Le 20 novembre 2002
Enquête et quête de soi pour deux exilés tchèques. Un récit d’une irrésistible loufoquerie.
Enquête et quête de soi pour deux exilés tchèques. Un récit d’une irrésistible loufoquerie proposé par l’Esprit des péninsules, l’éditeur qui élargit nos horizons, avec sagacité et talent, vers les littératures venues de l’Est.
Vlastimil Tresnak a le sens de la formule. A l’issue du procès des responsables de l’opération "Asanace" (le mot tchèque pour épuration), exprimant son dépit devant la mansuétude des juges, il confiait au micro de Radio Prague : "Dans les années 70, j’avais demandé au service du logement un nouveau mécanisme de vidange pour mes WC. Après des mois de persévérance, j’ai obtenu un seau. J’ai à peu près le même sentiment aujourd’hui." [1] C’est qu’en effet Tresnak aurait pu attendre plus de la justice de son pays qu’un "seau", une peine légère avec sursis, pour ceux qui mirent en oeuvre cette campagne visant à forcer les dissidents, signataires de la Charte 77 [2], à s’exiler à l’Ouest.
L’Ouest, pour Tresnak, ce fut la République fédérale d’Allemagne. Un déracinement qui lui a inspiré L’essentiel au sujet de monsieur Moritz dont l’action se situe à Francfort-sur-le-Main et met en scène la cohabitation de deux glandeurs de haut vol, fumeurs de pétards et buveurs de bière, monsieur Moritz, artiste peintre, et monsieur Prague, avatar de l’auteur. Francfort des exilés, traîne-patins, bourses plates et ventres creux, sombres perspectives désamorcées par un humour décapant. Tout est sujet à gags décalés, même les heures les plus dramatiques de l’histoire de l’ex-Tchécoslovaquie.
Qui est monsieur Moritz, se demande monsieur Prague, et quelle est la relation entre la bague qu’il porte et celle, identique, entrevue au doigt d’un vieux crasseux nommé Müller ? Monsieur Prague va se transformer en détective pour découvrir le secret de ce bijou et, ce faisant, le secret de la disparition des parents de monsieur Moritz lors de leur fuite à l’Ouest.
Pendant que monsieur Moritz s’évertue à faire figurer sur une toile "quelque chose qui aurait disparu corps et biens", monsieur Prague vaque à sa mission d’investigation et prend racine dans le café anarchiste qu’affectionne une jeune dame brune avec un sac en jean à l’emblème d’Amnesty. Cuites monumentales et dialogues de sourds animent l’enquête, scandée par les petits riens répétitifs du quotidien des deux colocataires. Les quatre-vingt-deux marches menant à leur logement, un oeuf dur tapoté sur la machine à écrire, deux pinceaux couverts de bleu parisien, qui viennent et reviennent comme le refrain d’une ritournelle, la marque du chanteur populaire qu’est aussi ce diable de Vlastimil dans son pays.
Au fil d’une poignée de pages loufoques, pleines de télescopages, de dérapages, de cabrioles et de pirouettes d’écriture, l’essentiel au sujet de monsieur Moritz sera révélé cahin-caha, dans les vapeurs d’un rhum frelaté. Son tableau, entre-temps, aura été recyclé en banderole pour une manifestation en faveur des "Habitants Noirs d’Afrique". Quant à l’essentiel au sujet de monsieur Prague, s’il s’était résumé jusque-là en quelques mots : "bonheur, histoire, paix, guerre, crime, châtiment", il lui faudra dorénavant compter avec un concept inédit, celui qui fera se craqueler ses couches de peinture de camouflage burlesque. Et qui se résume en "un mot à cheveux bruns" : l’amour.
Ainsi va la ballade de l’exilé, se battant avec pour seules munitions les mots, qui transpirent la nostalgie du pays perdu en sanglotant de rire.
Vlastimil Tresnak, L’essentiel au sujet de monsieur Moritz (To nejdulezitejsi o panu Moritzovi, traduit du tchèque par Marianne Canavaggio), L’esprit des péninsules, coll. "De l’Est", 2002, 167 pages, 16,50 €
[1] Radio Prague, 13 février 2002
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