Le 28 juillet 2015
- Genre : Bande originale
- Plus d'informations : Le site de Darkel
De la réédition de Virgin Suicide à l’avenir de Air, sans oublier l’actualité de son projet solo Darkel et de la bande-originale du film Summer, Jean-Benoît Dunckel dissipe certains mystères...
L’une des deux moitiés d’Air, J.B. Dunckel s’émancipe à nouveau. Il vient de sortir un nouvel EP, sous son nom d’artiste solo, Darkel, et signe la bande-originale de la romance éthérée Summer, d’Alanté Kavaïté, à l’affiche depuis le 29 juillet…
Omniprésent tout en étant discret, ce rêveur romantique puise son inspiration dans les vertiges de la mélancolie, d’ailleurs The Man of sorrow (l’homme de chagrin, dans notre langue) est le titre de son dernier projet de 4 titres. Mais J.B. Dunckel est-il aussi « dark » que son nom d’artiste le suggère (Darkel, en anglais, semble être un mélange de « dark » et « angel ») ? C’est en tout cas ce qu’affirme aussi la racine allemande de son nom de famille (Dunck en allemand signifie sombre)… Voilà beaucoup de langues pour un artiste à la carrière internationale qui affectionne les instrumentaux électro évolutifs et qui, avec nous, évoque son actu, l’avenir de la formation culte Air, et son rapport au cinéma. Bienvenue dans l’univers de Darkel…
aVoir-aLire.com : Tu viens de sortir un nouveau projet musical. La pochette est très sombre, aux couleurs de ton nom d’artiste, Darkel. Un moyen pour toi de te dépareiller de l’univers visuel d’Air ?
Jean-Benoît Dunckel : Oui, je suis tombé sur ce concept que je vais sûrement abandonner (dit-il, avec un sourire). Tant qu’Air existe, je ne peux pas être complètement libre. Dark…, c’est un peu l’ombre, rester dans l’ombre pour un public d’initiés. Ce n’est pas une volonté commerciale ou quoi que ce soit. C’est une part d’ombre qui est profonde.
La promo est très marquée visuellement. D’où vient l’influence graphique ?
Je voulais vraiment m’influencer de Game of Thrones ou de l’univers de l’heroic fantasy, en fait. Il y a aussi mon amour pour la taxidermie et les animaux.
La taxidermie ? L’amour pour les animaux vivants et ceux empaillés, c’est pas la même chose…
Là, les animaux sont bien vivants, ce sont de vrais animaux. Nous sommes allés dans une volière en Italie, ils ont été photographiés et ont vraiment grimpé sur moi. En fait, en parlant de taxidermie je faisais allusion un animal empaillé que j’ai chez moi.
Tu me rassures. Il n’y a donc pas d’allusion à la pochette de L’Autre, l’album de Mylène Farmer où elle était accompagnée d’un corbeau sur la pochette !
(Rires partagés)
C’est assez surprenant ce côté sombre car quand on écoute les 4 titres de cet E.P., on le trouve davantage doux et mélancolique que sombre. Quel est ton rapport à la mélancolie qui imprègne déjà l’oeuvre d’Air ?
C’est une mélancolie qui est heureuse car elle est agréable à écouter. En fait, elle reste médicinale. Je fais de la musique pour générer des émotions. C’est ce qui me vient naturellement. Ce n’est pas une musique qui rend triste, mais plutôt une musique qui absorbe toute forme d’émotivité.
- spip-bandeau
« Médicinale »…, tu utilises donc la musique pour panser des plaies, des blessures ?
Oui, je pense. J’aborde la musique comme un travail psychologique destiné à me toucher, avant tout, pour me libérer. C’est pour cela qu’il n’y a pas de volonté commerciale radiophonique. Ça sort du format habituel. Il y a même un morceau de 14mn.
Ce nouveau projet musical, qu’est-ce que c’est exactement ? Un single ? Un mini album ? Un E.P qui préfigure un album long format plus conventionnel, sachant qu’il suit une tendance expérimentale, avec deux titres particulièrement longs, l’un de sept minutes, l’autre de 14 minutes ? Est-ce que, comme Royksopp par exemple, The Man of sorrow est un moyen de dire adieu aux albums pour enchaîner les E.P ?
J’ai pensé à cela également, enchaîner les E.P… J’ai même pensé aussi arrêter les albums et les E.P., c’est-à-dire, arrêter d’enregistrer... ne faire que du live. C’est sûr qu’il va se passer quelque-chose. Sur le format de vinyle, c’est plus agréable, l’EP dure 30 mn à peu près. On peut prendre le temps de se concentrer. Un album, c’est un peu trop long. Les gens aujourd’hui écoutent des morceaux. Ils trouvent leur musique sur YouTube ou Soundcloud qu’ils écoutent morceau par morceau ou alors ils écoutent des mix-tapes.
Donc, tu n’as pas de projet de long de ton côté ?
Non, non. Il est question de faire une tournée, mais ce n’est pas encore fait et signé.
Justement, on parle beaucoup de ton actualité en solo, mais Air dans tout cela, quel est l’avenir du duo ?
Je me le demande également… Air est en stand-by (l’air pensif).
Nicolas Godin a lui-même sorti quelques titres très récemment. Donc, là c’est vraiment en stand-by ?
Ouais, là, c’est vraiment en stand-by.
Avec du recul, en revenant sur la carrière de Air, penses-tu qu’Air se reposait davantage sur le format single, ou celui d’albums concepts ? Les albums auraient-ils pu être réduits à des EP ?
Non, je crois qu’on a vraiment basé notre carrière sur des albums concepts, chacun ayant un début et une fin. Généralement la structure des albums d’Air, c’est des morceaux forts, plus pop au début, et après, la première moitié ce sont des morceaux plus « déformatés », plus longs, plus exigeants, où on lâche prise. C’est là où l’on trouve vraiment la nature de chaque album.
Dans ton actualité, il y a également la ressortie de Virgin Suicide dans une édition Super Deluxe, ou Ultimate, qui m’a impressionné, car elle particulièrement conséquente (2 CD + 1 LP + 1 EP + 1 Picture Disc + Dvd du film + 2 posters + code de téléchargement, ndlr). Virgin Suicide, le film de Sofia Coppola, c’est la pierre angulaire de votre carrière ?
Oui, ah oui. En fait, avec Moon Safari, les gens avaient du mal à savoir qui nous étions et ce que l’on faisait, quel genre de musique on faisait. Grâce à cette bande-originale, on a été crédibilisé comme artistes pour toujours. C’était un album vraiment différent, profond, et le film, pas vraiment gai, a marqué le public. Ça a tout changé pour nous.
C’est intéressant, ce concept d’édition Super Deluxe. On y trouve à peu près tout, mais je reste un peu sur ma faim. Pourquoi ne pas y avoir inclus un blu-ray audio pour arriver au plus proche de la pureté sonore, sachant que vous êtes un groupe ou l’essence même de la musique est instrumentale ?
En fait, le problème, c’est qu’à l’époque, on a enregistré en basse-définition, en 44.1 Khertz et 16 bits, donc le master est comme ça. Ce n’est pas comme les autres masters de Air qui ont suivi, pour lesquels il y a eu des bandes. Donc cela serait mentir et complèment artificiel que d’en proposer une version HD.
J’imagine qu’après Virgin Suicide, projet américain avec le poids du nom de Coppola, on a dû vous faire plein d’offres. Regrettes-tu d’avoir refusé certains projets ?
Non, je ne regrette pas notre carrière. On a fait plein de choix, on a refusé tout un tas de films parce qu’on n’avait pas le temps de les faire. On était alors en tournée ou sur des albums d’Air. Mais on n’a jamais reçu de demande de gros films hollywoodiens avec une grosse production.
Comme Daft Punk ou M83… Donc vous n’avez pas été approchés par Joseph Kosinski qui les avaient engagés sur Tron et Oblivion ? (Taquin)
Non, pas pour l’instant. Peut-être qu’un jour…. J’espère.
En dehors des albums studios, la carrière de Air a aussi été marquée par la bande-originale du Voyage sur la Lune, le classique de Méliès. Quand on se retrouve face à un tel monument du patrimoine du 7e Art, est-ce qu’on hésite ? On prend ça comme un défi ?
Oui, c’est un challenge, surtout quand la nature du film est muette. Du coup, on ne peut pas affilier une musique à ce film. Notre musique était juste son accompagnement musical en 2012 ; d’autres musiques seront associés à ce film plus tard, avec d’autres artistes. On était juste de passage. En fait, on a eu affaire à un clip sans son de 15mn, et c’était intéressant de laisser parler la musique et de désarticuler le film de son époque.
Vous aviez écouté ce que Moroder avait réalisé sur Metropolis ou ce que les Pet Shop Boys avaient enregistré sur Le Cuirassé Potemkine ? On retrouve souvent des formations électro sur des films où l’on n’attend pas forcément ce type de composition.
Moroder, oui. Les Pet Shop Boys, non. C’est une critique qui revient toujours. Les ayant-droits de Méliès par exemple pensent que ce type de musique dénature le film. En même temps, il a été réalisé pour être joué avec une musique, celle de son époque, et les époques changent. Avant, cela pouvait être un piano, un accordéon. Et maintenant des mecs comme nous font de la musique à partir d’un système électronique et rajoute leur musique dessus.
Dans ton actu personnelle, décidément très chargée, il y a aussi la bande-originale d’un film lituanien indépendant, réalisé par Alanté Kavaïté, Summer. Comment es-tu arrivé sur ce projet ?
En fait, c’est le producteur du film, Antoine Simkine, des Films d’Antoine, qui me l’a demandé. Il pensait que certains passages du film collaient bien avec la musique que je faisais. Et il n’a pas eu tort, ça m’a bien plu. Les scènes de contemplation, de forêt, ou même érotiques m’ont inspiré.
C’est vrai qu’on ressent cet aspect contemplatif à l’écran. Le film est sensuel, cosmique… Comment as-tu travaillé dessus ? A partir de rushes, du script ? Est-ce que ta musique a inspiré la réalisatrice ?
En fait, j’ai vraiment besoin de voir les rushes avant de composer et particulièrement les passages décisifs sur lesquels je vais poser la musique sinon, cela ne sert à rien. Lire un script,c’est pas suffisant pour moi. L’image est tellement importante, la lumière ou le jeu d’acteur aussi. Je trouve, dans mon cas, que travailler à partir du script, c’est un travail pour rien.
Summer, (C) 2015 Fralita Film / Les Films d’Antoine / Viking Film / IDOL
Tu as invité des artistes extérieurs dans la bande-originale, je pense notamment à Röyksopp et Susanne Sundfor (Running to the sea). Tu as hésité ou tu aurais pu faire une B.O. intégralement constituée de tes morceaux ?
J’aurais pu la faire qu’avec mes propres morceaux. Mais en fait, la présence d’autres participants était un choix de la réalisatrice. Elle voulait vraiment des morceaux d’emprunt en plus de la bande-originale. Je n’ai pas eu la main dessus.
Tu vas peut-être me contredire, mais dans le film, j’ai parfois l’impression d’entendre des extraits de Satanama, le 4e titre de ton E.P., qui est selon moi, le plus beau morceau de ton mini album.
Tu veux dire en fait du mantra de yoga ?
Exactement …
Oui, bien sûr. Cette musique, je l’ai élaborée il y a 2 ou 3 ans, après avoir fait pas mal de yoga, et dans le yoga, il y a ce mantra qui s’appelle Satanama. Dans l’EP, il y a cette recherche d’énergie qui circule, de loupes qui tournent, une énergie qui circule, mais qui évolue aussi, et qui devient de plus en plus intense et qui arrive à un certain épanouissement.
Cet épanouissement colle bien avec le personnage principal de Sangaïlé, ado paumée qui se cherche, et qui, un moment donné, va s’épanouir dans l’amour avec une autre jeune femme et s’accomplir également en s’engageant sur une voie professionnelle à laquelle elle n’osait aspirer. Ce 4e morceau résume littéralement, dans sa structure progressive, le film entier…
Oui, c’est vrai. C’est pareil. C’est la même structure.
Ma question n’était pas innocente. Car j’aime vraiment beaucoup ce dernier titre et je remarque que la dernière partie, la plus ample, la plus forte aussi, n’est pas exploitée dans le film. Je suis resté jusqu’à la fin du générique, en me disant que, peut-être, elle allait être utilisée à ce moment, mais non… Pourquoi finalement cette retenue ?
Parce que les scènes qui s’y rapportent sont trop courtes. Et à la fin, on a choisi un autre morceau, plus pop. Le film finit, les gens se lèvent… Il fallait un morceau de lâché-prise, moins indé, moins évolutif, plus classique.
(C) UFO Distribution
Une bande-originale est prévue dans le commerce ?
Le vinyle va sortir, si il est prêt le 27 juillet, sinon il sortira en digital chez Idol. Il contiendra neuf titres.
Est-ce qu’on retrouve du Nicolas Godin dans la bande-originale de Summer. Est-ce que son influence, son ombre, sont toujours là ?
Oui, oui. Il y a notamment un morceau dedans qui contient une basse, un peu à la Serge Gainsbourg et la basse, ça, c’est très Nicolas. En fait, on a été si longtemps en symbiose artistique ensemble… J’ai forcément digéré son approche de la musique aussi.
Quand vous avez démarré tous les deux dans les années 90, on était alors en pleine explosion de la French Touch, les Français commençaient à toucher à la musique électronique…. En 2015, tellement de groupes made in France prolongent le mouvement tout en utilisant la langue anglaise pour toucher un public en dehors de nos frontières. Est-ce que tu te retrouves dans cette nouvelle vague de musique électronique française ?
Non (dit-il en riant). Non, je ne m’y retrouve pas. J’ai l’impression qu’on est devenu… (hésitations)
Des vieux sages philosophes ?
Ouais, des vieux sages philosophes, la légende, en fait, l’autre groupe de la French Touch. En France, on est devenu un peu transparent. Ici, on fait des interviews, cela démystifie vachement Air, mais aux USA ou en Allemagne, par exemple, comme on en fait peu, le mystère joue beaucoup… C’est la raison pour laquelle je compte arrêter toute interview bientôt (il se met à rire à nouveau, tout en restant sérieux). Je compte arrêter de faire des interviews, et je compte arrêter de faire des albums aussi… pour ne faire que du live et que des photos.
Interview réalisée le 20 juillet 2015, à Paris.
– > Summer, d’Alanté Kavaïté (UFO Distribution), à l’affiche à partir du mercredi 29 juillet
– > The Man of Sorrow, Darkel (Prototyp Recording), disponible en vinyle et en digital
– > Summer, bande-originale (Idol), disponible en vinyle et digital.
(C) Prototyp Recording
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