Un grand cru d’Ettore Scola
Le 20 septembre 2024
Parce qu’elle transcende toutes les catégories et parce qu’elle est magnifiée par une mise en scène incroyable, Une journée particulière est une des plus belles histoires d’amour de l’histoire du cinéma.
- Réalisateur : Ettore Scola
- Acteurs : Marcello Mastroianni, Sophia Loren, John Vernon, Françoise Berd, Alessandra Mussolini
- Genre : Comédie dramatique, Historique, LGBTQIA+, Noir et blanc
- Nationalité : Canadien, Italien
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 1h45mn
- Reprise: 17 juin 2009
- Titre original : Una giornata particolare
- Date de sortie : 7 septembre 1977
- Festival : Festival de Cannes 1977
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Critique : Scola ne semble pas bénéficier aujourd’hui du prestige de certains de ses illustres compatriotes. On s’extasie plus facilement devant le génie baroque de Fellini, la grandeur opératique des fresques de Visconti ou les questionnements métaphysiques vertigineux d’Antonioni. Pourtant c’est un immense réalisateur. Pour en juger il faut revoir Une journée particulière.
- © 1977 Compagnia Cinematografica, Champion, Canafox. Tous droits réservés.
L’histoire semble assez banale. Deux individus que tout sépare se rencontrent et s’aiment dans une période troublée. On a vu ça mille fois. Sauf qu’en fait à y regarder de plus près on se rend compte que cette histoire n’a rien de banal. Elle est tellement peu banale qu’elle n’aurait jamais dû se produire. Sophia Loren joue Antonietta, une mère au foyer complètement dévouée à sa famille. Elle correspond parfaitement au modèle de la mère prôné par le fascisme. Elle ne remet jamais en cause ce système, elle l’accepte docilement. Marcello Mastroianni campe Gabriele, un intellectuel homosexuel et donc forcément célibataire et incompatible du cadre fasciste. Le mur qui les sépare devrait être infranchissable parce qu’ils appartiennent donc à des catégories intellectuelles, politiques et sociales opposées et que par ailleurs Gabriele ne devrait pas pouvoir tomber amoureux d’une femme et Antonietta ne devrait pas non plus pouvoir tomber amoureux d’un homme dont la sensibilité ne correspond pas aux valeurs viriles défendues par le fascisme. Dans les histoires d’amour les plus connues il y a toujours un rapprochement possible. On peut penser que Roméo et Juliette tombent amoureux parce qu’ils sont jeunes et beaux. Ici il n’y a rien qui puisse laisser espérer un tel rapprochement. Et pourtant le miracle va avoir lieu. Un sentiment va naître qui transcende toutes les catégories. On touche là à la magie du cinéma, capable de créer un nouvel espace de possibles. On est emporté car on a envie de croire à de telles possibilités. Le miracle a lieu du fait de la fragilité des personnages. Sans cette fragilité liée à leur solitude, chacun serait resté sur ses positions, il n’y aurait pas eu de volonté de se lier à l’autre. C’est aussi cette fragilité qui nous bouleverse. Le sentiment qui naît bouscule irrémédiablement le système qui emmure les personnages. L’amour l’emporte sur le cadre hyper rationnel distribuant les gens dans des cases.
- © 1977 Compagnia Cinematografica, Champion, Canafox. Tous droits réservés.
Voilà pour le premier niveau de lecture du film. Il y en a second assez passionnant et lié au premier. Scola a choisi des acteurs pour incarner des personnages à l’opposé de ce qu’ils symbolisent. Sophia Loren, symbole du glamour des actrices italiennes de la grande époque est transformée en mère au foyer banale. Mastroianni, incarnation du latin lover, est converti en homosexuel. On retrouve là encore la magie du cinéma capable de transformer le réel pour dégager de nouvelles possibilités. On est troublé lorsqu’on sait que Sophia Loren et Mastroianni ont toujours été très proches sans vivre d’histoire d’amour ensemble. Il est possible que dans la réalité cette possibilité ait été esquissée. Dans le film, elle devient réelle. On pourrait pousser encore plus loin cette analyse. La jeune fille qui joue la fille aînée d’Antonietta est Alessandra Mussolini, nièce de Sophia Loren et petite fille du Duce. C’est une figure de l’extrême droite italienne et on lui doit cette phrase en 2006 : "Mieux vaut être fasciste que pédé !". C’est donc surprenant de la voir dans un film antifasciste et cela ajoute à la magie du film qui tient à cette capacité à dessiner un monde impossible.
- © 1977 Compagnia Cinematografica, Champion, Canafox. Tous droits réservés.
Tout cela est magnifié par une mise en scène incroyable. L’action se passe dans un immeuble reconstruit selon le modèle de l’édifice construit en 1934 selon les critères de la nouvelle architecture fasciste pour les fonctionnaires viale XXI Aprile à Rome. Les distinctions sociales étaient prises en compte dans la répartition des logements. Tout était fait pour que les gens puissent s’espionner, le film montrant parfaitement tous ces aspects. La caméra évolue avec virtuosité dans ce décors. S’il ne fallait considérer qu’un exemple, on pourrait prendre le premier plan-séquence qui part de la cour, remonte la façade de l’immeuble pour filmer Antonietta à travers la fenêtre, rentrer dans la pièce et suivre Antonietta s’affairant au milieu de sa famille s’apprêtant à aller voir le défilé. C’est du grand cinéma. Tout est minutieusement pensé, jusqu’aux couleurs plutôt ternes qui traduisent parfaitement le sentiment d’enfermement des personnages. On n’est pas obligé de voir tout cela pour apprécier le film. La charge émotionnelle qu’il contient suffit. Ce qu’il raconte pourrait être transposé dans un contexte actuel. Les belles histoires sont intemporelles. Une journée particulière fait partie de ces films qui ne vieilliront jamais.
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