Le 21 mai 2022
Alors que son documentaire Espionnes st sorti sur BrutX en ce mois de mai, Flore Rebière, ancienne agente de la DGSI, a accepté de nous en livrer quelques secrets, sur un ton très posé.
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AVoirALire : Espionnes est sorti le 4 mai dernier sur BrutX (critique ici). Ma première question est relativement classique : qu’est-ce qui a motivé ce documentaire ? C’est vous qui avez contacté BrutX ?
Flore Rebière : Et bien non, ce sont eux qui sont venus me chercher. Ce n’était pas prédestiné. J’étais en train de faire une formation en écriture de fiction. Il y avait des masterclass dans ce cadre, et Sylvain Jouvet (directeur adjoint de BrutX, ndlr) est venu en faire une sur les documentaires. Ce n’était pas mon projet de base. On devait se présenter à chaque fois, et vu mon passé, vu mes projets, il m’a demandé si on pouvait se parler… Il m’a demandé si j’avais déjà pensé à faire un documentaire. Pour parler des femmes dans ce milieu, car on n’en parle pas souvent. J’ai beaucoup hésité au départ, car quand on est une ancienne comme moi, c’est toujours difficile de savoir si on a le droit de parler, ce qu’on peut dire, ne pas dire. Et puis me dévoiler en tant qu’espionne, ce n’est pas du tout mon but. J’ai plutôt tendance à vouloir m’en défaire.
Mais finalement, cela me permettait, d’une manière créative, d’avoir une expérience dans cet univers, de voir comment cela fonctionne, et de tourner la page de cette carrière. Enfin, j’avais la possibilité de rendre hommage à d’autres, de voir si elles avaient le même ressenti que moi. Cette curiosité et l’envie de mettre un point final à cette carrière l’ont emporté.
AVoirALire : Mais concrètement, comment avez-vous fait pour savoir ce que vous pouviez, et ne pouviez pas dire ? Vous avez relu tous les contrats, passé des coups de fils ?
FR : Un peu de tout cela, oui. J’ai gardé contact avec certains collègues de la DGSI qui sont partis pour certains, je leur ai demandé leur avis. J’ai relu mes contrats qui disaient qu’après tant d’années on pouvait parler plus librement. Et je me suis inspirée des autres, j’ai vu jusqu’où elles se permettaient de naviguer.
AVoirALire : Et comment cela a été accueilli ?
FR : Globalement j’ai eu de bons retours. Certains m’ont dit qu’ils espéraient que je n’ai pas de problèmes, mais la plupart ont salué le projet, l’ont trouvé super.
AVoirALire : Vous êtes créditée coréalisatrice avec Licia Meyssenq. Concrètement, comment se sont réparties les tâches ?
FR : Cela n’a jamais été très défini. Pour ma part j’étais plus sur l’aspect technique, mise en relation avec les espionnes avec qui il fallait parler dans leur univers. Mais nous nous sommes mises d’accord avec sa vision de journaliste. Licia a toutes les techniques de recherche. Sur la réalisation, comment mettre les choses en place, le scénario ? Nous étions aussi accompagnées de toute l’équipe éditoriale. J’ai appris sur le tas, en autodidacte. Licia s’est énormément intéressée à l’univers aussi. Donc nous nous sommes très bien complétées et renvoyé la balle.
AVoirALire : Vous deviez être assez impliquée émotionnellement, vu votre parcours. Était-ce difficile, ou souhaitable, de garder une distance avec les espionnes du documentaire ?
FR : C’est un peu l’entre-deux. Certains moments étaient propices à être complices avec elles, et je me suis bien sûr reconnue dans leurs récits. Il y avait de vrais moments de complicité, je pense que cela se ressent. Mais chacune avait sa propre personnalité et sa propre histoire. Alors il fallait garder une distance dans ces moments-là, écouter ce qu’elles avaient à dire, les laisser dérouler leur histoire. Rester objective.
AVoirALire : Vous êtes allée chercher des profils assez extraordinaires. Comment vous les avez approchées ?
FR : Concrètement, on a fait des milliers de recherches sur Internet, vraiment. Pendant toute la période de développement du projet, la question était de savoir si on pouvait obtenir assez d’histoires différentes, de profils différents, pour capter l’attention du public et obtenir quelque chose qui soit dynamique. Il nous fallait aussi des personnes en phase avec l’idée de dévoiler l’humain derrière l’agent. Certaines étaint encore trop impliquées émotionnellement, avec des traumas encore récents, parfois médiatisés. Elles ne voulaient pas revenir dessus.
Mais enfin nous nous sommes arrêtées sur nos trois personnages. Donc au moment de les appeler, c’est « Bonjour, je m’appelle Flore, je cherche à parler des femmes dans cet univers, à montrer le côté humain, ce que c’est une femme espionne… ». Comme ça. Elles ont été intéressées. Je leur ai mieux expliqué en visio.
AVoirALire : Pas de réticence initiale donc ?
FR : Pour deux d’entre elles, Elena et Annie, cela a été immédiat. La troisième, Huda, est un peu moins habituée à ce genre d’exercice donc un peu moins rassurée. Mais rapidement une confiance s’est installée.
AVoirALire : Y a-t-il eu de la frustration liée au format, qui paraît relativement court ?
FR : Évidemment. On a beaucoup de contenu. Après, il y a une volonté éditoriale de la part de BrutX d’avoir des formats pas trop longs et de se distinguer des documentaires télévisés d’une heure. Il faut aussi accrocher un public jeune, et donc être assez court et dynamique. Par moment, oui, c’est frustrant. Mais il y a une réalité, et il faut savoir s’arrêter sur un format.
AVoirALire : Et concernant le tournage, avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
FR : Ce n’est pas à vous que je vais apprendre cela, mais il y a toujours des aléas. On n’a pas eu de difficulté par rapport aux personnages, ou alors parfois besoin de les rassurer. Des fois on a le top départ pour une séquence de tournage et c’est un peu brutal, alors qu’on aurait pu mieux le préparer en amont et donc on se retrouve à gérer des choses sur le moment et qui peuvent être assez challengeant. Surtout qu’on était encore en période de Covid. Mais à chaque tournage, on a toujours des pépins techniques et logistiques, ce qui est très classique.
En tout cas, avec les personnels, aucun problème majeur !
AVoirALire : Vous avez eu des retours de leur part ?
FR : Oui. On a de bons retours. On est très contents de voir qu’elles ont apprécié.
AVoirALire : J’aimerais aborder les parallèles qu’on peut dresser entre votre documentaire et la fiction. Vous êtes très intéressée par la fiction. L’histoire de ces femmes est d’ailleurs de la fiction pour une personne comme moi, lambda. Comment on gère cela ? Ne les traite-t-on pas comme des personnages de fiction ?
FR : Disons qu’il y a une part de storytelling. Certes ce sont des histoires incroyables, sorties tout droit des films. Mais c’est la réalité. C’est là qu’il y a un jeu entre la réalité et la fiction, surtout dans ce monde-là, où se demande toujours ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. C’est pour cela qu’on a accentué sur l’aspect humain. Au-delà de leurs destins incroyables, comme Elena qui se fait échanger sur le tarmac d’un aéroport, on voit qu’elles ont des dilemmes intérieurs. Par exemple, quand on est maman et qu’on doit cacher la vérité à ses enfants, forcément il se passe un truc à l’intérieur. Il fallait jouer avec le storytelling, et l’humain. Il fallait essayer de combiner tous ces aspects, et montrer que ce sont des humains comme nous qui les vivent.
AVoirALire : L’objectif de ce documentaire est-il aussi un enjeu de représentation ? Pour des jeunes filles qui se diraient : « tiens, c’est possible, ça existe ? »
FR : Pas forcément. C’est plutôt d’éclairer sur ce monde. Si cela peut donner des idées à des jeunes femmes qui n’y auraient jamais pensé, tant mieux ! Avec toute l’analyse, l’esprit critique que ce travail demande. Elles peuvent penser que c’est inaccessible, mais pas tant que cela en fin de compte.
AVoirALire : Vous abordez votre documentaire en parlant des clichés du cinéma sur les espionnes. Lequel vous énerve le plus, ou est le plus éloigné de la réalité ?
FR : Clairement le coup des femmes super-héros qui se battent avec leurs deux petits points alors qu’elles pèsent 50 kilos tout mouillé, qui tirent dans tous les sens. Ou alors qui sont dans des tenues ultra sexy pour alpaguer une cible. C’est assez réducteur. On met toujours cela en avant, alors que ce qui prône dans ce métier, c’est la discrétion, l’analyse, d’être dans une forme d’intelligence, d’être capable de capter plein d’informations dans votre environnement. Ben sûr, comme dans tous les milieux, il peut avoir une séduction homme/femme, mais pas plus qu’ailleurs.
AVoirALire : Vous avez entamé une formation en cours sur la fiction. Vous avez un ou des projets en cours dans le monde de l’espionnage par exemple ?
FR : Pas forcément dans ce monde-là. Mais je suis en train d’écrire un projet. Bien sûr, je vais m’inspirer de choses que j’ai vécues. Mais on ne va pas se concentrer là-dessus. On va plutôt évoluer vers une enquête mystique, quelque chose d’un peu fantastique. Un peu une espionne qui se retrouve catapultée dans une enquête qui va la dépasser, et aller loin du rationnel dont elle a l’habitude. Un peu comme dans les films de super-héros, avec un personnage journaliste mais qui est super-héros à côté.
Il faut encore que je développe cela pour ce soit présentable à un producteur. J’étais très engagée sur Espionnes, mais ça va venir !
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