Le 28 mai 2020
Porté par une mise en scène virtuose des découvertes sensorielles, Summer évoque la rencontre de deux adolescentes, autour du thème du vertige.
- Réalisateur : Alanté Kavaïté
- Acteurs : Julija Steponaityte, Aistė Diržiūtė, Jūratė Sodytė
- Genre : Comédie dramatique, Romance, LGBTQIA+
- Nationalité : Français, Néerlandais, Lituanien
- Distributeur : UFO Distribution
- Durée : 1h30min
- Titre original : Sangaïlé
- Date de sortie : 29 juillet 2015
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Résumé : Sangaïlé, jeune fille de 17 ans, passe l’été avec ses parents dans leur villa au bord d’un lac de Lituanie. Comme chaque année, Sangaïlé se rend au show aérien. Cette fois, elle y fait la connaissance d’Austé, une fille de son âge, aussi extravertie que Sangaïlé est timide et mal dans sa peau. Une amitié va s’épanouir dans la sensualité de l’été...
Critique : Pour son deuxième long métrage, Alanté Kavaité nous entraîne en Lituanie, l’été, au bord d’un lac. Le résumé de l’histoire et la bande-annonce le qualifient de « romance adolescente », mettant en exergue l’intrigue amoureuse entre le personnage principal, Sangaïlé, et Austé, une jeune photographe fantaisiste. Ce parti pris est une stratégie de communication liée au peu de représentations cinématographiques de l’amour lesbien, lacune culturelle qui subsiste encore aujourd’hui. Bien menée et omniprésente, l’histoire d’amour ne constitue cependant pas le cœur du scénario, puisqu’elle n’est pas la préoccupation majeure du personnage principal. Summer raconte l’évolution de Sangaïlé, une adolescente à la fois attirée et effrayée par sa vocation de pilote. Oppressée dans son esprit et son corps, elle est l’archétype de l’adolescente mal dans sa peau. Prise entre les attentes de sa mère qu’elle ne peut combler et sa méconnaissance d’elle-même, elle se scarifie, mange peu et s’isole. Austé, tourbillon d’énergie et de générosité, la sort de l’apathie et la pousse à dépasser ses blocages.
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L’ambivalence du vertige
Le film est orienté autour du thème du vertige. La réalisatrice le transmet habilement, et sa manifestation évolue. Lié aux sentiments de Sangaïlé, ce motif est d’abord lointain dans la séquence de voltige d’ouverture et les plans aériens, puis il se rapproche d’elle, avec des passages subjectifs et de gros blancs, toujours liés par le même type d’effets sonores. Sa découverte de la sexualité est baignée dans ce vertige, accompagnée par l’apparition des mêmes effets. Sa première fois avec Austé amorce le début de son évolution : elle ose affronter sa peur en montant seule dans un avion à l’arrêt, pour commencer à s’habituer. Le vertige incarne le lâcher-prise auquel elle prend goût et qui se rapproche d’un état de transe, comme l’illustre la scène où Austé essaie de « l’hypnotiser ». L’esthétique du vide et de la hauteur, à la fois menaçante et désirable, donne de la tension à ce film dont la dimension contemplative fait partie intégrante de la narration.
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Une écriture sensorielle à la foi crue et subtile
L’enfermement anxiogène d’Austé est symbolisé par de nombreux éléments de décors, comme le plan sur les homards vivants entassés les uns sur les autres dans de minuscules saladiers, en attendant d’être ébouillantés vivants. Le jeu morbide avec le vers solitaire, extrait des organes d’un poisson éventré, fait référence à l’arrachement douloureux de Sangaïlé à sa zone de confort étriquée, et annonce les difficultés auxquelles elle fera face au cours du film : malaises, évanouissement, disputes...
La nourriture a une place importante tout au long du film. Elle est symbole de soin et de vitalité et souvent utilisée en tant que marque de tendresse, comme lorsque la mère d’Austé cuisine pour elle, après leur première rupture. Particulièrement maigre, Sangaïlé ne se nourrit presque pas en présence de ses parents, alors qu’elle ne refuse jamais les desserts qu’Austé lui prépare. Son appétit s’installe et perdure à mesure que son état d’angoisse disparaît. Lors de la séquence finale dans la cafétéria de l’aérodrome, elle dévore son sandwich tandis qu’Austé, bouleversée par le désintérêt que Sangaïlé a désormais pour elle, ne touche pas à son chocolat liégeois, se contentant de jouer tristement avec sa crème du bout des doigts.
Une sensualité exacerbée se dégage du personnage d’Austé et de son univers : sa chambre où se mêlent diverses matières improbables, le regard qu’elle porte sur Sangaïlé, les mises en scène de ses photographies... D’habiles jeux de lumière parcourent le film, liant l’amour du ciel de Sangaïlé à la sensibilité artistique d’Austé. La scène d’amour au coucher du soleil où les deux personnages féminins portent des costumes lumineux est filmée avec une finesse remarquable. Tout au long de l’intrigue, la mise en scène du désir et celle du plaisir sont particulièrement réussies.
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Un amour imparfait entre deux personnages que tout oppose
Pleine de vie et de créativité, Austé prend Sangaïlé sous son aile. Son amour se caractérise par du soin, de l’écoute et de la création. Sangaïlé devient la muse d’Austé, tandis qu’elle s’appuie sur sa compagne, afin de se rapprocher de sa passion pour l’envol. Plus les deux jeunes femmes se rapprochent, plus Sangaïlé a le courage de se confronter à sa peur du vide, et ce jusqu’à la disparition de son trouble qui annonce la fin de leur couple. L’asymétrie est présente dans leur relation depuis son commencement : quand Austé passe des heures à lui coudre une robe et rêver d’elle, Sangaïlé, elle, se focalise sur son obsession pour les airs. Alors que la timide adolescente regarde l’horizon, Austé n’a d’yeux que pour elle. Les névroses et fragilités de Sangaïlé la rendent mystérieuse et attachante pour son amie qui, elle, reste sereine et épanouie jusqu’au dénouement.
Leur amour triangulaire, déchiré entre ciel et chair, marque un tournant dans leur parcours de vie. Cette relation constitue un échange d’énergies essentielles : l’appétit de vie contre la force créatrice. Les séquences finales du film en montrent l’héritage : Sangaïlé est aviatrice et Austé rencontre le succès en tant qu’artiste grâce aux clichés qu’elle a pris de Sangaïlé. Elle découvre ce que l’inspiration peut avoir de libérateur, mais aussi de cruel.
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Alors que le film se déroule dans un pays où l’homophobie est particulièrement présente, la réalisatrice n’y fait jamais référence. Ceci est appréciable et constitue un choix politique à part entière. Mettre en scène l’amour entre deux femmes en dehors du cadre militant, sans s’appuyer sur les discriminations auxquelles elles sont confrontées dans la société, permet de les concevoir en dehors de toute marginalisation. L’établissement de références fictionnelles modernes est une arme essentielle à l’évolution sociale.
Ce chef d’œuvre en quelques mots
Récit initiatique sur l’appropriation de soi et le lâcher-prise, Summer est porté par une mise en scène virtuose des découvertes sensorielles. C’est en se mettant au contact du monde que Sangaïlé prend possession d’elle-même et s’épanouit, épaulée par une compagne qui lui apporte l’attention dont elle manquait. Son univers singulier où se mêlent naturalisme et onirisme fait de ce film une pépite qu’il serait dommage de ne pas contempler.
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