Le 27 février 2020
- Festival : Festival Effractions
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La BPI inaugurera ce jeudi soir la première édition du festival Effractions, événement consacré à la littérature du réel, l’occasion pour nous de donner la parole aux programmatrices Blandine Fauré et Inès Carme.
* Pourriez-vous nous faire une brève présentation du festival ?
Effractions est un festival de littérature contemporaine qui vise à mettre en avant l’actualité littéraire, tout en explorant les liens entre littérature et réel. Porté par la Bibliothèque publique d’information, ce projet a été mûri de longue date avant de pouvoir se concrétiser. En éclairant la façon dont les écrivains s’approprient les problématiques actuelles dans l’écriture, la Bpi est en cohérence avec son identité de bibliothèque d’actualité tournée vers les débats contemporains. C’est un temps fort qui conforte aussi son rôle dans la valorisation de la littérature, puisque la bibliothèque a déjà une programmation littéraire tout au long de l’année.
Il a été conçu dans la lignée du festival « Cinéma du réel », qui existe depuis 40 ans déjà et qui s’inscrit dans cette volonté de donner à voir des œuvres en résonance avec le monde d’aujourd’hui.
* Quelle est votre définition de la littérature du réel ?
La programmation d’Effractions propose une vision volontairement large de la littérature dite « du réel » : nous avons souhaité mettre en avant des genres (autofiction, témoignage, enquête) qui, par leur côté « documentaire » sont parfois exclus des manifestations littéraires, tout en laissant la porte ouverte aux fictions ayant un fort ancrage dans les problématiques contemporaines, celles qui questionnent notre rapport au monde et notre manière de l’habiter.
Parmi les invité.e.s de cette première édition, on trouvera aussi bien des représentants de la non-fiction comme Kapka Kassabova, considérée comme héritière de la prix Nobel Svetlana Aleksievitch, que des auteurs qui se situent résolument du côté de la fiction (ainsi Vincent Message, qui revendique la forme romanesque comme moyen d’expression du réel).
* Pourquoi Effractions ? Pourquoi ce titre ?
La production littéraire aujourd’hui revendique une certaine hybridité : il nous arrive souvent de constater que des textes qui nous sont donnés à lire comme des « romans » sont en fait inspirés de faits réels, ou empruntent aux codes du documentaire. « Effractions » reflète cette tendance, la manière qu’a la littérature contemporaine de transgresser les catégories éditoriales et de s’affranchir de la traditionnelle frontière entre fiction et non fiction.
Ce nom illustre les « frictions » qui résultent de la porosité entre réel et fiction et qui sont, à mon sens, toujours bénéfiques à la créativité en littérature.
* Quelle continuité verriez-vous entre la littérature réaliste du dix-neuvième siècle, voire naturaliste, et la manière dont certains auteurs invités au festival peuvent se réapproprier le réalisme dans la littérature contemporaine ?
Le courant réaliste puis naturaliste a en quelque sorte donné ses lettres de noblesse au réel comme sujet de textes littéraires. On retrouve bien entendu cette préoccupation chez tous les auteurs invités, parfois dans des styles tout à fait différents : ainsi, la première publication de Valérian Guillaume, acteur et metteur en scène, qui dénonce sous la forme d’un monologue presque sans pause les dérives du consumérisme effréné.
* D ’où est né ce besoin, cette idée de créer un festival de littérature contemporaine ?
Car il était inexistant et de cette ampleur à Paris, donc parfaitement sa place et particulièrement à la BPI lieu vivant et de création contemporaine.
* Est-ce qu’il est prévu de faire dialoguer la littérature du réel avec d’autres formes d’expression artistique qui lui sont contemporaines ?
Dans un festival qui prend à bras le corps cette matière bouillonnante du réel, il nous paraissait indispensable de faire dialoguer différents modes d’expression : plusieurs lectures musicales sont prévues comme lors de la soirée d’ouverture, où Bérengère Cournut lira des extraits de De pierre et d’os, accompagnée par une création musicale de Philippe Le Goff, spécialiste des sons de l’Arctique. Nous proposons aussi plusieurs séances d’écoutes, au Forum – 1 du Centre Pompidou avec l’équipe des Lectures électriques, ou lors d’événements « Hors les murs » comme à la médiathèque de la Canopée, qui proposera une lecture-performance en langue des signes française de Forêt-Furieuse de Sylvain Pattieu, également invité au festival.
Pour accorder une place aux futures voix de la littérature du réel, nous avons donné carte blanche au master de création littéraire de Paris 8, qui proposera une multitude d’ateliers au public (cut-up, karaoké littéraire…).
* Comment s’est construite la programmation ? Puisqu’il y a une difficulté de faire des choix dans une si grande production consacrée à littérature du réel, qui prend d’ailleurs beaucoup de place dans le paysage éditorial français et dans les médias.
Ce qui intéresse notre comité de programmation, outre la qualité littéraire qui est un critère sur lequel le comité de programmation ne transige pas, c’est vraiment la façon dont les œuvres donnent matière à penser ce lien viscéral entre littérature et réel, comment elles explorent la porosité de la frontière entre réalité et fiction. Nous avons aussi prêté une attention particulière à la diversité des thématiques représentées : la question environnementale sera évidemment très présente, soit comme toile de fond de textes qui nous ouvrent à d’autres cultures et rapports à la nature (Anne-Sophie Subilia, Bérengère Cournut), soit par des fictions qui illustrent les théories de la collapsologie (Antoinette Rychner). Il y a aussi les auteurs qui nous font réfléchir sur l’histoire ou la mémoire (Régis Jauffret, Laurent Binet, Hélène Gaudy), ceux qui illustrent les violences du monde du travail (Vincent Message) et celles du langage (Guy Gunaratne, Sylvain Pattieu), ceux enfin qui nous plongent dans les lieux de résistance (Olivia Rosenthal). La question du féminisme sera bien entendu abordée, avec une table ronde sur le thème d’écrire après #Metoo.
* Est-ce que vous donnez à la littérature du réel une fonction intrinsèquement engagée ? Est-ce que vous donnez à cet événement que vous organisez une fonction engagée ou est-ce que vous vous tenez à l’écart de toute forme de militantisme ?
Les textes qui parlent du réel sont forcément des textes engagés, puisqu’ils développent une vision du temps présent qui leur est propre et nous renvoient le miroir, parfois douloureux, de notre relation chaotique avec le monde qui nous entoure.
Si Effractions ne revendique pas d’autre forme de militantisme que celui de présenter une variété de voix qui racontent notre monde avec la liberté la plus totale, il est important de rappeler que le festival est porté par une bibliothèque, lieu public où les lecteurs de tous âges et de tous milieux doivent se sentir accueillis et libres de leurs lectures : le plus bel engagement d’Effractions serait peut-être d’arriver à rassembler un public aussi divers que celui qui arpente chaque jour les murs de la Bpi.
* D’après-vous est-ce que la littérature du réel doit-être du côté de la vraisemblance ou du vraisemblable ? Cette question sera-t-elle privilégiée à travers les rencontres ?
Ce que le festival Effractions tendra à montrer, je l’espère, c’est justement que la distinction n’a pas lieu d’être : lorsqu’on entend « littérature du réel », on a bien sûr tendance à penser à la vraisemblance, à ce qui semble le plus se rapprocher de notre expérience du réel. Mais les productions littéraires aujourd’hui nous montrent aussi que les récits les plus « vraisemblables », ceux que l’on admet le plus aisément comme rendant compte d’une réalité, sont parfois ceux qui empruntent les chemins détournés de la poésie et de la fiction.
* Enfin, sur quel(s) événement(s)/rendez-vous de la programmation souhaiteriez-vous mettre l’accent ?
Si cela ne tenait qu’à nous, l’accent serait mis sur toutes les rencontres ! Mais puisqu’il faut choisir, je ne peux qu’encourager les lecteurs à venir assister au dialogue entre Emmanuelle Pireyre et le biologiste Jacques Testart, personnage de son roman Chimère, dans lequel il rencontre et conseille la narratrice. On ne peut pas trouver plus parfaite illustration en direct de ce à quoi une « effraction » du réel dans la littérature peut ressembler...
Le public d’Effractions aura également la chance d’écouter quelques exclusivités, comme la lecture musicale par Amandine Dhée d’A mains nues, accompagnée au violoncelle par Timothée Couteau, ou encore Arno Bertina, qui viendra nous parler de son roman à paraître chez Verticales : L’âge de la première passe.
Effractions - Festival de littérature contemporaine
27 février - 1er mars
Bibliothèque Publique d’Information du Centre Pompidou - Paris
Programme complet à retrouver ici
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Galerie photos
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