Un monde nouveau
Le 2 octobre 2024
En mêlant chronique historique, récit d’invention et réflexion politique, Ettore Scola signe un film jubilatoire, qui mérite d’être redécouvert.


- Réalisateur : Ettore Scola
- Acteurs : Harvey Keitel, Jean-Claude Brialy, Marcello Mastroianni, Daniel Gélin, Hanna Schygulla, Andréa Ferréol, Laura Betti, Michel Vitold, Hugues Quester, Caterina Boratto, Yves Collignon, Jean-Louis Barrault, Évelyne Dress, Dora Doll, Pierre Malet, Enzo Jannacci, Claude Legros
- Genre : Comédie dramatique, Historique, Road movie
- Nationalité : Français, Italien
- Editeur vidéo : Gaumont DVD
- Durée : 2h20mn
- Date de sortie : 12 mai 1982
- Festival : Festival de Cannes 1982

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Résumé : À Paris, en juin 1791, l’écrivain libertin Restif de La Bretonne est le témoin du départ, en pleine nuit et depuis le Palais Royal, d’un mystérieux carrosse. Intrigué, Restif se lance à sa poursuite en compagnie de Giacomo Casanova. Il découvre bientôt que ce carrosse tente d’en rejoindre un autre parti plus tôt et dont les occupants ne sont rien de moins que les membres de la famille royale…
Critique : Ettore Scola et son scénariste Sergio Amidei se sont inspirés d’un récit de Catherine Rihoit pour imaginer la rencontre de l’écrivain Restif de la Bretonne (Jean-Louis Barrault) et d’un Casanova vieillissant (Marcello Mastroianni), sur la route de Varennes... Le film tient à la fois du road movie, de la parabole politique, de la narration picaresque propre à la comédie italienne et d’un certain esprit français digne du Guitry de Si Versailles m’était conté. Moins mouvementé que les aventures des passagers de La chevauchée fantastique, le voyage de Restif et Casanova s’avère pourtant animé et les met en présence des protagonistes et témoins d’une période transitoire de l’Histoire de France. De la même façon qu’il peignait avec finesse les rapports de classe de l’Italie d’après-guerre dans Nous nous sommes tant aimés, Scola décrit au scalpel une société française éclatée et hiérarchisée. Le nouveau riche, bourgeois cynique et individualiste (Michel Vitold), s’avère guère plus tolérant que Mme Gagnon (Andréa Férréol), veuve conformiste, enfermée dans ses préjugés raciaux et sa conception étriquée de la vie, mais de justesse humanisée par la tentation d’un dernier amour. L’étudiant révolutionnaire (Pierre Malet), qui voyage sur le toit en compagnie de la soubrette noire, est dépeint comme un exalté, épris de liberté et de justice sociale, mais dont l’intransigeance annonce la Terreur ou les pires excès de l’égalitarisme. La comtesse de la Borde (Hanna Schygulla) incarne quant à elle une certaine tendance de la monarchie, éclairée au point d’applaudir Beaumarchais, mais effrayée à l’idée de perdre ses symboles de droit divin, source d’ordre social et de sécurité.
Son fidèle perruquier maniéré (Jean-Claude Brialy), veule et condescendant, est un lointain ancêtre de ces représentants d’une fraction des classes moyennes, admirative des privilèges d’en haut, et soucieuse d’enfoncer ces artistes et gens du peuples, par essence « affreux, sales et méchants ». Scola semble n’avoir d’indulgence que pour ces laissés-pour-compte, ainsi que les témoins étrangers des coulisses de cette nuit pas comme les autres, même si le révolutionnaire américain Thomas Paine (Harvey Keitel) semble aussi avoir ses zones d’ombre... L’intelligence du film de Scola réside aussi dans le fait qu’il ne cherche nullement la reconstitution historique mais à recréer l’esprit d’une époque et imaginer les débats politiques que cette période trouble pouvait susciter chez l’élite économique, intellectuelle, artistique et mondaine. Outre son scénario subtil et ses dialogues étincelants, La nuit de Varennes séduira aussi par ses compositions picturales, le directeur de la photo Armando Nannuzzi élaborant de très beaux plans mettant en relief des personnages sortis d’une toile d’époque, d’un bateleur des Quais de Seine (Enzo Jannacci) à une aubergiste généreuse (Dora Doll), en passant par les jambes de Louis XVI et Marie-Antoinette... Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 1982, La nuit de Varennes y fut applaudi mais sans grande liesse. Cette œuvre méconnue mérite d’être redécouverte.
– David di Donatello Awards 1983 : Meilleur scénario