Le 26 novembre 2024
- Réalisateur : Micheal Rice
- Festival : Festival Chéries-chéris
Au Festival Chéries-chéris, nous avons pu avoir un entretien avec le documentariste américain, réalisateur de Black as U R.
En 2020 aux États-Unis, à la suite du meurtre de George Floyd par un policier, le mouvement Black Lives Matter prenait une ampleur sans précédent. Pourtant, au sein même de ce mouvement, toutes les "vies noires" ont-elles la même valeur ? Et quelle place peut y exister pour les personnes queer noires ? C’est cette interrogation qui a nourri le travail du documentariste Micheal Rice, rencontré au festival parisien Chéries-Chéris.
Quel est votre parcours ? D’où est née votre envie de faire du cinéma et de raconter précisément ces histoires ?
Quand j’avais neuf ou dix ans, ma mère m’a offert un caméscope et j’ai pu créer mon propre univers, enrôlant mes frères et sœurs pour jouer dans mes petits films. Ma mère avait gardé toutes ces vidéos, donc j’ai pu en réutiliser certains extraits dans mon documentaire.
Bien plus tard, je suis allé à l’université à New York, où j’ai décroché un diplôme en théâtre, puis j’ai travaillé en tant qu’acteur et chorégraphe. Lorsque je me suis lassé de devoir dépendre des autres pour me trouver des rôles, je suis revenu à cette idée de créer mon univers. Je l’avais fait des années plus tôt, donc je pouvais le refaire ! Je me suis rapidement tourné vers le documentaire car ayant découvert qui j’étais, je voyais peu d’œuvres sur celles et ceux qui étaient, comme moi, des personnes noires queer. Auparavant, il y avait a eu par exemple Paris Is Burning (1991), un chef-d’œuvre qui m’a ouvert la voie. Mais je voulais vraiment raconter ce que je n’avais pas vu à l’écran, replacer cela dans un contexte. Je voulais parler de ma communauté, afin que les plus jeunes générations sachent qu’elles ont une histoire, écrite par Lorraine Hansberry, James Baldwin, bell hooks, Crystal LaBeija… J’ai aussi été inspiré par les films de Marlon Riggs (Ethnic Notions, Tongues Untied) et de Rodney Evans.
Pour vous, ce désir de faire du cinéma était donc clairement lié à cette idée de découvrir ou redécouvrir l’histoire de ceux qui vous avaient précédé ?
Tout à fait. Je voulais rendre hommage à ces cinéastes dont je parlais, qui ont créé un espace où la parole queer noire pouvait s’exprimer. Mais mes documentaires sont aussi partis d’une envie de mieux comprendre : comment se construit l’intolérance, particulièrement envers la communauté LGBTQ, ou encore comprendre le VIH – car la société nous fait parfois croire que notre histoire a commencé avec le VIH. Pourtant, de quel pays que vous veniez, si vous êtes queer, votre histoire n’a pas débuté avec ce virus, mais bien avant. L’homosexualité ou la transidentité existent depuis la nuit des temps.
Notamment pour des raisons religieuses, on peut être mal à l’aise avec notre propre identité, avec la façon dont on devrait s’affirmer et s’aimer nous-mêmes. Je voulais donc rompre avec ces constructions ; je voulais que les enfants queer, où qu’ils soient, puissent s’aimer et s’affirmer. Recourir au mécanisme du documentaire me semblait adapté pour cela. Cela me semblait important de mettre en avant des personnes noires car, en grandissant, j’avais surtout entendu parler d’icônes LGBT blanches, comme Harvey Milk. J’étais adulte lorsque j’ai appris que la Marche sur Washington de 1963 avait été organisé par un Noir homosexuel, Bayard Rustin, dont la vie n’a été racontée dans un film grand public que l’an dernier ! Et beaucoup de personnes ignorent encore qui il est.
Vous parliez du contexte spécifique dans lequel des longs-métrages comme Paris Is Burning étaient nés. Il me semble que votre propre film Black as U R est lui-même né d’un contexte précis, lié au mouvement Black Lives Matter (BLM) et à la Covid.
Avant de faire le film, je travaillais sur une pièce de théâtre, There’s Black in the Rainbow Too (« Il y a aussi du noir dans l’arc-en-ciel ») que nous avons dû mettre en suspens lors du confinement. Au même moment, on a pu observer de nombreuses personnes noires battues et brutalisées comme Breonna Taylor, George Floyd, Ahmaud Arbery. La façon dont la police américaine traite les Noirs m’a bouleversé, et j’ai moi-même commencé à manifester contre la brutalité policière.
Lors des manifestations, j’ai observé quelque chose d’assez intéressant : j’ai vu des femmes trans noires brutalisées au sein même de ce mouvement – ce qui m’a semblé très hypocrite. Ces personnes étaient marginalisées et victimes de violences, alors même que notre communauté entière devrait s’unir pour combattre l’injustice et le racisme. J’ai donc décidé de parler de cela dans mon documentaire, et d’ouvrir le débat sur ce sujet : sur la façon dont nous nous traitons au sein notre communauté, à un moment où nous luttons pourtant pour notre propre survie.
Pour Black As U R, vous avez recueilli de nombreux témoignages – qui vont de spécialistes académiques à des personnes à la parole plus brute, interrogés sur le vif dans un barbershop. D’emblée, vous aviez cette idée de faire s’affronter et se confronter les points de vue ?
Ça me semblait pertinent car la vie est complexe. Parfois, elle est grise – pas noire ou blanche – et de là naissent beaucoup de sujets qu’on peut aborder. Par exemple, il y a beaucoup de choses à dire sur les personnes noires qui ont voté pour Donald Trump, pourtant aligné sur les positions des suprémacistes blancs. Il y a là un conflit, une hypocrisie. Certains pensent que s’aligner sur les positions dominantes les favorisera – alors que non, en faisant cela, ils font du mal à leur communauté, à son unité. Je voulais tendre un miroir à cette communauté, pour que nous puissions réfléchir à cette hypocrisie.
Quel rôle le cinéma, documentaire comme de fiction, peut-il jouer pour banaliser certains sujets, comme l’identité queer ou l’intersectionnalité ?
Il est important de raconter les histoires liées à l’oppression des personnes queer noires, mais aussi à leur amour, à leur célébration. Mon prochain documentaire parle de la représentation à l’écran de celles-ci ; la plupart du temps, quand on voit un homme homosexuel ou une femme lesbienne qui a réussi, elle est dans une relation interraciale. Je n’ai aucun problème avec les relations interraciales mais je trouve dommage de ne montrer qu’une seule partie des relations existantes. Nous sommes plus complexes que cela, moins uniformes que la représentation que Hollywood donne de nous. C’est important car cela montre qu’on peut avoir réussi et être en couple avec quelqu’un qui nous ressemble.
Cela dit, je crois que toute personne qui est curieuse sur ce sujet à le droit de s’exprimer dessus, car nous sommes des conteurs d’histoires. Paris Is Burning, que je citais, a été réalisé par Jennie Livingston, une étudiante blanche de l’université de New York. Elle ressentait le besoin de raconter cette histoire et disposait des moyens pour le faire. Si elle ne l’avait pas fait, nous n’aurions jamais eu Paris Is Burning ! Mais, à présent, on peut avoir des conversations plus nuancées, plus complexes.
Le paysage social et politique américain est très polarisé, et le résultat des dernières élections en date peut nourrir certaines craintes. Parvenez-vous encore à trouver des raisons d’être optimiste pour cette communauté dont vous parliez ?
Bien sûr. Parfois, il vaut mieux arracher le pansement, pour que la plaie cicatrise mieux. Pour prendre un problème à la racine, il faut être capable d’avoir une franche conversation, aussi inconfortable soit-elle. Je suis optimiste car, à la toute fin de mon documentaire, j’interviewe un jeune homme noir, hétérosexuel et cisgenre. Il est très intelligent et sensé, et s’exprime après de nombreux hommes aux propos pleins d’ignorance et de préjugés. C’est ce jeune homme, qui représente notre avenir à tous, qui dit : « Non, ce n’est pas bien. Nos enfants doivent pouvoir se libérer, trouver un espace où ils peuvent s’affirmer, et nous devons les aimer. »
J’ai adoré la façon éloquente et élégante dont il a dit cela, et c’est aussi pour cela que je l’ai inclus à la fin car il s’agit d’une parole optimiste. Si j’étais plus jeune, j’aimerais trouver quelqu’un qui m’apprenne ainsi à penser différemment et à être ouvert d’esprit.
Vous parliez de cette idée d’avoir des conversations inconfortables. Or l’élection à deux reprises de Donald Trump a rouvert des plaies ouvertes avec la guerre de Sécession et jamais réellement refermées depuis – même si ce n’est sans doute pas la seule explication du vote Trump. À la fin de cette guerre, il y avait la promesse de créer une nouvelle communauté et de panser les blessures du racisme, promesse qui n’a jamais été tenue.
J’ai inclus des images de Trump prises lors du mouvement BLM. Ça date d’il y a plusieurs années, et il y a quelque chose d’assez étrange à le voir revenir à la Maison-Blanche. Son élection a marqué ce qu’on a appelé un « whitelash » (« retour de bâton blanc », Ndlr), après un président noir qui avait eu l’audace de parler de racisme, de diversité et d’inclusion, de cancel culture… Cette conversation doit avoir lieu entre les Noirs américains et le gouvernement américain – et personne d’autre.
Je crois que beaucoup de gens voulaient nous faire comprendre que les États-Unis restaient un pays dominé, contrôlé par les Blancs, et qui accueille des immigrés venus d’un peu partout. Cela a débouché sur cette hystérie, propagée dans certains podcasts, que le pays allait être envahi par des immigrés. Tout ceci est très malheureux mais je crois que la période que nous traversons va créer un individu exceptionnel, qui pourrait être le prochain Malcolm X ou Martin Luther King.
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