À feu et à sang
Le 23 avril 2024
Une adaptation réussie du texte théâtral de Wajdi Mouawad, qui nous entraîne dans une tragédie hallucinée, jouant avec force du mythe des origines. Une expérience traumatique et émouvante, portée en finesse par le cinéaste québécois Denis Villeneuve.
- Réalisateur : Denis Villeneuve
- Acteurs : Rémy Girard, Lubna Azabal, Mohamed Majd, Mélissa Désormeaux-Poulin, Maxim Gaudette, John Dunn-Hill
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Canadien
- Distributeur : Happiness Distribution
- Durée : 2h10mn
- Titre original : Incendies
- Date de sortie : 12 janvier 2011
- Plus d'informations : Le site du distributeur
Résumé : À la lecture du testament de leur mère, Jeanne et Simon Marwan se voient remettre deux enveloppes : l’une destinée à un père qu’ils croyaient mort et l‘autre à un frère dont ils ignoraient l’existence. Jeanne voit dans cet énigmatique legs la clé du silence de sa mère, enfermée dans un mutisme inexpliqué les dernières semaines précédant sa mort. Elle décide immédiatement de partir au Moyen-Orient exhumer le passé de cette famille dont elle ne sait presque rien... Simon, lui, n’a que faire des caprices posthumes de cette mère qui s’est toujours montrée distante. Mais son amour pour sa sœur jumelle le poussera bientôt à rejoindre Jeanne et à sillonner avec elle le pays de leurs ancêtres sur la piste d’une mère bien loin de celle qu’ils ont connue.
Critique : Tous les secrets de famille sont destinés à être révélés un jour, aussi monstrueux et terrifiants soient-ils : c’est l’ombre qui pèse dès le début d’Incendies, film symptôme d’une plongée dans un passé traumatique, marqué par la guerre et sa longue suite d’atrocités. De la pièce de Wajdi Mouawad, le cinéaste canadien Denis Villeneuve extrait un récit gros de vécus enchevêtrés et de visions hallucinées ; pas à pas, les images viennent retracer des faisceaux de l’histoire, qu’il appartient au spectateur de raccorder entre eux, avant même que les personnages ne prennent réellement conscience de ces connexions. La famille Marwan, dont les deux héros héritiers font la généalogie guerrière, concentre irrésistiblement en elle tous les fléaux de l’humanité ; du texte original, le réalisateur conserve cet arrière-plan de tragédie grecque, qui confère à cette fratrie le statut de « maison » maudite, portant avec elle son Œdipe ou sa Phèdre... Mais dans le courant de l’histoire, le ton est de prime abord celui d’une intrigue policière, d’un parcours de détective dans la mémoire de ses ancêtres, et Denis Villeneuve ménage un suspense qui contribue à la stupéfaction finale. Sans révéler le dernier tournant - davantage un point d’acmé qu’une chute -, c’est un choc à la fois brutal et magistral : d’un regard rétroactif sur le film, le spectateur se voit contraint de faire le deuil de ses positions morales, pour participer à un moment de doute pur.
- © Happiness Distribution
Auteur de trois précédents longs-métrages, Denis Villeneuve ne peut certes éviter quelques maladresses ; on le sent préoccupé à l’idée de perdre son spectateur, quand celui-ci aurait souhaité par moments demeurer un peu plus dans cet état de légère confusion provoqué par le récit et l’univers qu’il évoque. Des procédés démonstratifs (renforts de gros plans, musiques très présentes...) viennent appuyer à l’excès les séquences jugées essentielles, découpées en grands « chapitres » narratifs. Toutefois, le rythme adopté par le cinéaste tient avec succès l’épreuve de la durée, en alternant entre étapes du présent et pans du passé, avec des passages subtils d’une temporalité à l’autre. La période canadienne, qui pouvait pourtant servir seulement de « prétexte » ou d’entrée en matière, est chargée d’un onirisme discret, travaillé avec finesse dans l’image et le son. On se laisse captiver sans résistance par ce parcours d’une héroïne façonnée par sa volonté propre (l’étonnante Lubna Azabal), dans un pays qui restera non identifié, mais que tout, y compris les éléments visuels qui le composent, rattache mentalement au Liban dans les pires années de sa guerre civile. Si Incendies est véritablement une partition réussie de cinéma, c’est que les différentes couches de lecture - politique, historique, psychanalytique... - demeurent valides, sans que l’émotion brute que porte le récit (à condition que l’on accepte de s’y abandonner) soit entamée. Une secousse sourde, inattendue dans un monde fantasmatique, qui résonne d’une force étrange avec notre réalité.
– Entretien avec Denis Villeneuve
– Entretien avec Lubna Azabal
- © Happiness Distribution
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Pierre Ajack-Dugant 28 novembre 2010
Incendies - Denis Villeneuve - critique
Malgré quelques lourdeurs (utilisation de "panneaux" structurant l’intrigue qui créent une distance inutile, recours à des explications superficielles, lenteurs, ...) le film renoue adroitement avec l’univers de la tragédie, ses mécanismes implacables, sa violence sourde et dévastatrice. Les actrices incarnent à la perfection des personnages à fleur de peau, confrontés à l’horreur. Incendies est un voyage forcé, avec ses moments pénibles, mais c’est un voyage d’une force rare.
Norman06 30 janvier 2011
Incendies - Denis Villeneuve - critique
Dommage que la mise en scène télévisuelle et des maladresses (ralentis, musique emphatique...) atténuent la portée de l’ensemble. Mais le scénario est l’un des plus forts de ces dernières années, mêlant drame familial et politique, psychanalyse et thriller. L’aspect lisse du traitement contraste alors avec un sentiment d’horreur et d’oppression sordide qui fait la puissance de l’œuvre. Lubna Azabal s’impose en outre comme une grande tragédienne de l’écran.
Frédéric de Vençay 31 mars 2011
Incendies - Denis Villeneuve - critique
Avant d’être un choc frontal et une réflexion abstraite et saisissante sur les ravages de la guerre, "Incendies" est une réactualisation hautement casse-gueule des topoi de la tragédie grecque (références antiques en pagaille, Oedipe, Antigone, Electre, Ulysse...). Le pari est réussi au-delà des espérances. Quelques maladresse n’atténuent pas la force frappe étourdissante du récit, soutenu par des interprètes sensass. Le vainqueur logique de l’Oscar du meilleur film étranger cette année, supplanté par le molasson "Revenge".