Le 28 mars 2025
Ce récit d’initiation est l’un des grands films de Jean Eustache, dans la meilleure veine du cinéma d’auteur français.


- Réalisateur : Jean Eustache
- Acteurs : Ingrid Caven, Caroline Loeb, Dionys Mascolo, Jacqueline Dufranne, Martin Loeb, Maurice Pialat
- Genre : Comédie dramatique, Teen movie
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films du Losange, AMLF Distribution
- Durée : 2h03mn
- Reprise: 7 juin 2023
- Date de sortie : 18 décembre 1974
- Festival : Festival de Venise 2022

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Résumé : Daniel est un jeune garçon taiseux qui observe les filles avec convoitise. Il est élevé par sa grand-mère, à la campagne. Quand il atteint l’âge de treize ans, sa mère, qui vit avec un ouvrier agricole dans un tout petit appartement à Narbonne, décide de le prendre avec elle. Daniel arrête l’école à contrecœur et entre comme apprenti chez un mécanicien. Il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers qui passent leur temps libre au café, à fumer et à échafauder des stratégies pour séduire les filles.
Critique : Réalisateur rattaché la Nouvelle Vague, ayant été surtout actif à partir du milieu des années 60, Jean Eustache est surtout connu pour le désormais culte La maman et la putain (1973), longue série de dialogues, souvent en plans séquences et fixes, qui proposait un regard singulier sur le couple. Sorti un an plus tard, Mes petites amoureuses est son second (et dernier) long métrage de fiction, le réalisateur s’étant ensuite exclusivement consacré au documentaire. Si le ton intimiste et la liberté de filmage font écho à La maman et la putain, Mes petites amoureuses s’en détache par le recours à la couleur (superbe travail de Néstor Almendros) et une utilisation essentielle de décors naturels, un cadre rural se substituant à la capitale. Cette ruralité fait d’ailleurs écho à son documentaire La rosière de Pessac. Enfin, on a là un récit axé sur la préadolescence, quand La maman et la putain cernait les tourments de trentenaires. Mais le film présente la même connotation autobiographique. L’essentiel de l’action de concentre à Pessac, même si Eustache a préféré tourner les séquences à Varzy, dans la Nièvre. Le spectateur s’attache sincèrement à Daniel, le jeune protagoniste contraint de quitter son village natal pour suivre sa mère et son compagnon, avant d’être contraint de quitter le collège afin de travailler comme apprenti chez un artisan. L’écriture échappe à la tentation naturaliste et déterministe. Daniel semble certes avoir du mal à sortir de sa condition, mais c’est un garçon curieux et intelligent, qui aime l’école et refuse de se laisser priver d’instruction, se renseignant sur les moyens de reprendre ses études.
La façon dont il défie certains adultes qui doutent de lui est à ce propos réjouissante (les scènes avec le beau-père ou l’ami cynique de son patron, incarné par Maurice Pialat). Moins déviant que l’Antoine Doinel de Truffaut (Les 400 coups), plus chanceux que le gamin de L’enfance nue (Pialat, 1968), Daniel est bien un double du cinéaste, tant on pressent son désir de créativité et de liberté, au-delà des similitudes de statut. L’œuvre culmine dans sa seconde partie, qui voit le récit d’initiation aborder l’éveil sentimental et sensuel du jeune homme devant faire face au cadre étriqué et balisé des mœurs en milieu rural. À l’instar du Renoir de Partie de campagne ou de l’Ophüls de La maison Tellier, Eustache filme une séquence de séduction en milieu champêtre qui s’avère être l’une des plus belles du cinéma français. Mes petites amoureuses doit par ailleurs beaucoup au jeune Martin Loeb qui apporte une délicate mélancolie, et un mélange de fragilité et de détermination seyant à son personnage. Il domine aisément un casting mêlant non-professionnels et acteurs de métier, comme Jacqueline Dufranne (la grand-mère) et Ingrid Caven (la mère). Curieusement, c’est une interprète tenant un rôle secondaire qui est valorisée sur l’affiche d’origine, ainsi que sur le visuel choisi par le distributeur Les Films du Losange à l’occasion d’une rétrospective consacrée à Eustache en 2023. Il faut (re) découvrir ce petit bijou, d’une poésie que d’aucuns ont qualifiée de rimbaldienne, qui fait d’autant plus regretter la mort prématurée du cinéaste, en 1981.