Le secret magnifique
Le 2 août 2022
Almodóvar signe une œuvre épurée qui paraîtra (en apparence seulement) moins jubilatoire et que d’autres opus, mais n’en constitue pas moins la quintessence de son art.
- Réalisateur : Pedro Almodóvar
- Acteurs : Penélope Cruz, Rossy de Palma, Ángela Molina, Blanca Portillo, Lluis Homar, Carmen Machi
- Genre : Comédie dramatique, Romance
- Nationalité : Espagnol
- Distributeur : Pathé Distribution
- Editeur vidéo : Fox Pathé Europa
- Durée : 2h09mn
- Date télé : 7 août 2024 21:00
- Chaîne : téva
- Box-office : 915 910 entrées (France) / 696 622 (Espagne)
- Titre original : Los abrazos rotos
- Date de sortie : 20 mai 2009
- Festival : Festival de Cannes 2009
Résumé : À la suite d’un accident de voiture, le cinéaste Harry Caine, ex-Mateo Blanco (Lluis Homar), est devenu aveugle et ne vit que grâce aux scénarios qu’il écrit en collaboration avec Judit (Blanca Portillo), son ancienne et fidèle directrice de production. Quatorze ans auparavant, il terminait le tournage d’un film médiocre (remonté de façon malveillante et contre son gré), dans lequel il faisait tourner Lena, la femme de sa vie (Penélope Cruz), morte quelques temps après dans l’accident...
Critique : Comme dans La Mauvaise éducation, il est question de « film dans le film ». Les flash-back permettent de reconstituer le puzzle du mélodrame sentimental et de l’échec artistique et public du film, sans cette fois-ci les excès de mise en abyme. La référence à Voyage en Italie de Rossellini (que Lena et Mateo regardent à la télévision) permet d’annoncer le drame à venir des amants, leur étreinte interrompue par la mort étant fixée à jamais par le photographe espion. Dans Tout sur ma mère, les images récurrentes de All about Eve de Mankiewicz éclairaient également les sentiments enfouis des protagonistes, dont la jalousie féminine. Et si Almodóvar n’hésite pas à citer implicitement Femmes au bord de la crise de nerfs, c’est moins par nombrilisme que par désir de boucler la boucle thématique et stylistique de son univers. Depuis les années 90, le cinéma d’Almodóvar a pris une teinte plus sombre. Le thème de l’accident, qui débouche sur le handicap (Javier Bardem dans En chair et en os) ou la mort (l’adolescent de Tout sur ma mère), prend ici tout son sens, puisque la fièvre créatrice de Harry ex-Mateo est anéantie, l’ancien réalisateur se contentant de projets mercantiles, à l’instar de l’écrivaine incarnée par Marisa Paredes dans La fleur de mon secret. Harry ne retrouvera l’inspiration qu’au prix de la résurrection virtuelle de Lena, au même titre que Scottie cherchait à recréer l’image de Madeleine dans Vertigo de Hitchcock. Jamais le thème de la fusion de la vie, de l’amour et de la mort, n’avait été autant présent.
- Copyright Sony Pictures Classics
C’est au nom de l’amour de son fils malade et de sa jalousie amoureuse que Judit trahit Mateo et remonte le film, à la demande du vieux producteur lui-même éconduit sur le plan sentimental. C’est pour sauver son père cancéreux que Lena accepte la compromission de sa cohabitation avec Ernesto, et c’est par amour pour Mateo qu’elle accepte la fuite (tragique) à Lanzarote. Harry ex-Mateo se reconstitue une famille adoptive, en compagnie de Judit, qui fut brièvement sa maîtresse, et du fils ce cette dernière, Diego, qui l’assiste dans ses tâches administratives et domestiques. Dans ce semblant de famille recomposée, les relations affectives semblent plus sincères et profondes que dans la relation tendue qui unit Ray X, le jeune cinéaste frustré, à son père, autoritaire et homophobe. Comme dans Volver, l’homme n’a pas le beau rôle et s’avère être soit le symbole de lâcheté (Ernesto et son fils), soit l’expression du refus d’assumer un passé douloureux (Harry). Seul Diego semble l’élément masculin positif par son rôle de catalyseur de la reconstitution affective et créative du réalisateur. En dépit de son arrivisme, Lena est le symbole de la femme noble et honnête, à la fois tentatrice et salvatrice, qui a forcément les traits d’une Penélope Cruz désormais ancrée dans l’univers de Pedro.
- Copyright Sony Pictures Classics
Quant à Judit, elle a la mère almodovarienne par excellence, à qui Blanca Portillo apporte toute sa puissance d’interprétation. Si Truffaut était « l’homme qui aimait les femmes », Almodóvar est celui qui les vénère. Et ce n’est pas pour rien que le cinéaste a confié de brèves apparitions nostalgiques à Angela Molina (la mère de Lena), Rossy de Palma (Julieta), Chus Lampreave (la concierge) ou Lola Dueñas (la lectrice sur les lèvres). Fils (cinématographique) naturel de Sirk, Pedro Almodóvar n’a jamais caché son intention d’assumer ouvertement le mélodrame, même si Étreintes brisées est davantage en demi-teinte que Talons aiguilles ou Tout sur ma mère. Le thème du secret de famille (au moins deux ici) est en tout cas prétexte à de beaux moments d’émotion pure, plus que de pirouette de scénario. Fausses trahisons ou enfants retrouvés lors de confessions intimes permettent moins le happy end qu’une sérénité provisoire et fragile chez les personnages. D’aucuns regretteront l’absence de figures excentriques (travestis, prostituées bouffonnes, grands-mères pittoresques, junkies défoncés) qui formaient une faune mémorable dans des titres antérieurs, et constituaient parfois un contre-pied à la noirceur ambiante. Étreintes brisées n’en reste pas moins fidèle à l’univers de son auteur, qui trouve ici la perfection dépouillée de Parle avec elle .
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Norman06 21 mai 2009
Étreintes brisées - Pedro Almodóvar - critique
De plus en plus épuré, le cinéma d’Almodovar atteint un degré de perfection tant dans l’art de conter des récits imbriqués que dans la fluidité de la mise en scène. Fidèle à lui-même, le cinéaste propose une fascinante réflexion sur la création et l’amour.
esdez 24 mai 2009
Étreintes brisées - Pedro Almodóvar - critique
S’il suffit de quelques évocations sur le cinéma aussi bien visuelles que par citations pur faire "un film",Almodovar a réussi un film. Pour le contenu, admettons que les images sont belles, le cadrage maîtrisé,les acteurs bien dans leur rôle et l’emballage global équilibré et digne d’un très bon faiseur. Pour le film, bof...Platitude et manque de "braise" (Film vu en VF et peut-être que ce transfert nuise aux élans naturels espagnols). En tout état de cause, ce film ne dérange rien et n’apporte rien à personne, mais si vous voulez quand même le visionner, surtout choisissez la VO.
roger w 28 mai 2009
Étreintes brisées - Pedro Almodóvar - critique
Ce long métrage signe le retour du Almodovar à la mise en scène classieuse, extrêmement précise et délicate. Il est secondé par un excellent script qui nous emmène à la fois au coeur de la tourmente sentimentale de personnages attachants, mais aussi au sein même de la création artisitique, et notamment cinématographique. Avec son ambiance hitchcockienne, "Etreintes brisées" séduit et berce le spectateur. Que du plaisir !
Sébastien Schreurs 8 mai 2012
Étreintes brisées - Pedro Almodóvar - critique
Voyage en "cathartie"
Depuis "La fleur de mon secret", Almodovar réalise un parcours sans faute (à l’exception de "La mauvaise éducation", plus personnel et qui se réfère moins aux grands classiques du septième art). Film dans le film, obsessions du cinéaste (son alter ego aveugle...), déclaration d’amour au cinéma ("Voyage en Italie" de Rossellini, Penélope Cruz en Audrey Hepburn,...), mélodrame à la Douglas Sirk ; quand l’un des meilleurs réalisateurs vivants recevera-t-il la Palme d’Or tant méritée ? En tout cas, il est avec Hitchcock, celui qui fait autant l’unanimité auprès du public que de la critique...
criss 31 octobre 2022
Étreintes brisées - Pedro Almodóvar - critique
Que du plaisir***********