d’un ami disparu.
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