Le 2 février 2018
Plus de quarante ans après sa sortie, ce film continue de décontenancer et de fasciner par ses trouvailles et son rythme aussi bien que par son refus de la narration. Une grande et belle déambulation entre réalisme et fantastique.
- Réalisateur : Federico Fellini
- Acteurs : Raout Paule, Peter Gonzales, Pia De Doses
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français, Italien
- Editeur vidéo : Rimini Éditions
- Durée : 2h08mn
- Box-office : 1 213 417 entrées France
- Titre original : Roma
- Date de sortie : 23 mai 1972
L'a vu
Veut le voir
Résumé : La vie à Rome de 1930 à nos jours vue par un de ses admirateurs, Federico Fellini. Fresque monumentale où réalité et fantasmes du réalisateur sont étroitement mêlés.
Critique : Sans doute Roma est-il le moins, ou l’un des moins narratifs parmi les films de Fellini. Peu de personnages, à part le maestro lui-même, jeune ou à l’époque du tournage, mais c’est un personnage évanescent et très épisodique. Car, le titre l’indique assez, la capitale est le sujet principal, le seul ; on s’en doute, ce ne sera pas une visite objective ou touristique. On verra bien quelques monuments, jetés comme caution, mais pour l’essentiel, Fellini alterne dans des séquences relativement longues des moments singuliers des années 30 et des années 70, reliés parfois par une voix off qui ne suffit évidemment pas à dissiper une impression de décousu voire de mystère. On serait en effet à la peine s’il fallait dire de quoi parle ce film déroutant …
- Copyright Ultra Film, Les Artistes Associés
Essayons : au départ, quelques souvenirs d’enfance (l’école, la famille) apparemment anodins, mais qui déjà distillent des thèmes que la suite reprendra : le spectacle, la religion, le cinéma, les femmes . On est bien chez Fellini, avec ses exagérations, ses trognes impossibles, cette vie proliférante qui excède toute tentative d’ordre : il suffit que le professeur tourne la tête pour que les élèves se battent, il suffit que des spectateurs se lèvent pour que d’autres se ruent sur les places assises. C’est que la vie chez le cinéaste est confuse, bruyante, volontiers vulgaire. Les dialogues ne sont pas nombreux et rarement suivis, mais ils comportent leur lot de grossièretés joyeuses et sans conséquence. Dans ce prologue encore loin de Rome, le réalisateur s’amuse de la piété excessive mais conserve un regard attendri sur ces gens que le cinéma fascine, larmoyant devant un improbable péplum déformé.
- Copyright Ultra Film, Les Artistes Associés
Puis c’est l’arrivée à Rome, celle d’un Fellini jeune dans une gare bouillonnante, qui sera suivie d’une autre, contemporaine dans un embouteillage d’anthologie. À chaque fois, ce sont les visages, les expressions, les bribes de dialogues et d’histoires qui le fascinent. La caméra court, s’arrête peu, s’épuise à cadrer le fugace. Et, de temps en temps, dans la période actuelle, le méta-film pointe le bout de son nez, artifice parmi les artifices d’un monde recomposé à la seule fantaisie de son auteur. Si les séquences s’enchaînent de manière assez arbitraire, la chronologie cessant vite de guider le récit, si elles apparaissent presque autonomes, elles sont néanmoins reliées par des parallélismes et des reprises plus ou moins évidents : les repas dans la rue, les prostituées, entre autres. Mais c’est surtout l’idée du spectacle qui unifie l’ensemble : omniprésent, il est le fondement de la vie populaire. Tout est spectacle : les théâtres et leurs numéros boiteux aussi bien que les commentaires des spectateurs, les monuments romains aussi bien qu’un accident de la route, la visite d’une maison labyrinthique aussi bien que les bordels où l’on regarde beaucoup plus qu’on ne consomme. Et jusqu’à la religion, avec ses prières devant la radio ou, surtout, cet invraisemblable défilé de mode ecclésiastique qui commence dans l’allégresse sautillante (la musique est bien sûr de Nino Rota) et se finit en tableaux macabres. Le saugrenu surgit là où on l’attend le moins, toujours entre moquerie et drame. Spectacle donc, partout, tout le temps, à peine coupé par des plans de rue déserte ou des interludes apaisés.
- Copyright Ultra Film, Les Artistes Associés
La prolifération des images force l’admiration : qui à part Fellini pouvait filmer un embouteillage avec autant de détails surprenants, qui pour faire d’un bordel un lieu aussi cinématographique ? Avec cette invention permanente les ruptures de ton fascinent également : la belle séquence dans le métro en construction commence comme un documentaire et se termine dans la pure poésie de fresques disparaissant au contact de l’air, reprenant sur un mode dramatique un travail permanent sur le fugace. Quant aux moqueries continuelles, elles s’adressent même au réalisateur, avec le magnifique « Federico, va dormir », que lui envoie une Anna Magnani malicieuse.
- Copyright Ultra Film, Les Artistes Associés
Néanmoins le film est parcouru par des zones d’ombre : la mélancolie d’abord, qui affleure souvent, notamment avec les regrets de la princesse. Elle irrigue aussi les comparaisons entre présent et passé, le premier étant systématiquement noirci (voir l’entrée dans Rome par le « périphérique moderne » qui a tout du cloaque). Mais on s’avoue davantage intrigué par une atmosphère de fin du monde : c’est une vieille dame qui dit « On va à la catastrophe », ce sont les menaces de bombardement, c’est Gore Vidal selon qui Rome est « le meilleur endroit pour attendre l’Apocalypse ». C’est enfin, c’est surtout, cette dernière et énigmatique séquence dans laquelle des motards arpentent la ville : cavaliers de la dite Apocalypse ? Anges de la mort ? Figure d’une modernité hostile ? Gardiens de la cité ? On n’en saura rien. Fellini préfère une fin ouverte, à laquelle il tenait au point de reconstituer en studio une portion de route.
- Copyright Ultra Film, Les Artistes Associés
On n’en finirait pas de citer les trouvailles ou les beautés inattendues de ce film virtuose, osé, qui se passe d’une histoire pour jouer sur la fascination des images. Son rythme singulier entraîne son spectateur dans une série de séquences apparemment sans suite, mais qui dressent un portrait très subjectif d’une ville que Fellini adorait, portrait dans lequel la menace affleure, sourde et floue. Regard d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens, mais certainement pas apaisé : son œil aux aguets déniche des visages ou des situations exceptionnelles et proches à la fois, qui éblouissent à chaque vision. Tourné juste avant un autre chef-d’œuvre, Amarcord, Roma fait partie des réussites incontestables de Fellini, sans doute moins chatoyante que certaines, moins moderne que d’autres, mais d’une richesse inépuisable.
Les suppléments :
Dans l’édition collector, deux DVD sont consacrés à un long documentaire sur le maestro, Zoom sur Fellini, qui semble dater des années 80, et dont l’image et le son sont loin d’être parfaits. Mais l’indéniable valeur de témoignage permet largement d’oublier ce léger problème, rarement gênant. Les deux premières parties sont constituées d’entretiens avec nombre de comédiens (Mastroianni, Magali Noël, Anita Ekberg, Donald Sutherland, entre autres) qui racontent « leur » Fellini à travers des anecdotes sur leur rencontre, la chance, le studio, les manies du cinéaste, etc. Le plaisir de revoir et entendre certains acteurs n’empêche pas de trouver l’ensemble très inégal, et l’on frôle souvent l’anodin ou la simple hagiographie. De temps en temps, une petite impertinence (dont celle de la voix off qui parle de la mémoire des témoins qui peut « retoucher » les souvenirs), un surgissement d’égo ou des caricatures de Fellini viennent réveiller l’intérêt (47 et 50 mn).
- Copyright Ultra Film, Les Artistes Associés
Sur le second DVD, les deux dernières parties sont d’intérêt inégal : si le reportage sur le tournage de Et vogue le navire dépasse rarement le convenu (Les visages de Fellini, 50mn), Fellini au panier (45mn) est passionnant ; le cinéaste y commente des séquences coupées de trois de ses œuvres (Amarcord, Casanova et Les nuits de Cabiria). Ce sont moins ses propos, malicieux et évasifs, que la qualité des extraits qui ravit. Les deux séquences de Casanova et des Nuits de Cabiria sont de toute beauté.
Le Blu-ray du film s’accompagne d’un entretien de 22 minutes particulièrement stimulant avec Italo Moscati, qui analyse le métrage selon divers axes et trouve quelques belles formules (« Rome est une rêverie », « Fellini est le réalisateur de la frustration »). Autre belle découverte, des scènes coupées, toutes contextualisées, qui prolongent parfois d’à peine une poignée de secondes des séquence retenues : anecdotiques ou plus importantes (Fellini a coupé Mastroianni et Sordi !), elles gagnent à être vues (17mn). Enfin, deux bandes-annonces différentes complètent cette foison de bonus.
L’image :
Le « master haute-définition » promis a ravivé les couleurs, approfondi les contrastes et lissé l’image, mais de nombreux petits parasites subsistent (points noirs et blancs réguliers), ainsi qu’un léger manque de stabilité sur certains plans.
Le son :
La VO souffre parfois d’un manque de précision, mais comme la bande-son joue beaucoup sur le confus, les quelques acidités et saturations passent presque inaperçues. La VF est un non-sens.
– Sortie DVD et Combo collector : 23 janvier 2018
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.