La clé des champs (Stadt Land Fluss) - la critique + test DVD

Ce beau roman d’apprentissage et de coming out dans une ferme collective du Brandenbourg convainc par l’acuité de son regard documentaire et émeut par la justesse délicate de ses interprètes. Une excellente surprise venue d’Allemagne.

Stadt Land Fluss (la clé des champs) - Benjamin Cantu

L’argument : Marko est apprenti dans une ferme située à soixante kilomètres de Berlin. S’il réussit son examen de fin d’études alors il devient agriculteur. Mais il ne sait plus si c’est ce qu’il veut vraiment. Solitaire et secret, il a peu de contacts avec les autres. Lorsque Jacob, un nouvel apprenti, débarque dans l’exploitation, Marko commence à s’ouvrir peu à peu. Les deux adolescents vont devenir de plus en plus proches, jusqu’au jour où une escapade inattendue à Berlin finira par changer définitivement leur vie...

Notre avis : Avant ce premier film de fiction, Benjamin Cantu, né en 1978 à Budapest mais formé en Allemagne (d’abord à la Hochschule für Film und Fernsehen Konrad Wolf de Potsdam-Babelsberg, puis à la Film- und Fernsehakademie de Berlin), avait réalisé plusieurs documentaires.
Et c’est l’extrême attention documentaire qui distingue d’abord Stadt Land Fluss (Ville campagne fleuve sans ponctuation) du tout venant et l’inscrit dans une riche tradition est-allemande dont sont issus entre autres les oeuvres de Jürgen Böttcher, de Volker Koepp ou encore de Winfried et Barbara Junge.
Cantu a situé son histoire somme toute assez classique de coming out post-adolescent dans le cadre inhabituel d’une ferme collective quasi industrielle, une de ces Agrargenossenchaften (coopératives agricoles), héritières des LPGs (Landwirtschaftliche Produktionsgenossenschaften) du temps de la RDA, située à 60 km de Berlin.
Le tournage d’est déroulé au mois d’août 2010, en pleine période de moissons, et les deux acteurs professionnels ainsi que toute l’équipe du film ont participé aux travaux de la ferme aux côtés des employés et des douze apprentis qui apparaissent à l’écran dans leur propre rôle.

Kai Michael Müller et Lukas Steltner - Stadt Land Fluss (la clé des champs) - Benjamin Cantu

Sans chercher le spectaculaire et en évitant toute dramatisation forcée, Cantu réussit à trouver ainsi la bonne distance et à produire une impression d’immersion dans un monde qui garde pourtant son altérité. On se prend à se passionner pour le marquage des veaux dans un pré au milieu du troupeau hostile (une opération qui n’est pas sans danger), filmé caméra au poing, et à s’amuser de détails gratuits, non soumis au poids d’une signification surplombante : un chat zigzagant dans l’herbe, Jakob expérimentant à ses dépends l’effet de la décharge électrique au contact du fil de fer barbelé sous l’oeil amusé de son instructrice.
C’est avec la même justesse que Cantu traite son roman d’apprentissage : comment, en acceptant de s’ouvrir à l’amour, un jeune homme taciturne et renfermé surmonte peu à peu sa peur du regard des autres.
Pas de dialogues lourdement explicatifs ni de problématisation de film à thèse (tout juste une brève confrontation avec l’homophobie lorsque les deux garçons revenant du lac se font agresser verbalement par une espèce de néo-nazi à qui ils n’ont rien demandé), encore moins de lyrisme facile mais une extrême délicatesse de touche et une pudeur jamais prise en défaut (le film est garanti tout public).

Lukas Steltner et Kai Michael Müller - Stadt Land Fluss (la clé des champs) - Benjamin Cantu

Les deux acteurs, Lukas Steltner (Marko) et Kai-Michael Müller (Jakob), sont admirables et, bien qu’hétéros déclarés, ne donnent jamais l’impression d’interpréter leur rôle. Ils sont pour beaucoup dans l’émotion que provoque la vision de ce très beau film.

Une édition DVD, sommaire mais d’excellente qualité, devrait permettre à ce beau film qui n’a pas bénéficié d’une sortie dans les salles françaises hors festivals de trouver son public.

Stadt Land Fluss (la clé des champs) - Benjamin Cantu

Les suppléments
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Il n’y en a pas. C’est dommage mais ne demandons pas la lune.

Image

L’image un peu froide d’Alexander Gheorghiu magnifie la lumière estivale du Brandebourg en cédant parfois à un certain esthétisme (pas désagréable). Le report est irréprochable : netteté des contours et des contrastes, franchise des couleurs, absence totale de fourmillements. Du beau travail.

Son

Un Dolby Digital 5.1 parfaitement géré produit une remarquable impression de spatialisation. Le mixage, très équilibré, donne tout leur poids aux voix, à l’ambiance sonore et à la musique jamais envahissante de Keith Keniff.