Jocelyn Quévillon n’est pas sûr que ça lui fasse très plaisir de convoler avec Eliane Laurencelle. Il est même presque sûr qu’il ne devrait pas. Mais il voit bien que le moment est mal choisi pour en parler à Maman. C’est dire s’il est soulagé quand le curé de Saint-Gérard se fait descendre, en pleine église, juste avant l’irrémédiable.

Un petit moment de flou, et le voilà sur la route de Niagara, au volant d’une voiture volée, à moitié étouffé par les nuages de mousseline qui débordent de l’opulente meringue assise sur le siège du passager. Jocelyn est habitué à se taire pour éviter les ennuis, et se laisse mener sans piper dans une ébouriffante cavale où plane l’ombre mythique de Marylène Monnereau, au son de la plus belle chanson du monde, qui prétend que l’ennui est une femme à barbe.

C’est la quatrième fois que François Barcelo nous fait le coup de la Série noire, dans la veine irrésistible du polar québécois. Des personnages à la Fargo, imperméables à toute forme de drame, des gens "ben tranquilles", entraînés malgré eux dans des tourbillons qui les dépassent avec la certitude que tôt ou tard, tout redeviendra comme avant. C’est l’ambiance débridée et loufoque qui faisait le charme de Cadavres, une sorte de fausse naïveté qui prête à la vie une seule philosophie : avoir la paix. Et s’il est vrai que Jocelyn et Eliane sont la métaphore du Québec et du Canada, les histoires de Barcelo prouvent qu’on peut être américain sans faire du roman noir et que le polar francophone peut avoir l’accent de la Belle Province.