Le 20 janvier 2025
- Acteur : Marcello Mastroianni
Sylvain Lefort évoque le parcours de Marcello Mastroianni, acteur majeur qui a tourné avec de nombreux maîtres du cinéma et a su casser son image au fil de sa prestigieuse carrière.
Marcello Mastroianni aurait eu 100 ans en 2024. Au cours d’une carrière riche de 150 films, il aura tourné avec les plus grands cinéastes italiens et de nombreux autres maîtres européens. La mémoire collective, pourtant, fait parfois défaut et réduit trop souvent l’acteur à son personnage, resté mythique, de La dolce vita : charmeur, nonchalant, sûr de lui – en un mot : transalpin en diable.
Une méprise, selon Sylvain Lefort, cofondateur de la revue de cinéma Revus et Corrigés et fin connaisseur du cinéma italien, puisque, jusqu’à sa mort en 1996, "Marcello" se sera adonné au joyeux "démontage en règle de son image"...
Quels furent les débuts de Marcello Mastroianni, d’abord au théâtre puis au cinéma ?
Marcello Mastroianni, on en a peu conscience en France, est d’abord et avant tout un acteur de théâtre. Né en 1924 le 26 septembre – et administrativement le 28 septembre, selon les registres de l’état civil – à Fontana Liri, au cœur de la Ciociaria, au sud de Rome, il entame des études de géomètre, tout en s’inscrivant au Théâtre universitaire de Rome, en 1943. Moment décisif qui lui permet de rencontrer une jeune actrice qui aura un rôle déterminant dans la suite de sa carrière : Giulietta Masina, épouse de fraîche date d’un dessinateur de presse, un certain Federico Fellini. Tout en figurant dans quelques films le jour, il fait ses classes au théâtre le soir, avant d’être repéré par Franco Zeffirelli, alors assistant du maître de la mise en scène théâtrale : Luchino Visconti, qui le prend sous son aile en 1948. Visconti le mettra en scène aussi bien dans des classiques – Shakespeare, Tchekhov, Goldoni – que des contemporains – Tennessee Williams, notamment. Il joue à deux reprises Un tramway nommé désir, dans le rôle de Mitch, puis celui de Stanley Kowalski, immortalisé à la scène comme à l’écran par Marlon Brando. Et rappelons qu’un mois avant de décéder en décembre 1996, il était encore sur les planches d’un théâtre napolitain pour Les Dernières lunes, de Furio Burdon. C’est dire l’importance du théâtre dans sa carrière, élément dont on n’a pas trop conscience côté français.
Parallèlement à son activité théâtrale, il débute au cinéma – officiellement en 1948, avec L’Évadé du bagne, adaptation italienne des Misérables signée Riccardo Freda. Mais c’est avec le vieux routier du cinéma italien, Alessandro Blasetti, que Marcello Mastroianni rencontre son premier grand succès, critique et commercial, pour Dommage que tu sois une canaille (1955), dans lequel il fait la rencontre des deux autres personnalités du cinéma italien qui feront beaucoup pour sa notoriété : l’acteur-réalisateur Vittorio De Sica et l’actrice Sophia Loren, avec laquelle il tournera dans huit films, le plus célèbre et le plus beau étant Une journée particulière (Ettore Scola, 1977) précédé par La Chance d’être femme (Blasetti, 1956), Hier, aujourd’hui et demain (De Sica, 1962), Mariage à l’italienne (De Sica, 1965), Les Fleurs du soleil (De Sica, 1970), La Femme du prêtre (Dino Risi, 1970), La Pépée du gangster (Giorgio Capitani, 1975) et D’amour et de sang (Lina Wertmüller, 1978).
Au cours de la décennie 1950, l’acteur est particulièrement occupé. À quoi est due cette boulimie de films ? Et lesquels retenir ?
S’engage à ce moment une période faste pour Marcello Mastroianni qui, tout en brûlant les planches le soir, démultiplie les rôles au cinéma, dans des seconds ou des premiers rôles, jusqu’au début des années 60. Parmi ses films les plus notables, citons Nuits blanches (1957) de Luchino Visconti, d’après Dostoïevski, four commercial et critique ; Le Pigeon (1958) de Mario Monicelli, qui l’établit comme acteur populaire, aux côtés de Totò, le grand comique napolitain, et Vittorio Gassman, son alter ego dans son premier rôle comique. Rappelons que lorsqu’il accepte La dolce vita, il a déjà une carrière riche de 40 films !
Vient donc ensuite La dolce vita, et la rencontre, fondatrice, avec Fellini. Qu’est-ce qui rapproche les deux hommes, les rend si fusionnels ?
Au départ, Dino De Laurentiis, le producteur, souhaitait imposer Paul Newman ou Gérard Philipe à Fellini pour le rôle principal du film. Lequel ne souhaitait pas de star pour le rôle principal. Il avait rencontré rapidement Mastroianni dans les loges de théâtre, mais sans qu’aucune relation profonde ne s’établisse. C’est en préparant le film que l’alchimie entre les deux hommes se crée. Se suivant l’un l’autre en permanence sur le tournage, ce dernier est qualifié de bonheur total par l’un comme l’autre ! Une entente rare entre un acteur et un réalisateur, au point que Fellini fera de Mastroianni son alter ego à l’écran : même silhouette, même garde-robe, même chevelure, à l’instar de celle de Ginger et Fred, pour laquelle Mastroianni acceptera de se faire épiler les cheveux, de façon à ressembler le plus possible à son ami et réalisateur !
Malgré les controverses (menaces d’excommunication et de censure), La dolce vita décroche la Palme d’or en 1960 et consacre internationalement le duo Fellini-Mastroianni. S’ensuit une fructueuse collaboration forte de cinq films : Huit et demi en 1963, sur la crise d’inspiration d’un metteur en scène ; La Cité des femmes (1980), sur les vicissitudes oniriques d’un séducteur avec différentes figures féminines ; Ginger et Fred (1986), sur le retour d’un vieux couple de danseurs de claquettes à l’ère de la télévision commerciale de Berlusconi ; enfin, Intervista (1988), songerie sur Cinecittà, dans laquelle Mastroianni, dans son propre rôle, rejoue le temps d’une scène la mythique scène de la fontaine de Trevi de La dolce vita en compagnie d’Anita Ekberg.
Avec Fellini, il devait également tourner Le Voyage de Mastorna, qui ne verra finalement jamais le jour. Quelle est l’histoire de ce film ?
Effectivement, la collaboration Mastroianni-Fellini ne se limite pas à cette filmographie officielle. Il faut y ajouter Le Voyage de Mastorna, œuvre devenue mythique car entrée au cimetière des films qui n’ont jamais été achevés. Tiré d’une nouvelle de Dino Buzzati, qui participa au scénario, le film devait raconter l’errance d’un violoncelliste entre enfer et paradis, après un accident d’avion. Tournage dispendieux, relations difficiles entre Fellini et son producteur Laurentiis, malaises à répétition du cinéaste, carrière en surrégime de l’acteur : autant de raisons qui conduisent à l’abandon progressif du tournage. En subsiste quelques scènes, un décor monté et plusieurs fois immortalisé par la photographie, un scénario, un bloc-notes signé Fellini, ainsi qu’une adaptation théâtrale montée au Vieux-Colombier en 2018.
Outre ce film mort-né, on peut ajouter à la collaboration officielle Mastroianni-Fellini un caméo coupé au montage de l’acteur dans Fellini Roma (1973), ainsi que sa participation au casting de Répétition d’orchestre, à défaut d’une apparition dans ledit film !
Selon vous, La dolce vita est aussi le début d’une méprise, puisque Marcello Mastroianni sera dès lors souvent catalogué « latin lover ». Titre dont il cherchera toujours à se défaire ensuite, chez Louis Malle ou Antonioni…
Oui, c’est le début d’une méprise totale entre l’image de l’acteur aux yeux du public et sa personnalité. De cette méprise, de ce statut de latin lover dont il ne voulait pas, il construit alors toute sa carrière pour casser cette image. Pas un film qui suit La dolce vita ne déroge à cette approche ! Dès Le Bel Antonio (1960) de Mauro Bolognini, il s’efforce d’écorner cette image, en incarnant un séducteur impuissant dans la Sicile patriarcale des années 60. Qu’on en juge : un industriel obsessionnel (Break-Up), un cinéaste en crise d’inspiration (Huit et demi), un homosexuel au soir de sa vie (Une journée particulière), un séducteur à la petite semaine, veule et cynique (Divorce à l’italienne, Mariage à l’italienne, Casanova 70), un Casanova vieillissant (La nuit de Varennes), un maçon dépassé par les événements amoureux (Drame de la jalousie) – et même un homme enceint (L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune) ! Le point culminant de ce sabotage en règle étant atteint à mon sens La Grande bouffe, de Marco Ferreri, en 1973.
L’acteur tourne ensuite six films avec le même Ferreri et huit films avec Ettore Scola. Que viennent apporter ceux-ci à la persona de l’acteur ?
Mastroianni est resté fidèle à ses réalisateurs : six films avec Ferreri, huit avec Scola, trois avec Risi, cinq avec Fellini, quatre avec De Sica, cinq avec Monicelli, etc. Chacun amène sa touche et ajuste le portrait de Mastroianni, ou plutôt le démontage en règle de son image de latin lover. Notons que mis à part Bertolucci, il aura tourné avec les plus grands réalisateurs italiens de son temps. Et même s’il n’a pas tourné avec eux, il est proche de Francesco Rosi, avec lequel il a longtemps caressé le projet d’adapter Samedi, dimanche et lundi, du dramaturge napolitain Eduardo De Filippo, ainsi que de Pasolini, scénariste du Bel Antonio.
Sa carrière internationale fut également riche. Quels films retenir, là encore ?
Oui, à partir des années 70, sa carrière s’internationalise dans une triple direction : en France, sous l’impulsion de sa rencontre avec Catherine Deneuve. Il y tourne, pour Ferreri, Liza, La Grande bouffe et Touche pas à la femme blanche ; pour Jacques Demy, L’Événement le plus important… ; pour Yves Robert, Salut l’artiste, en lieu et place d’Yves Montand. Parmi ses incursions transalpines, citons aussi deux rôles remarquables : celui d’un père endeuillé par la mort de son nourrisson dans Ça n’arrive qu’aux autres, de Nadine Trintignant, et celui d’un maçon italien vieillissant, inspiré par la figure de son propre père, dans Un, deux, trois, soleil, de Bertrand Blier. Il tourne également pour Christian de Chalonge ou Agnès Varda. C’est en France qu’il trouve un de ses derniers rôles, aux côtés de sa fille Chiara, dans Troie vies et une seule mort de Raoul Ruiz.
Autre direction, moins féconde : le cinéma anglo-saxon. Il tourne un de ses rôles les plus marquants, hélas devenu invisible, pour John Boorman dans Léo le dernier (1970), celui d’un réfugié italien dans le quartier jamaïcain de Londres, se disant descendant de haute lignée. Autre rôle inattendu : Quoi ? (Roman Polanski, 1972) . Enfin, il fera une apparition remarquée chez Robert Altman dans son film choral consacré à la mode, Prêt-à-porter, aux côtés de Sophia Loren.
Enfin, au cours de ces années, il multiplie les rôles en Europe, pour Theo Angelopoulos (L’Apiculteur, Le Pas suspendu de la cigogne), Nikita Mikhalkov (Les Yeux noirs, pour lequel il décroche un second prix d’interprétation à Cannes en 1987, après celui pour Drame de la jalousie en 1970) ; Raoul Ruiz, ou encore Manoel de Oliveira…
Après cette très riche carrière, Mastroianni décède en 1996. Quels sont ses derniers rôles marquants ?
Parmi ses derniers rôles, je retiendrai celui de son dernier film, Voyage au début du monde, de Manoel de Oliveira, dans lequel Marcello Mastroianni, une fois de plus, joue l’alter ego du cinéaste. Traversée nostalgique et lumineuse dans les montagnes sauvages et arides du Portugal, c’est également une plongée dans les méandres de la mémoire et du temps qui passe autobiographique, à forte dimension testamentaire pour le réalisateur et son acteur. Dernière apparition de Mastroianni à l’écran ? Pas tout à fait, car il profite de ses moments de pause pendant le tournage pour livrer ses mémoires à sa dernière compagne, Anna Maria Tatò, qui deviendront un documentaire et un ouvrage posthumes : Je me souviens…
Propos recueillis par Robin Berthelot
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