Le 31 octobre 2023
Quatre instants de vie suspendus, comme extraits d’un arrière-plan de crise sanitaire. Cristi Puiu parvient une fois de plus à nous embarquer dans le quotidien réaliste de ses personnages.
- Réalisateur : Cristi Puiu
- Acteurs : Dragos Bucur, Bianca Cuculici, Laur Bondarenco, Florin Tibre, Igor Babiac, Roxana Ogrendil
- Genre : Drame, Film à sketches
- Nationalité : Français, Roumain, Moldave
- Distributeur : Shellac
- Durée : 2h40mn
- Date de sortie : 1er novembre 2023
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Résumé : Plusieurs portraits, quatre récits, quatre courts moments dans le temps, la poursuite d’un groupe d’âmes errantes coincées au carrefour de l’Histoire.
Critique : MMXX, soit 2020 en chiffres romains. L’année du premier confinement, et de la découverte de la COVID-19. C’est bien le fil rouge de ces court-métrages, liés par une tension sous-jacente qui se manifeste par l’apparition à l’écran des masques, qui cachent le visage, et que l’on demande parfois de retirer. Ce sont quatre histoires, quatre morceaux de vie comme coupés du temps, des parenthèses où prime le dialogue, le verbe, dans des huis clos qui ressemblent parfois à des pièces de théâtre, mais dont le naturel du jeu et la mise en scène rappellent que nous sommes bien au cinéma.
Tout commence dans un salon où sont agencés deux fauteuils l’un à côté de l’autre, dont la disposition laisse à présumer qu’il s’agit du bureau d’une psychologue. Ils se regardent, se font face, et la protagoniste est assise, la tête à l’envers et les jambes en l’air sur l’un deux. On sonne. C’est le signal d’alarme, celui qui indique qu’il faut ranger tout ce qui pourrait évoquer le familier : l’assiette encore pleine, le verre, et les chaussures à talon que la psychologue s’empresse d’enfiler. On passe d’un moment d’entre-deux, où prime le personnel, au monde professionnel. Tout le film navigue entre ces deux pôles, au sein d’un plan-séquence d’une incroyable rigueur. Le couloir sert alors de sas, de vase communiquant, de lieu intermédiaire, entre le bureau où se déroule l’entretien (un test, dont les questions permettent à la patiente de divaguer sur sa vie, dont on ne sait si les répliques sont improvisées ou non), lieu de déballage de l’intimité, et la porte d’entrée, d’où émerge une autre sorte d’intimité, celle de la psychologue. Car son frère sonne et entre dans l’appartement au milieu de la séance, est accueilli dans ce couloir, et fait apparaître avec lui quelque chose que la patiente n’aurait pas dû voir, quelque chose relevant des liens du sang. Le film fait penser, dans sa disposition, à la série télévisée En thérapie.
- © 2023 Shellac Distribution. Tous droits réservés.
Entre chacun des quatre segments, on trouve un plan survolant une décharge en pleine nature, où les objets abandonnés sont encerclés de verdure, leur donnant une charge poétique. C’est une sorte d’entracte, une pause métaphorique.
Le deuxième court-métrage vient souligner les rôles attribués aux hommes et aux femmes, ceux qui sont inconsciemment ancrés dans les mentalités, qui tendent à évoluer. La scène se déroule dans une cuisine et l’intrigue se focalise sur un petit rien : des accessoires de robot perdus qu’il faut retrouver pour pouvoir réaliser des babas au rhum. Il y a la sœur, qui s’active de part et d’autre, saisie dans des plans qui accompagnent ses mouvements, et le frère, assis à la table, spectateur des allers-retours de sa frangine, fumant cigarette sur cigarette, immobile. C’est une critique par le faire, qui est ici amenée, quand les femmes doivent être de partout, doivent tout faire, et que les hommes se contentent de regarder. L’intrigue prend un autre tournant au moment de l’appel d’un ami, dont la femme, enceinte, est à l’hôpital pour des douleurs au ventre. Se met en place un jeu de téléphone arabe, où coup de fil sur coup de fil sont passés à diverses connaissances pour essayer de faire évoluer la situation et d’en savoir un peu plus. Se déplie des ribambelles de liens, qui pigmentent cette situation initiale par touches, comme dans un tableau expressionniste : ce sont des fragments de discussions auxquelles nous assistons, car nous ne percevons pas ce que l’interlocuteur affirme dans le combiné du téléphone. Nous ne saisissons en somme que les réponses et les interrogations de la sœur. Cela nous place dans une effervescence où prime le langage quotidien, où les portables permettent de passer rapidement d’un individu à l’autre, de créer un réseau invisible, de tisser des liens virtuels, d’autant plus importants dans cette période de confinement.
- © 2023 Shellac Distribution. Tous droits réservés.
Le troisième court-métrage reprend la disposition du premier, dans sa mise en scène : nous assistons, dans la salle de pause d’un hôpital, à la discussion entre deux soignants, l’un allongé sur un canapé, dos à celui qui l’écoute, installé dans un petit lit. Dans sa figuration, la scène fait penser au dispositif de psychanalyse. La discussion retrace une aventure amoureuse cinématographique, aux rebondissement digne d’un film policier. C’est un entre-deux soustrait aux lois de la médecine, une échappée romantique, une histoire racontée entre quatre murs, comme une confession, comme un secret.
Le dernier court-métrage place le spectateur au sein d’une enquête, aux côtés de deux policiers venus sur les lieux du crime rencontrer une témoin. L’interrogatoire sert de support à l’évocation de souvenirs, à l’épanchement, à un discours ponctué de silence et d’hésitations, d’où monte l’émotion. Ce qui prime ne réside pas tant dans les indices que cette jeune femme apporte au moulin de l’enquête, mais dans le récit d’un pan de vie, dans les petits riens du quotidiens, dans ce qui, d’habitude, n’intéresse personne.
MMXX saisit par sa construction plastique très ordonnée, par ses plans-séquences vertigineux, mais surtout par sa labilité, ce qui sort de la bouche des acteurs, et qui parvient à nous captiver, à nous transporter, nous faire voyager, pour quelque temps, dans la vie d’un(e) inconnu(e).
Cristi Puiu sait s’emparer du réel, le découper dans toute sa complexité, et le rendre à l’écran dans ce qu’il possède de plus prenant.
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